La peine d’emprisonnement dans le cadre d’un stratagème de corruption d’Air India envoie un message dissuasif aux dirigeants canadiens

25 mai 2014

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Écrit par Milos Barutciski, Matthew S. Kronby and Steven T. Robertson

Le 23 mai, Nazir Karigar, un agent de Cryptometrics Canada Inc. (Cryptometrics), a été condamné à trois ans de prison fédérale en vertu de la loi canadienne sur la corruption transnationale. M. Karigar a été reconnu coupable en août dernier d’avoir comploté en vue de payer environ 450 000 $ au ministre de l’Aviation civile de l’Inde et aux représentants d’Air India, une entreprise d’État, dans le but de remporter un contrat de plusieurs millions de dollars pour Cryptometrics afin de fournir des systèmes de sécurité à Air India. M. Karigar a été reconnu coupable en grande partie le le témoignage d’un autre cadre de Cryptometrics, qui s’est vu accorder l’immunité de poursuites en échange de sa coopération. Karigar avait tenté sans succès de négocier l’immunité pour lui-même, et au lieu de cela est devenu le centre de l’accusation.

Bon nombre des faits n’ont pas été contestés au procès. Karigar a soulevé deux principaux moyens de défense fondés sur les dispositions de la LCAPE au moment des infractions : (i) que la poursuite n’avait pas réussi à prouver qu’un pot-de-vin avait effectivement été versé à un agent public étranger et que la LCAPE n’avait pas criminalisé un simple complot en vue de commettre l’infraction; et ii) que le tribunal canadien n’avait pas compétence parce que les événements n’avaient pas de lien réel et substantiel avec le Canada. Le tribunal s’est prononcé contre l’accusé sur ces deux points. En ce qui concerne la question de la compétence, la LCAPE a depuis été modifiée pour accorder expressément aux tribunaux canadiens la compétence en matière de nationalité à l’égard des citoyens et des sociétés du Canada, peu importe où l’infraction est commise.

La peine prononcée dans l’affaire R. c. Karigar était très attendue, à la fois parce que M. Karigar est la première personne à être déclarée coupable en vertu de la Loi sur la corruption d’agents publics étrangers (LCAPE) du Canada et parce qu’il s’agissait de la première affaire en vertu de la LCAPE à être tranchée au procès plutôt que par un plaidoyer de culpabilité.

Il semble évident, d’après les motifs donnés par le juge Hackland de la Cour supérieure de l’Ontario, qu’il savait très bien que sa décision offrira des conseils importants – et que la peine servira de point de référence – pour les poursuites subséquentes en vue de la LCAPE. Le thème qui sous-suit la décision est que la corruption de fonctionnaires étrangers est un crime grave qui nécessite une forte dissuasion. La Cour insiste très tôt sur le fait que « [l]'idée que la corruption est simplement un coût de faire des affaires dans de nombreux pays, et devrait être traitée comme telle par les entreprises canadiennes qui se font concurrence pour des affaires dans ces pays, doit être désavouée. La nécessité de phrases reflétant les principes de dissuasion générale est claire.

Comme point de départ, la décision se tourne vers la Convention de la Conférence du désarmement sur la lutte contre la corruption d’agents publics étrangers, que le Canada a mise en œuvre par l’entremise de la LCAPE et dont M. le juge Hackland tire le « principe général [...] que la corruption d’agents publics étrangers devrait faire l’objet de sanctions semblables à celles qui s’appliqueraient à la corruption d’agents publics canadiens au Canada ».

La décision vise donc à obtenir des indications sur les peines imposées par les tribunaux canadiens dans le cadre de condamnations pour corruption et fraude au pays en vertu du Code criminel. Il tient également compte des sanctions imposées dans les trois condamnations antérieures de la LCAPE, Soit Niko Resources, Griffiths Energy et Hydro Kleen, qui impliquaient chacune des plaidoyers de culpabilité de la part de sociétés défenderesses.

La décision conclut que, dans les circonstances, les obligations conventionnelles du Canada et la jurisprudence nationale exigent une « peine d’incarcération importante dans un pénitencier fédéral » afin de dissuader et de dénoncer de façon appropriée la conduite de M. Karigar.

La peine de trois ans envoie un signal clair aux personnes qui dirigent des activités visant à corrompre des agents publics étrangers qu’elles ne devraient pas s’attendre à la clémence des tribunaux canadiens. La peine maximale dont disposait la Cour était de cinq ans d’emprisonnement, selon les dispositions de la LCAPE au moment de l’infraction.

L’avocat de l’accusé avait demandé une peine beaucoup plus légère, en raison de l’âge de M. Karigar (67 ans) et de sa mauvaise santé, de son absence d’activités criminelles antérieures et du fait que le complot n’avait pas réussi à obtenir le contrat de l’entreprise de M. Karigar. À l’inverse, le tribunal a noté comme facteurs aggravants l’ampleur du stratagème (impliquant potentiellement des millions de dollars et de très hauts fonctionnaires), et que M. Karigar l’avait personnellement conçu et orchestré. Le juge Hackland note également que la peine maximale en vertu de la LCAPE pour la corruption d’agents publics étrangers a depuis été portée à quatorze ans d’emprisonnement, ce qu’il attribue à « la reconnaissance par le Parlement de la gravité de cette infraction et de l’obligation du Canada de mettre en œuvre les sanctions appropriées ».

La volonté de M. Karigar de mettre le ministère public aux prises avec un procès a peut-être été un autre facteur de la sévérité de sa peine. Les motifs de la Cour ont noté que les affaires Griffiths Energy et Niko Resources (qui ont imposé des amendes d’entreprise de 10,35 millions de dollars et de 9,5 millions de dollars) démontraient « qu’une pénalité substantielle doit être imposée par les tribunaux même dans des circonstances où un plaidoyer de culpabilité a été enregistré et que l’accusé a coopéré avec les autorités ».

Les dirigeants et les administrateurs de sociétés devraient également tenir compte du fait que l’application de la LCAPE, bien qu’elle soit à la hausse en général, est de plus en plus axée sur les particuliers. Par exemple, cinq personnes ont été accusées à ce jour dans le cadre de l’enquête en cours sur SNC-Lavalin relativement à la corruption transnationale, y compris un ancien vice-président principal de l’entreprise. Cette tendance suit des tendances similaires dans d’autres domaines des actes répréhensibles commis par des entreprises où les poursuites ciblent de plus en plus les personnes responsables ainsi que les sociétés impliquées.

La phrase dans l’affaire Karigar souligne donc à quel point les enjeux sont devenus élevés non seulement pour les entreprises canadiennes qui se livrent à des activités de corruption à l’étranger, mais aussi pour les dirigeants d’entreprise qui s’impliquent dans ces activités. Le sort de M. Karigar et le sort contrasté de son co-conspirateur immunisé fournissent plusieurs leçons pour les entreprises et les gestionnaires.

Comme dans toutes les affaires de corruption nationale et internationale, une solide politique de conformité anticorruption fournira une première ligne de défense pour les entreprises et leurs administrateurs et dirigeants individuels contre toute responsabilité potentielle pour l’inconduite des employés et des représentants.

Milos Barutciski est associé et codirecteur de la pratique commerce international et investissement de Bennett Jones LLP. Matthew Kronby et Steven T. Robertson sont associés de Bennett Jones LLP.

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