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Regard vers l’avenir
Les dernières années ont été actives pour les recours collectifs au Canada, et l’activité n’a pas ralenti en 2015.
Au cours de la dernière année, Bennett Jones a participé à certains des recours collectifs les plus importants au pays. Notre groupe de pratique des recours collectifs actif et en pleine croissance a continué de mériter sa réputation de chef de file sur le marché juridique canadien. En tirant parti de notre expérience pratique, de notre expertise en litige et de notre connaissance inégalée de la procédure, nous avons aidé nos clients à obtenir des résultats significatifs qui correspondaient à leurs objectifs commerciaux. Ce qui suit est notre discussion et notre analyse des tendances des recours collectifs canadiens en 2015 et des développements probables que nous prévoyons voir en 2016.
En 2015, nous avons assisté à l’inversion de certaines tendances qui avaient précédemment changé dans une direction favorable aux plaignants. Par exemple, les tribunaux inférieurs avaient déjà énoncé un seuil relativement bas pour accorder l’autorisation aux demandeurs d’intenter des recours collectifs en valeurs mobilières prévus par la loi. En 2015, la Cour suprême du Canada a augmenté ce seuil, ce qui a donné lieu à un critère plus rigoureux pour les congés. De même, alors que de nombreux recours collectifs en responsabilité du fait des produits étaient auparavant certifiés comme des recours collectifs « par excellence », plusieurs recours collectifs en responsabilité du fait des produits se sont vu refuser la certification en 2015.
Nous prévoyons que l’année à venir verra:
- une plus grande certitude dans les recours collectifs en vertu de la Loi sur les valeurs mobilières, particulièrement en ce qui a trait au critère de l’autorisation d’intenter des réclamations pour fausses déclarations prévues par la loi sur le marché secondaire;
- un examen judiciaire plus approfondi des recours collectifs en responsabilité du fait des produits à l’étape de la certification et une attention accrue de la part des défendeurs pour résister à la certification dans de telles actions;
- des directives judiciaires sur les recours collectifs en matière de concurrence et, en particulier, sur la viabilité des recours collectifs comportant des poursuites en responsabilité délictuelle fondées sur des infractions à la Loi sur la concurrence;
- une plus grande réticence des juges à certifier les recours collectifs mondiaux, ainsi qu’une plus grande réticence des juges à certifier des recours collectifs parallèles si un recours collectif national a été certifié;
- clarification de la Cour suprême du Canada sur la question de savoir si les juges provinciaux peuvent siéger dans le cadre de recours collectifs nationaux à l’extérieur de leur province d’origine;
- un examen judiciaire plus approfondi de la preuve d’expert déposée à l’étape de la certification;
- mettre davantage l’accent sur les productions non parties, particulièrement en ce qui a trait à la preuve dans les instances réglementaires;
- une surveillance accrue des arrangements en matière d’honoraires d’avocat afin d’assurer l’équité envers les membres du groupe; et
- plus de certitude quant à la phase individuelle des recours collectifs (après l’étape des questions communes).
Valeurs mobilières
La Cour suprême donne des dents au test de congé : Theratechnologies Inc c. 121851 Canada Inc
La Cour suprême du Canada a rendu deux décisions de recours collectif en 2015, toutes deux relatives à des réclamations pour fausses déclarations sur le marché secondaire en vertu des lois sur les valeurs mobilières. L’une des décisions était Theratechnologies Inc c. 121851 Canada Inc; 1 l’autre était l’affaire Banque Canadienne Impériale de Commerce c. Vert.2
Dans Theratechnologies, pour la première fois, la Cour suprême s’est penchée directement sur le seuil d’autorisation pour les demandeurs d’intenter des actions concernant les causes d’action prévues par la loi pour fausses déclarations sur le marché secondaire. Contrairement aux décisions antérieures de plusieurs cours d’appel provinciales qui avaient établi une norme remarquablement basse, la Cour suprême a déclaré que l’exigence légale de demander l’autorisation avant d’entreprendre de telles actions reflète un objectif législatif de créer un « mécanisme de filtrage dissuasif robuste » qui devrait être « plus qu’un ralentisseur ».
Les lois sur les valeurs mobilières de divers territoires de compétence, y compris en Ontario et en Alberta, prévoient une cause d’action pour les fausses déclarations sur le marché secondaire dans lesquelles les investisseurs sont libérés du fardeau de prouver la confiance, ce qui est un élément de la cause d’action de common law pour les fausses déclarations faites par négligence. Le critère d’obtention d’un congé est essentiellement le même en vertu de toutes les causes d’action prévues par la loi provinciale et comporte deux exigences : (1) l’action doit être intentée de bonne foi et (2) il doit y avoir une possibilité raisonnable que l’action soit résolue en faveur du prestataire. L’exigence d’une possibilité raisonnable de succès a été examinée à de nombreuses reprises par les tribunaux de plusieurs juridictions et a fait l’objet de nombreuses discussions par les tribunaux.
La majorité des décisions antérieures sur cette question, tant du Québec que des provinces de common law, ont établi une norme très basse pour l’obtention d’une autorisation, créant ainsi un régime favorable aux demandeurs. La Cour d’appel de l’Ontario, par exemple, a conclu que le critère d’obtention de l’autorisation est équivalent au seuil appliqué lors de l’accréditation pour déterminer si les actes de procédure révèlent une cause d’action: le but est d’éliminer les réclamations désespérées et de ne permettre à celles qui ont « une certaine chance de succès » d’aller de l’avant.
Dans l’arrêt Theratechnologies, la Cour suprême a examiné la jurisprudence qui a tenté d’articuler la norme appropriée, souvent quelque peu contradictoire, et a énoncé un seuil beaucoup plus élevé que les tribunaux dans le passé.
En approuvant un seuil plus rigoureux, la Cour suprême a souligné que l’objectif du critère de l’autorisation est de créer un équilibre approprié et un mécanisme de sélection significatif afin d’éviter les poursuites de grève coûteuses et les réclamations non fondées. La Cour suprême a conclu que le seuil devrait être plus qu’un simple « ralentisseur » et que les tribunaux doivent entreprendre un examen raisonné de la preuve pour s’assurer que l’action est fondée. Afin de donner correctement effet à la fonction de contrôle, il doit y avoir une chance raisonnable ou réaliste que l’action réussisse. La Cour suprême a conclu que cela exigeait que le demandeur : (1) offre une analyse plausible des dispositions législatives applicables et (2) fournisse des éléments de preuve crédibles à l’appui de la demande.
D’après les faits dont elle était saisie, la Cour suprême a conclu que le demandeur n’avait présenté aucun élément de preuve à l’appui de sa théorie. Sans une telle preuve, l’action ne pourrait pas avoir une possibilité raisonnable de succès. Le seuil de la permission d’en appeler n’a pas été atteint et l’appel a été accueilli.
Vents contraires importants pour les recours collectifs en valeurs mobilières : les conséquences de Theratechnologies
À la suite de Theratechnologies, le critère de l’autorisation énoncé par la Cour suprême du Canada a été appliqué par la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans l’arrêt Coffin v Atlantic Power Corp3 et confirmé par la Cour suprême une fois de plus dans l’arrêt Green. Atlantic Power et Green illustrent tous deux l’obstacle posé aux demandeurs par le seuil accru d’autorisation.
Coffin v Atlantic Power Corp
Atlantic Power a été la première décision à examiner la barre de certification fixée par la Cour suprême dans l’affaire Theratechnologies. Atlantic Power a confirmé que les tribunaux tiendront compte de la solidité de la preuve des parties, plutôt que seulement de leurs actes de procédure, avant d’allumer ces types de recours collectifs.
En fait, les demanderesses dans l’affaire Atlantic Power ont allégué qu’Atlantic Power avait fait de fausses déclarations au sujet de sa capacité de maintenir ses paiements de dividendes. Le juge Belobaba de la Cour supérieure a déterminé qu’en raison de Theratechnologies, il devait trancher cette question : « ... après avoir examiné l’ensemble de la preuve présentée par les parties, une partie de la preuve des demandeurs a-t-elle une chance raisonnable ou réaliste de succès au procès? Ou la cause des demandeurs est-elle si faible ou a-t-elle été réfutée avec tant de succès par les défendeurs qu’elle n’a aucune possibilité raisonnable de succès.
Le dossier de preuve était solide, principalement parce qu’Atlantic Power a décidé de s’appuyer de façon agressive sur les dossiers internes de l’entreprise pour démontrer qu’elle n’avait pas fait de fausses déclarations et que la cause des demandeurs ne pouvait pas être accueillie. Le juge Belobaba s’est senti suffisamment à l’aise avec la version des événements d’Atlantic Power pour qu’il ait non seulement conclu que la cause des demandeurs n’avait aucune chance raisonnable de succès, mais qu’il n’y avait aucune fausse déclaration faite et aucune preuve que la direction avait fait de fausses déclarations sur l’avenir des paiements de dividendes.
Canadian Imperial Bank of Commerce v Green
En décembre 2015, la Cour suprême a publié les motifs d’une trilogie très attendue de recours collectifs en valeurs mobilières. Dans l’affaire Green, un tribunal profondément divisé a tiré des conclusions divergentes sur les questions relatives au délai de prescription, qui sont en grande partie devenues théoriques en raison des modifications apportées aux lois sur les valeurs mobilières. 4 Plus important encore, la Cour suprême a confirmé à l’unanimité que les demandeurs font l’objet d’un examen « rigoureux » avant d’obtenir l’autorisation d’intenter une cause d’action prévue par la loi pour fausses déclarations sur le marché secondaire. La Cour suprême a également statué qu’il convenait de trancher certaines questions communes découlant des réclamations pour déclaration inexacte faite par négligence en common law dans le cadre de recours collectifs.
Bien que Theratechnologies ait été décidée sur la base de la Loi sur les valeurs mobilières du Québec, la Cour suprême a noté dans la trilogie qu’il n’y a pas de différence entre le libellé de cette loi et la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario. Par conséquent, la Cour suprême a confirmé Theratechnologies et a statué que le critère préliminaire d’octroi de l’autorisation énoncé dans cette affaire s’appliquait à l’article 138.8 de la Loi sur les valeurs mobilières de l’Ontario et, par analogie, aux autres provinces de common law ayant des régimes législatifs similaires.
Dans l’arrêt Green, la Cour suprême s’est également penchée sur la certification des réclamations de common law pour fausses déclarations inexactes faites par négligence. Il y a eu un débat sain sur la question de savoir si les allégations de fausse déclaration en common law devraient être certifiées en plus des causes d’action prévues par la loi (ou au lieu de causes d’action prévues par la loi lorsque l’autorisation est refusée). L’obstacle évident à de telles réclamations est qu’en l’absence des dispositions législatives, le recours doit être prouvé sur une base individuelle. Cette question est importante pour les demandeurs et les défendeurs étant donné que les causes d’action en common law sont exemptes des plafonds rigoureux de dommages-intérêts qui s’appliquent à la cause d’action prévue par la loi.
La Cour suprême a permis que certaines questions communes soient certifiées, y compris celles relatives à l’inconduite alléguée par les défendeurs, mais pas les questions relatives à la confiance ou aux dommages-intérêts. L’incidence pratique de cette conclusion reste à voir, mais elle indique en outre que la Cour suprême est prête à imposer des restrictions aux recours collectifs en valeurs mobilières du marché secondaire.
Les directives récentes fournies par la Cour suprême sur le critère de l’autorisation pour les réclamations prévues par la loi pour fausses déclarations sur le marché secondaire, qui ont fait l’objet d’un examen judiciaire important dans de nombreuses juridictions au Canada, et en particulier en Ontario, sont très bien accueillies et devraient offrir plus de certitude pour les cas en vertu des lois sur les valeurs mobilières dans toutes les provinces à l’avenir. Bon nombre d’entre eux avaient fait valoir que les tribunaux avaient créé un régime favorable aux demandeurs qui s’était éloigné de l’intention du législateur en créant l’exigence valable d’obtenir l’autorisation avant d’intenter une action. Toutefois, la Cour suprême semble avoir donné plus de sens à l’intention des législateurs et, dans une certaine mesure, rétabli le rôle de gardien approprié des tribunaux.
Responsabilité du fait des produits
Certification refusée : Les cas de responsabilité du fait des produits ne sont pas des recours collectifs « par excellence »
Souvent appelées recours collectifs « par excellence », la majorité des actions en responsabilité du fait des produits pour lesquelles une certification a été demandée au cours des 10 dernières années ont obtenu une certification. Cependant, quatre décisions publiées en 2015 refusant la certification peuvent signaler un changement vers un examen plus approfondi des recours collectifs en responsabilité du fait des produits proposés. Les juges sont devenus plus disposés à refuser l’accréditation lorsqu’il n’est pas clair qu’il y a suffisamment de points communs entre les membres du groupe, un groupe identifiable ou qu’un recours collectif est la procédure préférable pour résoudre le différend.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a entendu la première des quatre décisions rendues dans l’affaire Charlton v Abbott Laboratories, Ltd. 5 La classe proposée dans Charlton comprenait des patients qui ont pris le médicament sibutramine, un médicament de perte de poids sur ordonnance qui aurait augmenté le risque d’événements cardiovasculaires tels que la crise cardiaque et l’accident vasculaire cérébral. La preuve présentée au sujet de la requête en autorisation laissait entendre qu’il pourrait y avoir une distinction importante entre les membres du groupe ayant des problèmes de santé cardiovasculaire préexistants et ceux qui n’en ont pas. Les fabricants défendeurs avaient mis en garde contre la prescription du médicament à des patients atteints d’affections préexistantes. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a initialement accordé la certification, mais la Cour d’appel a infirmé cette décision parce que les demandeurs n’avaient pas réussi à établir la preuve d’une [traduction] « méthode permettant d’établir que le groupe dans son ensemble, par opposition à ceux à qui on avait prescrit à tort de la sibutramine malgré des antécédents de maladie, avait été affecté ou mis en danger par son utilisation de la sibutramine ».
Bien que l’exigence d’une « méthode » réalisable pour établir le préjudice à l’échelle du groupe soit bien établie dans les recours collectifs d’acheteurs indirects où la fixation des prix est alléguée, il s’agit d’un nouveau développement dans les recours collectifs en responsabilité du fait des produits.
Charlton a été suivi par Warner v Smith & Nephew Inc. 6 Le produit était le système de resurfaçage de la hanche en métal de Smith & Nephew, connu sous le nom de « système Birmingham ». Après avoir été implantée avec le système de Birmingham, la demanderesse représentative a été trouvée pour avoir des niveaux toxiques d’ions métalliques dans son sang et elle a dû faire enlever l’appareil. La certification a échoué sur les questions de classe identifiable et de procédure préférable.
Le juge dans Warner a conclu qu’une classe de toutes les personnes avec le système Birmingham implanté et leurs personnes à charge serait appropriée puisque le préjudice indemnisable pourrait survenir dès qu’un dispositif défectueux est implanté. Toutefois, le juge Poelman a conclu que le demandeur n’avait pas établi un fondement factuel à l’existence d’au moins deux membres du groupe qui avaient fait l’objet de plaintes semblables à celles du représentant du demandeur.
En concluant qu’un recours collectif n’était pas la procédure préférable, le juge Poelman a relevé un problème important dans de nombreux recours collectifs en matière d’instruments médicaux : les plaintes au sujet de l’instrument peuvent être causées par une foule de facteurs propres au patient et au chirurgien qui ne sont pas liés à l’instrument lui-même. Étant donné que ces questions nécessitent des évaluations individuelles, elles ne seraient probablement pas communes à tous les membres du groupe et, par conséquent, seraient plus susceptibles de convenir à des actions individuelles.
Enfin, la certification a été refusée dans deux récents recours collectifs en responsabilité du fait des produits proposés sur plusieurs modèles devant la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans les affaires O’Brien v Bard Canada Inc7 et Vester v Boston Scientific. 8
Ces cas concernaient plusieurs produits médicaux différents destinés à une implantation permanente dans le bassin féminin pour traiter divers types de prolapsus d’organe pelvien et d’incontinence urinaire d’effort. Les produits différaient de multiples façons, y compris leur composition matérielle (en barde seulement), leur forme, leur taille, leur poids, leur densité, leur tissage, leur porosité, leur flexibilité, leur configuration, leur méthodologie de fixation, leur objectif de conception et leurs avertissements.
En ce qui concerne les questions communes proposées, la Cour supérieure de l’Ontario a conclu que les produits de Bard’s et de Boston Scientific n’avaient aucune caractéristique de conception commune qui pouvait être extrapolée entre les catégories. Il a en outre constaté que chacun des différents produits avait des profils risques-avantages différents.
Dans l’arrêt Bard, la Cour supérieure a entériné la décision rendue dans l’affaire Charlton, soulignant que lorsqu’un demandeur cherche à aborder les questions de causalité à l’échelle du groupe comme fondement d’un recours collectif, il doit y avoir des éléments de preuve d’une méthode viable qui lui permettra de prouver le lien de causalité à l’échelle du groupe.
Dans l’arrêt Vester, la Cour supérieure a souligné que l’existence d’une caractéristique commune ne peut établir une question commune à moins qu’elle ne soit liée à un défaut commun de fabrication ou de conception. Lorsque le demandeur n’établit pas l’établissement d’une telle relation, une caractéristique commune est simplement une « coïncidence ».
En ce qui concerne la procédure préférable, la Cour supérieure a conclu dans les affaires Bard et Vester que lorsqu’il n’y a pas de fondement factuel pour des questions communes, il n’y a pas non plus de fondement pour un recours collectif satisfaisant au critère de procédure préférable. Dans les deux cas, la Cour supérieure a statué qu’un recours collectif n’était pas la procédure préférable.
Ces quatre décisions montrent que ce ne sont pas tous les cas de responsabilité du fait du fait des produits qui se prêtent à la certification. Plus précisément, dans les recours collectifs en responsabilité du fait des produits à modèles multiples, les demandeurs doivent présenter suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il existe une caractéristique de conception commune à tous les modèles de produits liés à un défaut commun et ils doivent établir une méthode viable qui permettrait aux demandeurs de prouver le lien de causalité à l’échelle du groupe. Les demandeurs se sont appuyés sur la référence commune dans la jurisprudence selon laquelle les cas de responsabilité du fait des produits sont des recours collectifs « par excellence ». Les tribunaux n’étaient pas d’accord. Comme l’a dit le juge Perell, « aucun type de recours collectif n’est par essence certifiable, même un recours collectif en responsabilité du fait des produits ». Bennett Jones a agi à titre d’avocat de la défense dans l’arrêt Bard.
Concurrence
La Loi sur la concurrence est-elle un code complet? Les décisions contradictoires laissent plus de questions que de réponses
Les tribunaux canadiens continuent de ne pas être d’accord sur la question de savoir si la Loi sur la concurrence est un code complet qui régit les poursuites civiles découlant de violations de ses dispositions. En 2015, des décisions contradictoires ont été rendues dans différentes juridictions concernant la question de savoir si une réclamation pour complot de moyens illégaux peut être fondée sur une violation de la Loi sur la concurrence. Bien que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique ait semblé clarifier la question en certifiant une réclamation pour complot de moyens illégaux, la Cour supérieure de justice de l’Ontario est arrivée à la conclusion contraire moins de deux mois plus tard.
En 2014, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a statué dans l’affaire Wakelam v Wyeth Consumer Healthcare/Wyeth Soins de Sante Inc9 que la Loi sur la concurrence codifiait de manière exhaustive les recours disponibles en cas de violation de ses dispositions et, par conséquent, excluait les demandes de réparations équitables fondées uniquement sur une violation de la Loi sur la concurrence. La Cour suprême de la Colombie-Britannique a suivi l’arrêt Wakelam sur ce point dans l’affaire Watson c. Bank of America Corporation10 pour refuser la certification de certaines réclamations, que les demandeurs ont portées en appel. En août 2015, la Cour d’appel a rendu sa décision. 11
Dans l’affaire Watson, les demandeurs alléguaient que les institutions financières défenderesses avaient contrevenu à la Loi sur la concurrence en imposant des frais de carte de crédit supraconcurrentiels aux commerçants qui acceptent visa et mastercard. En appel, les demandeurs ont fait valoir que le tribunal inférieur avait commis une erreur en s’appuyant sur l’arrêt Wakelam pour radier les demandes de restitution et les allégations de complot de moyens illégaux fondées sur des infractions à la Loi sur la concurrence.
La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a conclu que Wakelam était déterminant sur la question de savoir si un demandeur pouvait fonder une demande de restitution pour enrichissement sans cause ou renonciation à la responsabilité délictuelle sur une simple violation de la Loi sur la concurrence. Toutefois, la Cour a décidé que Wakelam n’avait pas abordé directement l’allégation de complot de moyens illégaux. Elle s’est lancée dans sa propre analyse de la question de savoir si une violation de la Loi sur la concurrence pouvait constituer le fondement des « moyens illégaux » pour une action civile pour complot.
La Cour d’appel a conclu que le régime législatif ne remplaçait pas l’action en common law pour complot illicite, soulignant des différences telles que les recours plus larges disponibles pour le délit, qu’il permet des dommages-intérêts punitifs et les différents délais de prescription applicables au délit et à la disposition législative. Elle a accueilli l’appel des demandeurs et certifié leur réclamation pour complot illégal fondé sur une violation de la Loi sur la concurrence. Essentiellement, la Cour a statué que la Loi sur la concurrence prévoyait un code complet pour les demandes de restitution, mais pas pour les réclamations en responsabilité délictuelle fondées sur des violations de ses dispositions.
La Cour supérieure de l’Ontario est arrivée à la conclusion contraire dans l’affaire Shah c. LG Chem, Ltd. 12 Dans l’affaire Shah, les demandeurs ont allégué que les défendeurs avaient comploté pour fixer le prix des piles au lithium-ion, en intentant des réclamations légales, délictuelles et de restitution fondées sur des infractions à la Loi sur la concurrence. Bien que les demandeurs soutiennent que Watson a réglé l’affaire, la Cour supérieure a examiné la question à partir des premiers principes et a statué que la cause d’action prévue par la loi excluait la réclamation pour complot civil. Le raisonnement de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique dans l’arrêt Watson n’a pas convaincu la Cour supérieure de l’Ontario. À son avis, Watson a posé les mauvaises questions pour déterminer si l’article 36 de la Loi sur la concurrence empêchait la réclamation en responsabilité délictuelle.
La Cour supérieure a conclu que le législateur avait l’intention de créer un régime complet qui pourrait être appliqué exclusivement par l’entremise de sa cause d’action prévue par la loi. Elle a également conclu qu’il s’agissait d’une question de politique juridique saine, estimant que le Parlement ne voulait pas d’autres recours, pénalités ou délais de prescription pour perturber son régime législatif.
Il reste à voir comment les tribunaux canadiens réagiront aux décisions contradictoires rendues dans les affaires Watson et Shah. Une décision de la Cour suprême du Canada ou une modification législative sera ultimement nécessaire pour clarifier et fournir une certitude quant à savoir si la Loi sur la concurrence fournit un code correctif complet ou si les réclamations en responsabilité délictuelle pour complot illégal peuvent être fondées sur une violation de la Loi sur la concurrence. D’ici là, les défendeurs devront peut-être continuer à défendre de telles allégations en raison de la jurisprudence contradictoire.
Compétence
Les tribunaux de l’Ontario pourraient hésiter à « se mondialiser »
Dans l’affaire récente Excalibur Special Opportunities LP c Schwartz Levitsky Feldman LLP13, la majorité de la Cour divisionnaire de l’Ontario a confirmé la décision de la Cour supérieure de justice refusant la certification d’un recours collectif mondial.
La procédure portait sur la vérification d’un producteur de porcs chinois, South China Livestock (« SCL »). Le cabinet comptable défendeur, Schwartz Levitsky Feldman LLP (« SLF »), a publié un rapport d’audit propre, qui a été distribué aux investisseurs potentiels. SCL a fait faillite et les investisseurs ont perdu tout leur argent. La seule société d’investissement canadienne qui a investi dans SCL, Excalibur Special Opportunities, a entamé un recours collectif contre SLF en Ontario, alléguant que le rapport de vérification de SLF dénaturait la situation financière de SCL.
La Cour divisionnaire a convenu avec la Cour supérieure qu’un recours collectif n’était pas la procédure préférable, car il n’y avait pas d’obstacles économiques importants qui faisaient obstacle aux investisseurs individuels de faire valoir leurs réclamations. La Cour supérieure a noté, et la Cour divisionnaire a accepté, que toute réclamation qui pourrait ne pas être rentable à plaider individuellement pourrait être poursuivie par les demandeurs sans la formalité et les frais d’une requête en accréditation. L’ampleur de la réclamation du représentant de la demanderesse, soit 950 000 $, a démontré qu’elle n’avait pas besoin d’un recours collectif pour rendre sa réclamation économique.
Les deux paliers de tribunaux ont convenu que la jonction des actions serait plus appropriée qu’un recours collectif. La Cour divisionnaire a souligné que la jonction n’est pas simplement une solution de rechange aux recours collectifs; c’est la position par défaut lorsqu’on examine si un recours collectif est la procédure préférable.
Bien que la Cour supérieure ait refusé à juste titre l’accréditation lors de sa détermination de la procédure préférable, la Cour divisionnaire a également souscrit à ses conclusions sur le critère du recours collectif identifiable. Il n’était pas approprié pour l’Ontario de « se mondialiser » en certifiant une classe mondiale. En l’espèce, les 57 membres du groupe proposé étaient déjà connus, et 55 des membres du groupe putatif avaient déjà été contactés au sujet de l’instance ontarienne. Vingt pour cent des membres du groupe avaient communiqué avec le demandeur et étaient satisfaits que le recours collectif soit intenté en Ontario. Bien que le siège social de SLF soit situé à Toronto et que les travaux se sont terminés à Toronto, les tribunaux ont noté qu’un seul demandeur résidait en Ontario. SCL était également une société américaine et les investissements ont été faits en dollars américains par le biais d’une transaction régie par les lois américaines sur les sociétés et les valeurs mobilières. La Cour divisionnaire et la Cour supérieure ont finalement conclu qu’il n’y avait pas de lien substantiel avec l’Ontario.
La décision de la Cour divisionnaire illustre les limites imposées aux recours collectifs nationaux et mondiaux. Il ne suffisait pas que la conduite contestée de la défenderesse et de la défenderesse se soit produite en Ontario parce que l’opération d’investissement était de nature américaine et que la majorité des membres du groupe putatif n’étaient pas de l’Ontario.
Dans l’affaire Airia Brands Inc c. Air Canada14, une autre décision rendue en Ontario en 2015, la Cour supérieure a également refusé d’assumer sa compétence à l’intention des membres étrangers du groupe. Dans l’affaire Airia Brands, les demanderesses ont intenté un recours collectif putatif en Ontario, alléguant que les défendeurs avaient comploté pour fixer les prix des services de transport de fret aérien. Les demandeurs représentatifs ont cherché à accréditer une catégorie mondiale d’acheteurs de ces services. Les membres du groupe comprendraient des demandeurs de plus de 30 pays.
Les défendeurs ont demandé une ordonnance de sursection du recours collectif proposé parce que le tribunal n’avait pas compétence sur les demandeurs étrangers absents. Les défendeurs ont soutenu que les demandeurs étrangers qui n’étaient pas présents au Canada et qui n’avaient ni consenti ni soumis à la compétence de l’Ontario ne pouvaient pas être liés par un jugement de recours collectif de l’Ontario. Ils ont laissé entendre que les principes fondamentaux d’ordre et d’équité ne seraient pas servis par l’application du critère de la compétence en common law au Canada — le critère du « lien réel et substantiel » — parce que, si le tribunal assumait sa compétence à l’égard des demandeurs étrangers en utilisant ce critère, le jugement qui en résulterait pourrait ne pas être reconnu ou exécuté à l’étranger. Cela exposerait les défendeurs à des litiges futurs dans ces juridictions et au risque d’un double recouvrement par les membres du groupe proposés.
La juge Leitch a statué que la cour ne devrait pas assumer sa compétence lorsque les principes de conflit de lois dans des pays étrangers empêchent la reconnaissance d’un jugement de l’Ontario. Elle a reconnu que le critère du lien réel et substantiel s’écarte radicalement des règles traditionnelles d’autres pays et a conclu que les juridictions étrangères pertinentes ne reconnaîtraient pas un jugement de l’Ontario par un tribunal ayant compétence présumée sur les demandeurs étrangers en vertu du critère du lien réel et substantiel. De plus, les limites constitutionnelles de la compétence de la Cour empêchaient la Cour d’assumer sa compétence à l’intention des demandeurs étrangers à moins qu’ils ne soient présents au Canada ou qu’ils n’aient consenti ou se soient soumis à la compétence de l’Ontario. La juge Leitch a donc suspendu la demande relativement à ces demandeurs étrangers absents.
La décision de la juge Leitch peut avoir de vastes répercussions lorsqu’elle signale un changement vers un examen plus approfondi du fondement de la compétence pour les recours collectifs avec des demandeurs étrangers, du moins en ce qui concerne certains pays étrangers. Il est à noter que les demandeurs étrangers absents d’Airia Brands se trouvaient principalement (mais pas exclusivement) en Europe et en Asie.
Il reste à voir comment cette décision – et le cadre juridique plus large qu’elle décrit – sera appliquée à des juridictions étrangères spécifiques. Il reste également à voir si la décision fera l’objet d’un appel ou, si ce n’est pas le cas, sera acceptée dans la jurisprudence. Pour l’instant, la décision devrait apaiser les défendeurs préoccupés par les jugements multiples en matière de recours collectifs et le risque connexe de recouvrements multiples par les demandeurs. Lues ensemble, l’affaire Airia Brands et la décision de la Cour divisionnaire dans l’affaire Excalibur indiquent que les tribunaux de l’Ontario pourraient devenir plus réticents à certifier des recours collectifs mondiaux à l’avenir.
Lignes directrices récentes sur les recours collectifs nationaux
Les recours collectifs parallèles constituent un abus de procédure si un recours collectif national est certifié
Dans deux décisions récentes, Turner v Bell Mobility15 et BCE Inc c Gillis16, la Cour d’appel de l’Alberta et la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse ont respectivement conclu que le dépôt du même recours collectif dans plusieurs juridictions constitue un abus de procédure.
Les deux cas ont été déposés par la même entreprise et concernaient les mêmes allégations liées aux frais d’accès au système facturés aux propriétaires de téléphones cellulaires. Des recours collectifs proposés ont été déposés dans neuf administrations au Canada. Un recours collectif a été autorisé en Saskatchewan et les défendeurs en Alberta et en Nouvelle-Écosse ont cherché à radier ou à suspendre les actions dans ces juridictions, soutenant que ces actions en double constituaient un abus de procédure.
En Alberta, le juge Rooke a d’abord rejeté la demande de suspension permanente ou de radiation de l’action. Le recours collectif proposé en Alberta serait un recours collectif de « retrait », ce qui signifie que les membres du groupe seraient automatiquement inclus dans le groupe avec la possibilité de se retirer et de poursuivre leurs propres actions individuelles. Pour participer à l’action de la Saskatchewan, les non-résidents de la Saskatchewan doivent prendre la mesure active d’y adhérer. Ces conclusions ont amené le juge Rooke à conclure que les dispositions d’adhésion opt-in pour les non-résidents constituent un préjudice important pour les membres du groupe de non-résidents, ce qui, dans certaines circonstances, justifiera la multiplicité des procédures.
La Cour d’appel a infirmé la décision du juge Rooke et a critiqué ses motifs en les jugeant « malsains ». Ils n’étaient pas d’accord pour dire que la distinction entre l’acceptation et l’exclusion désavantagerait les membres du groupe albertain et ont conclu que le tribunal de la Saskatchewan avait déterminé que les résidents de l’Alberta seraient adéquatement protégés par l’action de la Saskatchewan. La Cour d’appel a conclu que Turner était une tentative évidente de la part du défendeur de « contourner les décisions des tribunaux de la Saskatchewan ». L’affaire était un « abus non seulement des tribunaux de l’Alberta, mais aussi une atteinte à la réputation de la législation sur les recours collectifs, qui sert d’importants objectifs sociaux ». La Cour d’appel a suspendu l’action en Alberta.
La Cour d’appel de l’Alberta a suivi la décision de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire BCE, qui a été rendue un mois seulement après la décision du juge Rooke. Le juge Scanlan, s’exprimant au nom de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse dans l’affaire BCE, n’était pas non plus d’accord avec l’analyse du juge Rooke et a conclu qu’elle n’était [traduction] « pas conforme au poids de la jurisprudence et qu’elle ignorait inévitablement les choix et les actions des parties représentatives et de leurs avocats ». De plus, il a été jugé que le raisonnement du juge Rooke « entraînerait pratiquement toujours une multiplicité d’actions lorsqu’il y a un avantage perçu pour les résidents de la province dans laquelle la requête est présentée ». La Cour d’appel a suspendu l’action en Nouvelle-Écosse.
Ces deux décisions indiquent que les résidents d’une province n’ont pas le droit absolu d’intenter un recours collectif dans leur propre province. Bien qu’une demande d’autorisation d’appel ait été déposée au sujet de la décision bce, sans la décision contradictoire du juge Rooke, la Cour suprême pourrait ne pas être encline à intervenir. À l’avenir, les défendeurs peuvent avoir une plus grande confiance qu’un groupe de demandeurs ne peut pas maintenir des procédures de duplication après qu’un groupe national a été certifié.
La Cour suprême déterminera si les juges peuvent siéger dans le cadre de recours collectifs nationaux à l’extérieur de leur province d’origine
Dans la décision partagée Parsons c. Ontario17, la Cour d’appel de l’Ontario a statué qu’un juge de la Cour supérieure de l’Ontario, agissant à titre de juge superviseur en vertu d’une entente nationale de règlement d’un recours collectif, peut participer à une audience conjointe avec des juges non ontariens à l’intérieur ou à l’extérieur de la province. Cette décision est conforme à la décision de la Cour d’appel de la Colombie-Britannique sur la même question dans l’affaire Endean c. Colombie-Britannique. 18 Tous deux ont obtenu l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada. Ils seront entendus rapidement en mai 2016.
Si la décision de la Cour suprême est rendue en 2016, il s’agira sans aucun doute de l’une des décisions les plus importantes de l’année en matière de recours collectifs, car elle façonnera la portée de la coordination intergouvernementale pour les recours collectifs nationaux au Canada. Si les décisions de la Cour d’appel sont confirmées, elle devrait accélérer le recouvrement des fonds de règlement national et peut ouvrir la porte à d’autres types de requêtes intergouvernementales, ce qui pourrait en fin de compte réduire les frais de litige pour les demandeurs et les défendeurs.
Données probantes
Au cours de la dernière année, les tribunaux de l’Ontario se sont prononcés sur certaines questions de preuve qui ont clarifié l’admissibilité de la preuve d’expert lors des audiences de certification et ont déterminé quand le privilège s’applique aux documents recueillis dans le cadre d’une enquête réglementaire.
Admissibilité de la preuve d’expert
Dans l’affaire Bard (dont il a été question ci-dessus), la Cour supérieure de justice de l’Ontario a refusé la certification d’un recours collectif proposé qui portait sur plus de 15 produits médicaux différents. Ces produits ont été conçus pour traiter divers types de prolapsus des organes pelviens et d’incontinence urinaire à l’effort en les implantant de façon permanente dans le bassin de la femme. La décision dépendait en partie de la conclusion selon laquelle la majorité de la preuve des demandeurs, y compris la plupart des affidavits d’expert des demandeurs, étaient inadmissibles.
Dans leur tentative d’afficher les problèmes de sécurité allégués des produits en maille pelvienne de Bard, les demandeurs ont déposé en preuve l’affidavit d’un médecin et d’un chirurgien que les demandeurs ont retenus pour se prononcer sur l’innocuité, l’efficacité et la fiabilité des produits. Même à la lumière de la reconnaissance par la Cour supérieure que le critère du « fondement factuel » établit une norme de preuve peu uniforme pour les demandeurs, elle a conclu qu’une grande partie de la preuve des demandeurs était inadmissible.
La Cour supérieure a conclu que la preuve d’expert des demandeurs était d’une utilité limitée. Dans certains paragraphes de son affidavit, l’expert des demandeurs s’était appuyé sur des allégations concernant les produits de Bard qu’il avait trouvés sur la page Web d’un cabinet d’avocats demandeur aux États-Unis poursuivant Bard, et sur des informations provenant d’un article de Bloomberg. Le juge Perell n’a accordé aucun poids à cette information. Il a également conclu que, puisque l’expert des demandeurs n’avait pas examiné les documents dans lesquels Bard avait donné ses avertissements et n’avait pas assisté aux séances de formation de Bard, il n’avait pas le fondement factuel pour dire si les avertissements fournis par Bard étaient adéquats.
Les défendeurs ont également cherché à discréditer l’expert parce qu’il a témoigné au sujet de l’industrie en général plutôt que des éléments de preuve concernant les défendeurs en particulier. Toutefois, la Cour supérieure n’a pas conclu qu’il était inapproprié pour l’expert de témoigner sur ce que Bard savait ou aurait dû savoir en raison de sa participation à l’industrie des instruments médicaux.
Bien que la preuve des demandeurs n’ait pas été entièrement exclue, la Cour supérieure a conclu qu’elle n’avait pas présenté suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer qu’il y avait une caractéristique de conception commune à tous les modèles de produits des défendeurs. Les défendeurs ont souligné que les produits traitaient différents maux médicaux et se entaient sous différentes formes et tailles. Les demandeurs et leur expert n’ont pas pu surmonter cet obstacle, qui s’est avéré fatal à la requête en accréditation des demandeurs.
À l’avenir, l’avocat peut se tourner vers Bard pour l’aider à déterminer quels éléments de preuve un tribunal acceptera dans le cas d’une motion de certification. Sur la base de cette décision, un tribunal ne devrait accorder aucun poids aux allégations trouvées sur un site Web partisan qui impliquent des litiges connexes, et il est peu probable qu’il admette une preuve d’expert à l’étape de la certification qui repose sur des articles de presse. Toutefois, la Cour supérieure a jugé utile la preuve de l’expert au sujet de l’industrie en général, de sorte que les avocats devraient savoir qu’ils ne peuvent pas discréditer un expert en se fondant uniquement sur le fait que la preuve n’est pas spécifique au produit du défendeur.
Privilège au cas par cas et production non partie
Dans le recours collectif d’un milliard de dollars Philip Services Corp c. Deloitte & Touche19, les demandeurs ont allégué que Deloitte avait fait par négligence les déclarations annuelles de Philip Services Corp., une société cotée en bourse. En 2014, les demandeurs ont demandé une ordonnance exigeant que l’Institut des comptables agréés de l’Ontario (l'« Institut ») produise ses dossiers relatifs à une enquête disciplinaire sur l’associé de Deloitte responsable des vérifications. Dans le cadre de la procédure disciplinaire qui a suivi l’enquête, l’Institut a déclaré le partenaire coupable de faute professionnelle. La Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la demande de production, et les demandeurs ont interjeté appel de cette décision en faisant valoir qu’il serait injuste de procéder à un procès sans les documents. Les demandeurs ont également soutenu que le juge saisi de la requête avait commis une erreur en concluant que le privilège au cas par cas protégeait les documents.
La Cour d’appel de l’Ontario a refusé d’intervenir dans la conclusion du juge saisi de la requête selon laquelle il n’était pas injuste pour les demandeurs de passer au procès sans les documents. Bien que cela ait tranché l’appel des demandeurs, la Cour d’appel n’était pas d’accord avec la conclusion du juge saisi de la requête selon laquelle les documents étaient assujettis au privilège au cas par cas et a offert sa propre analyse de la question.
Le privilège au cas par cas comporte quatre éléments :
- la communication doit provenir de la confidentialité qu’elle ne sera pas divulguée;
- la confidentialité doit être essentielle au maintien complet et satisfaisant de la relation entre les parties;
- la relation doit être une relation qui, de l’avis de la communauté, doit être encouragée de manière séduleuse; et
- le préjudice qui s’exercerait sur la relation en divulguant les communications doit être supérieur à l’avantage obtenu pour le règlement correct du litige.
La Cour d’appel a statué que le tribunal inférieur avait commis une erreur en masquant les documents d’un tel privilège, concluant que les politiques de l’Institut supprimaient le privilège lorsqu’il accusaait le vérificateur d’inconduite. La pratique de l’Institut consistait à divulguer la personne faisant l’objet d’une enquête une fois qu’il avait porté des accusations. Ce qui rendait cette affaire unique, c’est que le partenaire avait négocié une entente avec l’Institut dans des circonstances où il n’accepterait pas la divulgation, l’Institut n’appellerait qu’un seul témoin devant l’avocat disciplinaire et le partenaire ne fournirait aucune preuve concernant sa culpabilité ou son innocence. La Cour d’appel a reconnu qu’il s’agit d’une décision tactique, car les documents auraient été contraignables lors de l’interrogatoire préalable dans les actions civiles connexes contre l’associé et Deloitte.
Malgré cette entente unique, la Cour d’appel a statué qu’aucun des facteurs requis pour invoquer le privilège au cas par cas ne s’appliquait. Elle a conclu que l’entente avait été conclue après que l’Institut eut décidé de porter des accusations et que, par conséquent, les documents n’étaient pas confidentiels. De plus, puisque la politique de l’Institut était de divulguer ses dossiers une fois qu’il avait porté des accusations, la Cour a conclu que la confidentialité n’était pas essentielle à la relation entre les parties. Enfin, il n’a pas accepté le stratagème tactique du partenaire pour éviter la divulgation comme quelque chose que la communauté devait favoriser seduleusement, ou que le préjudice causé à la relation du partenaire avec l’Institut serait plus grand que l’avantage obtenu pour le règlement correct du litige.
Bien que certains cadres réglementaires prévoient que les documents recueillis au cours des enquêtes disciplinaires sont privilégiés, une personne faisant l’objet d’une enquête réglementaire ne devrait pas présumer que le privilège protégera les renseignements qu’elle fournit à l’organisme de réglementation. Les avocats devraient donc consulter le régime législatif approprié s’ils doivent contester une ordonnance de production non partie.
La décision de la Cour d’appel dans l’affaire Philip démontre également son refus de suivre des stratagèmes tactiques qui cherchent à éviter la divulgation. Bien qu’elle n’ait pas interféré avec la décision du juge saisi de la requête de refuser l’ordonnance de production, sa décision sur le privilège au cas par cas montre que les tribunaux feront attention aux pratiques normales de confidentialité des organismes de réglementation plutôt qu’à toute entente particulière conclue entre un organisme de réglementation et l’un de ses membres.
Frais et règlement
Examen de plus en plus minutieux des arrangements en matière d’honoraires d’avocat
Au cours des deux dernières années, nous avons relevé une tendance à ce que les tribunaux exercent un examen plus approfondi des honoraires d’avocats du groupe accordés dans le cadre d’instances réglées. Cette tendance s’est intensifiée en 2015, la Cour supérieure de justice de l’Ontario n’ayant pas écarté une entente d’honoraires d’avocat en raison d’une entente de partage des honoraires conclue entre les avocats du groupe. Les raisons invoquées par la Cour supérieure pour écarter les coûts entrent en conflit avec les ordonnances des juges qui gèrent des instances connexes dans quatre autres juridictions canadiennes. Ces ordonnances contradictoires ont créé de l’incertitude quant à la portée de l’article 32 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs de l’Ontario, qui régit les ententes d’honoraires entre les avocats et les demandeurs représentatifs. Les demandeurs ont interjeté appel de l’ordonnance à prix réduit, et la Cour d’appel de l’Ontario devrait se prononcer sur la question cette année. Nous nous attendons à ce que la décision de la Cour d’appel porte sur les ordonnances contradictoires et fournisse des directives sur les ententes de frais visées par l’article 32.
Règlements individuels dans le cas de recours collectifs agréés
Bien que plus de 20 ans se soient écoulés depuis l’adoption par l’Ontario de la Loi de 1992 sur les recours collectifs, la jurisprudence sur les procédures postérieures à la certification est limitée. Dans une décision récente rendue dans l’affaire Lundy c. Via Rail Canada Inc20, la Cour supérieure de justice de l’Ontario a abordé une série de questions nouvelles qui se posent lorsqu’un défendeur tente d’offrir des règlements individuels aux membres du groupe dans le cadre d’un recours collectif agréé. Cette décision sera pertinente pour les futurs recours collectifs qui franchissent l’étape des questions communes, mais qui demeurent dans l’impasse sur des questions individuelles.
Dans l’arrêt Lundy, la Cour supérieure a finalement statué ce qui suit :
- les offres de règlement individuelles ne peuvent être communiquées aux membres du groupe qu’après la clôture de l’étape des questions communes de l’instance et (s’il y a des questions individuelles) l’émission d’un plan de litige individuel;
- les offres de règlement individuel peuvent être acceptées sans l’approbation du tribunal, mais ne devraient pas inclure de répartition pour les frais ou les frais juridiques; et
- les frais pour les avocats du groupe doivent être évalués à la fin de l’étape des questions communes, afin de « rayer » la « liste des litiges » au début de l’étape des questions individuelles.
Dans l’affaire Lundy, le demandeur a déposé une réclamation contre la défenderesse pour négligence et rupture de contrat pour un déraillement de train survenu en février 2012. Le recours collectif a été certifié sur consentement, avec une taille de classe de 45 passagers (après les retraits). Le défendeur a admis la plupart des questions communes proposées, laissant principalement des questions individuelles de causalité et de dommages-intérêts à déterminer. Après l’échec des négociations avec l’avocat du groupe en vue d’un règlement à l’échelle du groupe, le défendeur a formulé des offres de règlement individuelles. Toutefois, l’avocat du groupe a refusé de distribuer ces offres aux membres du groupe, parce qu’il n’y avait pas encore eu de jugement sur les questions communes.
La Cour supérieure a statué qu’avant que les offres de règlement individuelles puissent être distribuées aux membres du groupe, l’étape des questions individuelles du litige doit avoir été officiellement commencée. Plus précisément, l’article 25 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs exige que le tribunal effectue une série d’étapes une fois que les questions communes ont été tranchées, notamment :
- définir les questions individuelles restantes;
- décider qui déterminera les questions individuelles (p. ex., un juge ou un arbitre);
- donner des directives sur la procédure à suivre pour résoudre les problèmes individuels; et
- l’établissement d’une limite de temps pour les réclamations individuelles.
Bien que les règlements à l’échelle du groupe nécessitent l’approbation du tribunal, la Cour supérieure a statué que cela n’était pas nécessaire pour les règlements individuels et constituerait un « gaspillage des ressources de la cour ». La surveillance par la Cour supérieure des règlements à l’échelle du groupe protège les membres non représentés du groupe contre les préjudices causés par le règlement, mais il ne s’agit pas d’une préoccupation lorsque le membre du groupe accepte personnellement le règlement.
Une question connexe était de savoir si les honoraires conditionnels devaient être répartis dans le cadre de l’offre de règlement individuelle. Bien que ceux-ci soient de nouveau soumis à un examen minutieux dans le cadre d’un règlement à l’échelle du groupe, la Cour supérieure a statué que la répartition des frais dans un règlement individuel n’est « pas la préoccupation du défendeur ». L’inclusion d’une répartition des frais qui pourrait différer de l’accord de mandat du membre du groupe « ne ferait qu’attiser les ennuis ».
Elle a également conclu que les avocats du groupe ont droit à des dépens pour « gérer avec succès le recours collectif » à l’étape des questions communes, indépendamment de l’échec potentiel à l’étape des questions individuelles. Elle a conclu que la liste devrait être effacée avant le début de l’étape des questions individuelles, car les membres du groupe ne seront pas nécessairement représentés par le même avocat.
Dans l’affaire Lundy, l’avocat des demandeurs a demandé plus de 632 000 $ en dépens pour le procès en litige commun, après avoir accepté des dépens de seulement 16 950 $ pour la requête en autorisation. Abordant la possibilité que les avocats du groupe reçoivent en fin de compte plus que les membres du groupe eux-mêmes en frais et honoraires conditionnels, la Cour supérieure a fait remarquer que « de temps à autre, l’optique d’un recours collectif particulier n’est pas jolie mais assez laide ». Elle a reporté l’attribution des frais à une date ultérieure et a finalement ordonné des dépens de 214 624,41 $, soulignant que les dépens ne devraient être attribués que pour les travaux effectués à l’étape particulière de l’instance. La demande d’évaluation médicale et psychologique des demandeurs a été rejetée, car il a été conclu que ces débours devraient être réservés à l’étape des questions individuelles du recours collectif.
La défense par la Cour supérieure d’une ligne claire entre les différentes étapes de l’instance pour les questions de dépens est utile pour les parties qui atteignent les dernières étapes d’un recours collectif. Cette décision limite les demandes d’honoraires et de débours d’une partie aux frais engagés au cours d’une étape donnée, ce qui peut fournir à l’avocat de la défense des arguments pour reporter certains débours. Lundy souligne également que les demandeurs individuels font face à des conséquences financières à l’étape des questions individuelles de l’instance. Les défendeurs devraient donc faire des offres en application de la règle 49 une fois que la procédure aura atteint ce stade, car ces offres peuvent aider à recouvrer ou à réduire les frais qui pourraient autrement être payables.
Lundy montre également que les tribunaux accorderont aux parties une grande flexibilité dans la structuration de la phase individuelle du recours collectif. La décision établit un cadre général qui vise à donner aux parties les outils nécessaires pour résoudre les questions qui se posent à l’étape des questions individuelles du recours collectif. Cela ajoute une clarté bienvenue, ce qui devrait aider à guider les parties qui atteignent cette phase.
Malgré ce cadre, les parties dans l’affaire Lundy n’ont pas pu s’entendre sur un plan de litige. En novembre, ils ont demandé l’approbation de leurs plans d’enjeux individuels, et les motifs de la Cour supérieure révèlent que les questions litigieuses sont demeurées malgré le stade avancé du recours collectif.21 À l’avenir, les parties qui atteignent ce stade peuvent se tourner vers Lundy pour obtenir des conseils, mais devraient s’attendre à faire face à des désaccords sur la meilleure façon de mettre en œuvre un plan de litige pour résoudre les problèmes individuels.
Remarques :
1. 2015 CSC 18, [2015] 2 RCS 106.
2. 2015 CSC 60, 391 DLR (4e) 567.
3. 2015 ONSC 3686, 127 OU (3d) 199.
4. Une Cour suprême divisée a statué que l’article 28 de la Loi de 1992 sur les recours collectifs n’a pour effet de suspendre le délai de prescription de trois ans qu’une fois l’autorisation accordée. Bien que cette question ait été importante pour les parties, elle est devenue en grande partie théorique étant donné que les lois pertinentes sur les valeurs mobilières ont été modifiées pour prévoir que le délai de prescription est suspendu à la date à laquelle un avis de requête en autorisation d’intenter l’action est déposé auprès du tribunal.
5. 2015 BCCA 26, 381 DLR (4e) 575.
6. 2015 ABQB 139, 65 CPC (7e) 382.
7. 2015 ONSC 2470, 19 CCLT (4e) 47.
8. 2015 ONSC 7950, 2015 CarswellOnt 19420.
9. 2014 BCCA 36, [2014] 5 WWR 7.
10. 2014 BCSC 532, 242 ACWS (3d) 775.
11. Watson c. Bank of America Corporation, 2015 BCCA 362, 389 DLR (4th) 577.
12. 2015 ONSC 6148, 390 DLR (4e) 87.
13. 2015 ONSC 1634, 386 DLR (4e) 313.
14. 2015 ONSC 5332, 126 OU (3d) 756.
15. ABCA 2016 21, 2016 CarswellAlta 94.
16. 2015 NSCA 32, 358 NSR (2d) 39.
17. 2015 ONCA 158, 125 OU (3d) 168.
18. 2014 BCCA 61, [2014] 5 WWR 481.
19. 2015 ONCA 60, 330 OAC 148.
20. 2015 ONSC 1879, 250 ACWS (3d) 563.
21. 2015 ONSC 7063, 260 ACWS (3d) 451.