La plupart des administrations au Canada exigent le consentement unanime de tous les actionnaires (y compris les actionnaires sans droit de vote) pour qu’une société sans droit de vote puisse se passer d’une vérification. L’exigence est absolue et obligatoire, avec des exceptions très limitées (à savoir le statut d’émetteur non déclarant et le consentement unanime). Bien que la raison d’être de la politique publique qui sous-tend la règle puisse être louable, sa mise en œuvre dans la pratique peut être austère. Comme il a été écrit précédemment dans Auditing the Audit, il est temps de revoir l’exigence d’audit universel telle qu’elle s’applique aux sociétés non distributantes.
La Loi canadienne sur les sociétés par actions (et la plupart de ses homologues provinciaux) prévoit généralement que les actionnaires des sociétés non distributrices peuvent décider de ne pas nommer de vérificateur à condition que tous les actionnaires, y compris les actionnaires qui n’ont pas autrement droit de vote, y consentent à cette résolution. Bien que la Companies Act de l’Île-du-Prince-Édouard soit muette sur ce point, la jurisprudence laisse entendre que des états financiers vérifiés sont requis (voir MacLeod c. Murray). Contrairement à toutes les autres administrations au Canada, le Nouveau-Brunswick autorise, mais n’exige pas, la nomination d’un vérificateur. De plus, si un auditeur est nommé au cours d’une année donnée, cette nomination peut être supprimée l’année suivante par résolution ordinaire (n’exigeant donc pas l’unanimité). De même, le Yukon a récemment modifié sa législation sur les sociétés afin d’exempter certaines sociétés privées de l’obligation de vérification, à moins que : (i) les statuts d’une société ou la convention unanime des actionnaires n’exigent une vérification, ou (ii) les détenteurs d’au moins cinq pour cent des actions émises d’une société (y compris les actions sans droit de vote) ne demandent la nomination d’un vérificateur.
L’application universelle de l’exigence de vérification peut avoir des conséquences imprévues et graves, en particulier sur les petites sociétés privées. Dans de nombreux cas, une vérification n’est pas nécessaire ou le coût est prohibitif et disproportionné par rapport aux ressources financières de la société et à la valeur de l’investissement d’un actionnaire. Les audits peuvent coûter des dizaines de milliers de dollars et payer le coût d’un audit peut laisser une entreprise avec des bénéfices réduits ou nuls à distribuer aux actionnaires, ou pire encore, encore plus endettés. Ironiquement, l’application même de la règle qui vise à protéger les investissements des actionnaires pourrait, dans bien des cas, les mettre en péril.
Étant donné que la dispense d’une vérification nécessite un consentement unanime, le sort d’une société, et l’investissement de tous les autres actionnaires dans cette société, pourrait reposer entre les mains d’un seul actionnaire, quel que soit le statut de cet actionnaire en tant qu’actionnaire avec droit de vote ou sans droit de vote et quelle que soit la taille de l’investissement de cet actionnaire. Bien qu’il puisse être injuste pour un actionnaire minoritaire de refuser une évaluation indépendante de l’état financier d’une société, il est tout aussi, peut-être plus, injuste pour les actionnaires majoritaires restants de subir les conséquences d’une telle évaluation si elle est par ailleurs inutile ou non rentable.
La jurisprudence a statué que le motif d’un actionnaire et les conséquences financières de l’exigence d’une vérification ne sont pas pertinents. Frappés par la dureté inébranlable de cette règle, certains juges ont (à juste titre) tenté d’atténuer ses ramifications. Dans l’arrêt Barbour c. Jamestown Lumber Co, le juge Handrigan a écrit ce qui suit :
J’ai tenu compte de cette limite en limitant la vérification au plus récent exercice de Jamestown Lumber. Dans les circonstances de l’espèce, il s’agirait d’une dépense injuste et inutile pour la société et, en fin de compte, pour ses autres actionnaires d’exiger une vérification pour une période plus longue.
Plus récemment, dans l’affaire Packall Packaging Inc c. Ciszewski, la juge Laurence A. Pattillo de la Cour supérieure de justice de l’Ontario a rejeté la demande d’un actionnaire minoritaire visant à exiger que toutes les sociétés (y compris les sociétés non exploitantes) d’un groupe de sociétés apparentées fournissent des états financiers vérifiés de façon continue. Le juge Pattillo a conclu que de telles déclarations vérifiées ne fourniraient pas de renseignements supplémentaires utiles et coûteraient plus d’argent à préparer (et n’étaient donc rien de plus qu’une demande importune). La Cour d’appel de l’Ontario a finalement infirmé le jugement inférieur, mais a limité son ordonnance à une seule des sociétés de portefeuille dont le demandeur était actionnaire direct. Dans une remarque incidente, la Cour d’appel a laissé entendre qu’une dispense de l’exigence de vérification aurait pu être demandée en plaidant l’oppression (ce qui, malheureusement, n’avait pas été plaidé dans la demande en l’espèce).
Comparativement à d’autres juridictions de premier plan en droit des sociétés, le modèle d’universalité du Canada est draconien. Certains États américains (dont New York et le Delaware) n’exigent pas d’états financiers vérifiés pour les sociétés privées. Au Royaume-Uni et en Australie, des exemptions légales des exigences de vérification (en fonction des revenus, des actifs et du nombre d’employés) sont accordées aux petites entreprises privées. La souplesse offerte par la Loi sur les sociétés par actions du Nouveau-Brunswick et les récentes modifications apportées à la Loi sur les sociétés par actions du Yukon sont les bienvenues et se sont attendues depuis long dans le paysage canadien. L’exigence de vérification à toute épreuve du Canada est mal adaptée, déséquilibrée et disproportionnée pour d’innombrables petites entreprises privées. Un meilleur équilibre entre les droits des actionnaires minoritaires et majoritaires est nécessaire.
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