Écrit par Natalia Iamundo et Michelle Yung
Les droits de douane font peser de nouvelles contraintes sur la construction des centres de données en raison de la hausse des coûts d’une série de matériaux et de composants importés. Même légères, les hausses de prix et les perturbations dans la chaîne d’approvisionnement peuvent avoir des conséquences majeures. Nous examinons ci-dessous les cinq principaux effets des droits de douane sur la construction des centres de données et expliquons en quoi le Canada reste malgré tout un lieu de prédilection en la matière.
Hausse des coûts de construction
Les nouveaux droits de douane sur des matériaux essentiels comme l’acier, l’aluminium et le cuivre menacent de faire grimper en flèche les coûts de construction des centres de données. Ces matériaux sont essentiels pour les structures physiques et les systèmes électriques des installations, notamment les systèmes de refroidissement pour les serveurs à haute densité. Certains analystes estiment que les droits de douane sur les matières premières pourraient entraîner une hausse des coûts de construction de l’ordre de 5 %1.
Perturbations dans la chaîne d’approvisionnement
Les droits de douane ont aggravé les goulets d’étranglement actuels de la chaîne d’approvisionnement. Ils en ont aussi créé de nouveaux, surtout dans le domaine des composants électriques, tels que les transformateurs et les infrastructures d’énergie. Wood Mackenzie, une société de premier plan de renseignements sur les marchés, indique que les États-Unis importent plus de 80 % de leurs grands transformateurs de puissance. Ils sont approvisionnés en divers types d’équipements électriques par le Canada, le Mexique, la Chine et l’Union européenne. En 2024, 20 % des importations américaines d’appareillages de commutation à haute tension et 100 % des importations de poteaux électriques provenaient du Canada, ce qui représente environ 15 % du marché américain.
Par conséquent, les droits de douane plus élevés retarderont autant l’approvisionnement de composants dont la demande est déjà très forte et l’offre, limitée, que l’achèvement des nouveaux centres de données et leur mise en état d’exploitation.
Incertitude dans la planification du marché
La volatilité des politiques commerciales à l’heure actuelle ajoute une couche de complexité qui passe mal pour une catégorie d’actifs qui exige une planification à long terme et des investissements considérables. Élaborer le budget d’un projet devient un exercice de plus en plus ardu quand les droits de douane sont susceptibles de changer à tout moment. Après avoir constaté au printemps que certains hyperscalers ralentissaient ou suspendaient leurs projets de centres de données, le vent semble tourner. En effet, Amazon a récemment annoncé son intention d’investir 20 milliards de dollars américains en Pennsylvanie et 20 milliards de dollars australiens en Australie pour développer l’infrastructure de ses centres de données, ainsi que 10 milliards de dollars américains en Caroline du Nord pour une nouvelle infrastructure infonuagique, ainsi que 5 milliards de dollars américains dans un groupe de centres de données à Taïwan.
Incidences sur l’IA et les applications avancées
La plus importante conséquence de ces droits de douane est sans doute les entraves aux infrastructures nécessaires au développement de l’intelligence artificielle (IA). Les systèmes de calcul à haute performance et les charges de travail liées à l’IA dépendent fortement du matériel très perfectionné, comme les processeurs graphiques, les accélérateurs spécialisés et les systèmes de refroidissement liquide, qui sont souvent importés de pays soumis à des droits de douane. L’augmentation du coût de ces produits pourrait ralentir l’innovation et le déploiement des solutions d’IA de nouvelle génération.
Des restrictions sur l’accès à l’énergie
L’infrastructure énergétique constitue l’élément vital des centres de données, et les droits de douane ont aggravé les problèmes de congestion du réseau et de répartition des ressources. La hausse du coût des transformateurs et d’autres équipements électriques pourrait compromettre l’accès à une énergie fiable et abordable. Cette situation est particulièrement problématique dans les régions caractérisées par une forte demande et dont la capacité du réseau est déjà largement hypothéquée.
La situation du Canada
Malgré ces facteurs, le Canada compte une multitude d’avantages stratégiques pour la création de centres de données :
- la proximité des principaux marchés, ce qui lui permet de représenter un véritable nœud de connexion2;
- des coûts énergétiques moins élevés, surtout au Québec et en Colombie-Britannique;
- une très grande infrastructure énergétique, comprenant des énergies renouvelables (essentielles pour les grandes entreprises technologiques soucieuses de durabilité);
- un climat favorable qui réduit le recours au refroidissement artificiel et atténue le risque d’événements météorologiques extrêmes;
- des lois rigoureuses en matière de protection des données et de la vie privée;
- une main-d’œuvre qualifiée dont les centres de données ont besoin à différentes étapes.
Le Canada réalise actuellement plusieurs investissements majeurs dans l’infrastructure numérique. En décembre 2024, le gouvernement fédéral a dévoilé sa Stratégie canadienne sur la capacité de calcul souveraine pour l’IA, un plan de 2 milliards de dollars canadiens dont les objectifs sont les suivants : (i) favoriser la croissance des champions canadiens de l’IA en investissant dans des centres de données nouveaux ou plus étendus (dans le cadre du Défi de la capacité de calcul pour l’IA); (ii) construire une infrastructure informatique publique; (iii) fournir un accès abordable à la puissance de calcul aux petites et moyennes entreprises (par l’entremise du Fonds d’accès à une capacité de calcul pour l’IA)3 afin d’augmenter la capacité de calcul nationale.
L’IA figurait en bonne place dans le programme de campagne du premier ministre Mark Carney et le Canada a désormais son premier ministre de l’IA, ce qui montre clairement que la souveraineté économique du Canada est étroitement liée à sa stratégie axée sur l’innovation numérique. À l’échelon provincial, et comme Bennett Jones l’a longuement expliqué ici, le gouvernement de l’Alberta a lancé une stratégie d’IA (AI Data Centre Strategy) qui présente les nombreux avantages de la province en matière de création de centres de données.
Dans le secteur privé, il s’est dessiné récemment une tendance en faveur d’une infrastructure basée au Canada, en partie pour atténuer les risques transfrontaliers en matière de données et de droits de douane. En mai 2025, TELUS a annoncé un investissement de 70 milliards de dollars canadiens sur cinq ans pour étendre et améliorer son infrastructure de réseau et ses activités dans tout le Canada, en partie pour « stimuler l’innovation nationale et contribuer à la prospérité des collectivités urbaines et rurales ». Il convient de relever le lancement de deux usines d’IA souveraines à Kamloops, en Colombie-Britannique, et à Rimouski, au Québec. Dans le même ordre d’idées, Bell Canada a annoncé la création du Réseau IA tissé de Bell, un réseau national commençant par une supergrappe de centres de données en Colombie-Britannique, qui fournira plus de 500 MW de capacité de calcul d’IA alimentée par l’énergie hydroélectrique dans six installations.
Découvrir le nouveau contexte
Les droits de douane forcent les sociétés actives dans la création de centres de données à revoir leurs stratégies. Nombre d’entre elles cherchent à diversifier leurs chaînes d’approvisionnement, à se procurer des composants sur le marché intérieur ou à investir dans de nouvelles solutions énergétiques pour réduire les effets de ces droits de douane. Même s’il faut du temps pour mener à bien ces adaptations et que le chemin à parcourir reste imprévisible, le Canada est en passe de devenir une puissance mondiale dans le domaine des centres de données2.
Bennett Jones a écrit sur les effets généralisés des droits de douane sur les coûts de construction dans son billet précédent Naviguer dans les tensions tarifaires entre les États-Unis et le Canada : Gestion des risques dans les contrats de construction, et aussi sur le mode d’investissement des fonds privés dans l’infrastructure numérique nécessaire au développement des centres de données dans son billet précédent L’investissement en capital-investissement dans les pics et les pelles du boom de l’infrastructure d’IA.
Bennett Jones propose des solutions juridiques complètes adaptées aux besoins particuliers de la création de projets de centres de données. Nous disposons d’une équipe chevronnée qui maîtrise les domaines d’expertise pluridisciplinaires essentiels pour encadrer ces projets. Pour en savoir plus sur les qualifications et l’expérience de nos différentes équipes, veuillez consulter nos secteurs de pratique Énergie, Infrastructures, Construction, Immobilier commercial, Réglementation de l’énergie, Droit fiscal et Propriété intellectuelle.
Pour discuter des conséquences des droits de douane sur la création de projets de centres de données et des moyens que votre organisation peut mettre en œuvre pour s’y adapter, veuillez communiquer avec l’un des auteurs.
1 CBRE. (19 mars 2025) On again, off again: Tariffs & commercial real estate. CBRE Insights. https://www.cbre.com/insights/briefs/on-again-off-again-tariffs-and-commercial-real-estate
2 Foster, D. (31 décembre 2024). Data centres: Powering innovation by migrating north. Ivey Business Review. https://www.iveybusinessreview.ca/magazine/articles/canada-data-centres
3 Canadian Defence Review. (5 décembre 2024) Canada launches Canadian Sovereign AI Compute Strategy. Canadian Defence Review. https://canadiandefencereview.com/canada-launches-canadian-sovereign-ai-compute-strategy
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