Écrit par Richard Dion, David A. Dodge O.C. and Michael Horgan
Les Canadiens viennent d’entrer dans une décennie au cours de laquelle leur revenu disponible réel aura tendance à croître à un rythme beaucoup plus lent que par le passé. Depuis 2007, les ménages canadiens ont pratiquement bien maintenu le même rythme moyen de croissance de leur revenu disponible réel (par habitant) qu’au quart de siècle précédent, malgré une récession et une reprise lente. Cette situation devrait changer au cours de la prochaine décennie, car des données démographiques défavorables feront baisser la croissance du revenu réel par habitant. Il est peu probable qu’une croissance plus rapide de la productivité, une participation accrue au marché du travail ou des gains dans les termes de l’échange fournissent plus qu’une compensation très partielle aux données démographiques défavorables. Cela signifie qu’en moyenne, le pouvoir d’achat (et le pouvoir d’épargne) des ménages canadiens devrait progresser beaucoup plus lentement que par le passé. Dans un tel contexte de faible croissance du revenu moyen des ménages, les problèmes liés à la répartition des revenus entre les ménages sont susceptibles de devenir plus aigus.
Cadre d’analyse
La croissance du revenu disponible réel fait référence à la croissance après inflation du revenu des ménages après le paiement de l’impôt sur le revenu des particuliers et la prise en compte des transferts vers et depuis d’autres agents. Il existe deux approches pour retracer les sources de croissance du revenu disponible réel. La première consiste à examiner l’évolution et l’importance relative des salaires, traitements et autres composantes réels du revenu réel des ménages. La deuxième consiste à examiner les moteurs de la croissance du revenu national réel et les facteurs qui déterminent les variations de la part des ménages dans cette croissance. Les deux approches reposent sur les identités des comptes nationaux. Dans ce rapport, nous utilisons la deuxième approche parce qu’elle établit un lien direct avec les fondements fondamentaux de la croissance des revenus et facilite la planification de ce qui pourrait arriver à l’avenir.
Ainsi, dans cette deuxième approche, la croissance du revenu réel des ménages peut être considérée comme dépendant de deux ensembles de facteurs: les facteurs de croissance, c’est-à-dire ceux qui stimulent la croissance du revenu national réel et que nous associons principalement à l’offre de l’économie, tels que la croissance des heures travaillées et de la productivité du travail; et les facteurs de répartition, c’est-à-dire ceux qui déterminent l’ampleur de la croissance du revenu disponible réel que les ménages tirent de la croissance du revenu national réel, comme le régime fiscal et de transfert. Comme le montre le tableau 1 ci-dessous, la croissance du revenu disponible réel au cours des 30 dernières années a été beaucoup plus stable que la croissance du revenu national réel (revenu des entités canadiennes) ou du PIB réel (revenu produit au Canada)1 en raison de l’influence stabilisatrice des facteurs de distribution.
Examinons plus en détail la nature des facteurs de croissance et les facteurs de distribution avant d’analyser les données
Facteurs de croissance
- Croissance du nombre total d’heures travaillées: entraînée par des facteurs démographiques et économiques qui influent sur la croissance de la population en âge de travailler, le taux d’emploi et le nombre moyen d’heures travaillées par travailleur.
- Croissance de la productivité du travail : tirée par la croissance du capital physique, intellectuel et humain par travailleur et par le rythme de l’innovation technologique et organisationnelle.
- Changements dans les termes de l’échange (prix des exportations par rapport au prix des importations): entraînés par les variations des prix réels des produits de base sur les marchés mondiaux. L’augmentation des termes de l’échange contribue à l’augmentation du revenu national réel parce qu’elle augmente le volume des dépenses intérieures réelles que les entités canadiennes peuvent se permettre à partir de leurs revenus nominaux provenant de la production nationale. Les termes de l’échange fluctuent au cours du cycle économique, de sorte qu’au cours de courtes périodes, ils peuvent avoir de fortes répercussions sur la croissance du revenu réel dans un sens ou dans l’autre. Sur de longues périodes, les termes de l’échange ont tendance à avoir un effet relativement modeste sur la croissance du revenu réel.
- Variations du revenu de placement net provenant de l’étranger : tenir compte des revenus que les entités canadiennes reçoivent des non-résidents et qu’elles paient à ces entités. Ils ont apporté une contribution négligeable à la croissance du revenu réel au Canada.
Facteurs de répartition
- Variations de la part des ménages dans le revenu national : une augmentation de cette part augmente le revenu disponible réel par rapport au revenu national réel. Au cours des dernières décennies, la part des ménages a connu une tendance à la baisse importante, reflétant probablement à la fois une érosion du pouvoir de marché de la main-d’œuvre en raison de la mondialisation et des changements technologiques et une augmentation de l’intensité du capital dans l’économie. Au Canada, la part des ménages a également tendance à réagir négativement à la hausse des prix réels des produits de base.
- Variations du prix de la consommation par rapport au prix des dépenses intérieures finales (c.-à-d. consommation + investissement + achats de biens et de services par les administrations publiques) : une baisse du prix relatif de la consommation augmente le revenu disponible réel (déflaté par le prix de la consommation) par rapport au revenu national réel (déflaté par le prix des dépenses intérieures finales). Sur de longues périodes, ce facteur a très peu contribué à la croissance du revenu disponible réel parce que le prix de la consommation a suivi essentiellement la même trajectoire que le prix des dépenses intérieures finales. Sur de courtes périodes, cependant, cela peut faire une différence significative.
- Régime d’impôt et de transfert : comprend les transferts reçus des gouvernements par les ménages, comme les prestations d’assurance-emploi et les prestations de vieillesse, ainsi que les transferts versés par les ménages aux gouvernements, comme l’impôt sur le revenu des particuliers et les cotisations d’assurance-emploi. Le régime fiscal et de transfert exerce une influence anticyclique sur le revenu disponible des ménages, car il reflète l’utilisation de stabilisateurs automatiques. Par exemple, en période de ralentissement économique, la croissance de l’impôt sur le revenu des particuliers diminue, tandis que les transferts d’assurance-emploi au secteur des ménages ont tendance à augmenter.
Croissance du revenu réel au cours des 30 dernières années
Comme le montre le tableau 1, 1984-2007 a été une période de croissance assez robuste du revenu national réel. Le nombre total d’heures travaillées a apporté une contribution importante, car les données démographiques étaient favorables (la population en âge de travailler augmentait relativement rapidement), le taux d’activité augmentait généralement et le taux de chômage tendancait à diminuer. La croissance de la productivité du travail a été assez modérée par rapport à son rythme des décennies précédentes d’après-guerre et un peu plus faible que la croissance de la productivité aux États-Unis. Les termes de l’échange se sont améliorés parallèlement à la hausse des prix réels des produits de base, en particulier entre 2003 et 2007. Toutefois, la croissance du revenu disponible réel a été sensiblement freinée par une baisse sensible de la part du revenu national des ménages et un frein important du système d’impôt et de transfert. Ainsi, le revenu disponible réel n’a augmenté que de 2,5 % par année entre 1984 et 2007, tandis que le revenu national réel et le PIB réel ont progressé de 3,2 % et de 2,9 % respectivement.
Au cours de la période de 2008 à 2014, qui comprend une récession au Canada, la croissance du revenu disponible réel a à peine diminué par rapport à la période de 1984 à 2007 et a largement dépassé la croissance du revenu national réel et du PIB réel. La faible croissance du revenu national réel s’est produite en raison d’un ralentissement marqué de la croissance du nombre total d’heures travaillées et de la productivité du travail et d’une baisse appréciable des termes de l’échange. Ce qui a permis d’économiser la mise à la croissance du revenu disponible réel, c’est que les facteurs de distribution sont devenus favorables aux ménages : la part des ménages dans le revenu national a augmenté modestement au lieu de diminuer, car le revenu du travail s’est avéré beaucoup moins sensible que les bénéfices au ralentissement économique; le prix relatif de la consommation a diminué, ce qui a fait augmenter le revenu disponible réel par rapport au revenu national réel; et le régime d’impôt et de transfert sur le net a retiré des fonds aux ménages à un taux moindre, la croissance de l’impôt sur le revenu des particuliers ayant ralenti plus que la croissance des transferts aux ménages. Ainsi, le revenu disponible réel a augmenté de 2,4 % par année entre 2008 et 2014, tandis que le revenu national réel et le PIB réel n’ont progressé que de 1,4 % et de 1,6 % respectivement.
Projections du revenu réel au cours de la prochaine décennie
Au départ, il faut compter que la prochaine décennie au Canada sera probablement témoin de quatre changements importants par rapport aux deux ou trois décennies précédentes : la démographie ralentira la croissance économique au Canada au lieu de la stimuler; la croissance mondiale et le rythme de la mondialisation seront plus lents; les prix réels des produits de base et les termes de l’échange canadiens seront relativement stables en moyenne (à des niveaux assez élevés) plutôt que généralement l’augmentation; et le dollar canadien devrait fluctuer dans une large fourchette centrée sur 0,85 $US, et éviter des épisodes persistants de faiblesse aiguë, comme au cours de la décennie allant jusqu’en 2003.
Nos projections de base de la croissance du revenu réel disponible au Canada sont conformes à ces changements prévus. Au cours de la prochaine décennie, le revenu disponible réel par habitant ne devrait pas augmenter beaucoup au-dessus de la moitié du taux enregistré au cours des 30 dernières années, c’est-à-dire un maigre 0,9 pour cent par an. Cela reflète la probabilité que la croissance du revenu national réel ralentisse considérablement et que la part nette après impôt des ménages dans ce revenu diminue. Le ralentissement prévu de la croissance du revenu réel découlerait en grande partie de données démographiques défavorables : une croissance plus lente de la population en âge de travailler en raison de baisses antérieures du taux de natalité et d’une baisse du taux d’activité en raison du vieillissement de la population. En plus d’une nouvelle diminution prévue du nombre moyen d’heures travaillées par travailleur, cela ralentirait considérablement la contribution du nombre total d’heures travaillées à la croissance de la production et du revenu réel. Un facteur atténuant probable est que les taux d’activité des personnes âgées de 55 à 70 ans sont susceptibles d’être sur des tendances à la hausse au cours de la prochaine décennie en raison des pressions économiques ou des incitations à entrer ou à rester plus longtemps dans la population active. Notre scénario de base tient compte de ces tendances à la hausse. Cependant, cela laisse encore un déficit substantiel dans la croissance du nombre total d’heures travaillées par rapport au passé.
Tableau 1 : Facteurs contribuant à la croissance du revenu national brut réel et du revenu disponible (%)
contributions à la croissance (%)
2015-2024
2015-2024
2015-2024
Sources : Calculs fondés sur les données des matrices Cansim 380-0065, 380-0066, 380-0071, 380-0072 et 051-0001 de Statistique Canada. Il est à noter que les calculs ont été effectués à l’état des données disponibles avant la diffusion des comptes nationaux du Canada le 29 mai 2015.
On ne peut pas compter sur les gains futurs des termes de l’échange (hausse des prix des produits de base) pour compenser de manière significative l’impact de cette croissance plus lente du nombre total d’heures travaillées sur la croissance du revenu national réel. Les termes de l’échange ont stimulé la croissance du revenu national réel entre 1984 et 2007 et l’ont déprimé au cours de la période 2008-2014. Les termes de l’échange, stimulés par les fluctuations des prix réels des produits de base, sont difficiles à prévoir en raison de l’évolution future incertaine des facteurs qui influent à la fois sur la demande de ressources (p. ex. la croissance en Chine) et sur l’offre de produits de base (p. ex., la technologie). Nous sommes d’avis qu’un scénario de termes de l’échange stables pour la prochaine décennie équilibre les risques, d’autant plus que les prix réels des produits de base sont actuellement à des niveaux relativement élevés par rapport aux normes historiques.
En même temps que le revenu national réel ralentirait, la part des ménages dans ce revenu devrait diminuer, quoique à un rythme beaucoup plus lent qu’au cours de la période 1984-2007, en partie parce que l’impact négatif de la mondialisation sur les salaires réels est susceptible de diminuer et que la main-d’œuvre devrait devenir relativement plus rare au Canada en raison de la démographie. De plus, le régime actuel d’impôt et de transfert n’aura probablement en moyenne aucun effet sur la croissance du revenu disponible réel au cours de la prochaine décennie, contrairement à un effet négatif de 1984 à 2007. Cela s’explique par le fait que la croissance des transferts reçus par les ménages devrait correspondre à la croissance de l’impôt sur le revenu et des cotisations aux régimes d’assurance sociale payés par les ménages au cours de la prochaine décennie, plutôt que d’être inférieure à celle de 1984-2007. Au cours de la période 2015-2024, la croissance du revenu des ménages et des paiements ralentira probablement plus que la croissance des recettes de transfert par rapport à 1984-2007. On s’attend à ce que les recettes des transferts pour les personnes âgées augmentent relativement rapidement en raison du vieillissement de la population.
Une augmentation relativement rapide de la qualité des biens et services de consommation à forte intensité technologique au cours de la prochaine décennie, si elle est bien saisie par les prix à la consommation compilés par Statistique Canada, pourrait entraîner une baisse du prix relatif de la consommation et, par conséquent, stimuler le taux de croissance du revenu disponible réel par rapport au taux de croissance du revenu national réel. Bien que cela semble une hypothèse raisonnable à faire, nous n’avons pas tenu compte de cette possibilité dans notre scénario de base ou dans notre scénario optimiste, car il reste encore beaucoup de progrès à faire dans la mesure de la qualité des biens et services de consommation. En outre, le rythme auquel l’amélioration de la qualité se poursuivra au cours de la prochaine décennie est très incertain. Néanmoins, il convient de garder à l’esprit que le rythme réel de la croissance du revenu réel au cours de la prochaine décennie pourrait bien dépasser celui mesuré en raison d’une amélioration relativement rapide (mais non mesurée) de la qualité des biens de consommation et des services.
Cela laisse la croissance de la productivité du travail comme le seul facteur qui pourrait soutenir de façon importante la croissance du revenu réel (telle que mesurée) à l’avenir. Dans notre scénario de base, nous supposons que la croissance de la productivité au cours des 10 prochaines années sera légèrement supérieure à sa moyenne de 1984 à 2007 (1,4 pour cent contre 1,2 pour cent) en partant du principe que l’abondance réduite de la main-d’œuvre, en particulier des travailleurs qualifiés, commence à exercer une pression à la hausse sur les salaires réels et incite ainsi les entreprises à investir davantage dans les technologies permettant d’économiser de la main-d’œuvre. Cet incitatif sera probablement renforcé par les attentes des entreprises selon lesquelles le dollar canadien devrait demeurer dans une fourchette autour de 0,85 $US et ne pas tomber aux niveaux beaucoup plus bas observés pendant la majeure partie de la période de 1984 à 2007.
Mais la croissance de la productivité pourrait bien ne pas s’améliorer au cours de la prochaine décennie et pourrait en fait se maintenir au faible taux moyen connu depuis 2007. De plus, il est tout à fait possible que les taux d’activité des différents groupes d’âge demeurent également aux niveaux actuels. Cette faible projection de cas impliquerait que le revenu réel par habitant augmenterait à seulement 0,4 pour cent par an par rapport à la moyenne de 1984-2014 de près de 1,4 pour cent par an (et par rapport à 0,9 pour cent dans notre scénario de base). Bien que nous attachions une probabilité plus élevée au résultat du scénario de base, le résultat de la base de cas reste une possibilité claire.
Dans l’ensemble, nous nous attendons à ce que les données démographiques défavorables dépriment la croissance du revenu disponible réel par habitant à de faibles niveaux au cours de la prochaine décennie. Cela limitera considérablement les progrès réalisés dans le niveau de vie du ménage canadien moyen. On ne peut pas compter sur une série durable de gains en termes d’échanges pour amortir sensiblement le coup. Même une poussée de croissance de la productivité du travail importante et suffisamment persistante pour faire une différence importante serait un défi de taille compte tenu de l’expérience décevante des 30 dernières années. Pourtant, c’est ce qu’il faudrait pour ramener la croissance du revenu réel par habitant au cours de la prochaine décennie (hypothèses optimistes) au même rythme que celle des 30 dernières années.
Traduction alimentée par l’IA.
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