Écrit par Brad Gilmour, Sean Assie, Nathan Green and Lindsay Chapman
La Cour fédérale du Canada (la Cour) a rendu sa décision le 16 novembre 2023 dans l’affaire Responsible Plastics Use Coalition c Canada1, qui a statué que l’étiquetage par le gouvernement fédéral de tous les articles manufacturés en plastique (PMI) comme toxiques était à la fois déraisonnable et inconstitutionnel.
Un consortium d’entreprises ayant des activités pétrochimiques a demandé à la Cour le contrôle judiciaire de l’ordonnance (ordonnance) du Cabinet fédéral visant à inscrire l’IPM à la Liste des substances toxiques de l’annexe 1 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) (LCPE) pour des motifs de droit constitutionnel et administratif. 2 Les provinces de l’Alberta et de la Saskatchewan sont intervenues pour appuyer l’argument selon lequel le Décret était le plus récent exemple d’excès fédéral dans la compétence provinciale.
La décision mérite d’être prise d’un point de vue stratégique pour deux raisons. Premièrement, cette décision remet en question la future réglementation de l’indice PMI, qui comprend des articles de tous les jours comme les pailles et les sacs d’épicerie et qui est clairement d’une grande importance pour l’industrie pétrochimique et des plastiques. Deuxièmement, dans la foulée du Renvoi relatif à la Loi sur l’évaluation d’impact (Renvoi sur la LEI3), cette décision marque deux fois en seulement cinq semaines que les tribunaux du Canada ont statué que le gouvernement fédéral a outrepassé leur compétence constitutionnelle en matière d’environnement.
D’un point de vue juridique, les motifs de la décision de la Cour, en particulier en ce qui concerne le pouvoir en matière de droit criminel, indiquent comment les futurs litiges environnementaux pourraient continuer à développer ce domaine du droit. Nous tenons à souligner que le ministre d’Environnement et Changement climatique Canada, Steven Guilbeault, a déclaré que le gouvernement fédéral avait l’intention d’interjeter appel de la décision. 4
Ci-dessous, nous fournissons nos idées sur les détails de la décision et ses implications probables pour les litiges et l’élaboration de politiques futurs.
Constitution de la Constitution
Que signifiera cette décision pour une législation future ?
Comment le gouvernement va-t-il de l’avant ?
Constitutional Review
Dans sa demande, le consortium a contesté l’Ordonnance au motif qu’elle s’étendait indûment au-delà du pouvoir du gouvernement fédéral en matière de droit criminel qui lui est conféré en vertu du paragraphe 91(27) de la Loi constitutionnelle de 1867. L’Alberta et la Saskatchewan sont intervenues à l’appui de cet argument.
Pour être classée en vertu de ce pouvoir, la législation fédérale doit consister en une interdiction et une peine et avoir un objet valide en droit criminel. La CSC a précisé que les lois qui s’appuient sur ce pouvoir doivent viser à remédier à un « effet néfaste ou préjudiciable sur le public ». 5
Il y a plus de 25 ans, la Cour suprême du Canada (CSC) a statué que le Canada peut utiliser le pouvoir en matière de droit criminel pour édicter des lois sur la protection de l’environnement dans l’affaire R c Hydro-Québec (Hydro-Québec). 6 Cette décision a été prise dans le contexte d’une poignée de substances qui, selon la CSC, étaient « toxiques au sens réel »7, comme le plomb, le mercure, l’amiante et les BPC. Après avoir réfléchi à Hydro-Québec, le juge Furlanetto s’est concentré sur l’exigence selon laquelle, pour satisfaire au critère du droit criminel, ce qui est restreint doit être réellement dangereux et a conclu que le Cabinet n’aurait pas pu être convaincu que PMI satisfaisait à cette exigence. Par conséquent, la Cour a décidé que « l’ordonnance s’étend au-delà des garde-fous établis à Hydro-Québec ». 8
En vertu du pouvoir en matière de droit criminel, le Parlement ne peut pas assumer le contrôle d’une activité qui n’est pas elle-même nuisible ou dangereuse afin de prévenir les formes nuisibles ou dangereuses de l’activité. À cette fin, la Cour a conclu que ce ne sont pas tous les éléments de pmi qui ont le potentiel de créer une crainte raisonnable de préjudice. Par conséquent, l’ordonnance n’était pas appuyée comme il se doit en vertu de la compétence en matière de droit criminel et, par conséquent, elle dépassait la compétence du Parlement.
Les arguments avancés en l’espèce faisaient écho à ceux entendus devant la CSC dans le renvoi en vertu de la LEI en qualifiant la position du Canada d’argument de « faites-moi confiance ». 9 Bien que le Décret ait effectivement créé la capacité de réglementer tous les PMI, le gouvernement fédéral a fait valoir qu’il limiterait l’utilisation de tels règlements aux seuls PMI qui créent un risque réel pour l’environnement. La Cour n’était pas d’accord avec le gouvernement fédéral, concluant que ceux qui s’opposent à l’ordonnance « ne devraient pas avoir à attendre que des règlements soient adoptés pour contester une ordonnance inconstitutionnelle ». 10
Le juge Furlanetto a souligné à quel point les provinces participent déjà à la réglementation des plastiques. Elle a fait remarquer que l’omniprésence des plastiques dans la société signifie que les entreprises qui produisent le PMI, sous ses nombreuses formes, et celles qui utilisent le PMI relèvent déjà de la compétence provinciale. Elle a donc conclu que cette approche consistant à adopter un ordre illimité, large et global, sans crainte raisonnable de préjudice, menace l’équilibre du fédéralisme.
Le Canada n’a pas cherché à faire respecter l’Ordonnance en invoquant la doctrine de l’intérêt national, en vertu du chef de pouvoir constitutionnel du gouvernement fédéral « Paix, ordre et bon gouvernement ». Malgré cela, en arrivant à sa décision, la juge Furlanetto a exprimé en obiter que PMI ne satisferait pas au critère de la doctrine de l’intérêt national, qui exige qu’un objet donné soit suffisamment unique, distinct et indivisible pour être distingué des questions d’intérêt provincial.
Administrative Review
Cet examen comprenait l’examen de l’ordonnance elle-même et du refus du gouvernement fédéral de permettre à une commission de révision d’évaluer les risques allégués associés à l’IMT à la suite d’objections de diverses parties à l’ordonnance.
Pour entreprendre un examen du caractère raisonnable, la Cour doit tenir compte de l’ordonnance dans le contexte de sa loi habilitante, en l’occurrence la LCPE. Au moment de la demande, le paragraphe 90(1) de la LCPE permettait au Cabinet d’inscrire les substances à l’annexe 1 seulement s’il était convaincu que la substance était toxique. Le juge Furlanetto a confirmé que l’un des objectifs de la partie 5 de la LCPE est le suivante : « Elle prévoit « une procédure pour éliminer du grand nombre de substances potentiellement nocives pour l’environnement ou la vie humaine celles qui présentent uniquement des risques importants de ce type de préjudice ». » 11
La Cour a relevé quelques problèmes liés à la décision du Cabinet. Premièrement, le PMI n’est pas une substance unique comme le plomb ou l’amiante qui sont incontestablement inscrits à l’annexe 1. De plus, bien que le gouvernement ait procédé à une évaluation pour en arriver à sa décision, il n’a tenu compte que de quelques articles en plastique en particulier.
La Cour a conclu que cette évaluation et les éléments de preuve examinés par le Cabinet n’auraient pas pu établir suffisamment que tous les PMI étaient toxiques. Le gouvernement fédéral n’a pas réussi à combler l’écart entre son affirmation selon laquelle tous les PMI ont le potentiel de devenir une pollution plastique et l’ordonnance énumérant tous les PMI comme toxiques. Le juge Furlanetto a conclu que la détermination du PMI comme toxique était un exercice de logique inverse et que l’inscription de l’indice PMI sur l’annexe était trop large pour ce que la LCPE permet.
Ayant déterminé que le Cabinet n’aurait pas pu être convaincu par la preuve que tous les PMI sont toxiques, la Cour a ensuite examiné le caractère raisonnable du refus du ministre de l’Environnement d’une commission de révision. La Cour a conclu que le refus ne répondait pas à la préoccupation des parties selon laquelle l’ordonnance avait une portée excessive.
En omettant de répondre à cette préoccupation centrale, la ministre d’Environnement et Changement climatique Canada a violé les principes de justification et de transparence, qui exigent qu’un décideur administratif tienne compte de manière significative des questions et des préoccupations centrales soulevées par les parties. Le manque de transparence et d’exhaustivité a amené le juge Furlanetto à conclure que le refus était déraisonnable.
What This Decision Mean for Future Legislation ?
On s’attend à ce que le gouvernement fédéral s’appuie une fois de plus sur le pouvoir en matière de droit pénal pour justifier son projet de Règlement sur l’électricité propre, qui sera probablement introduit en vertu de la LCPE dans un proche avenir (voir le blogue de Bennett Jones sur le projet de règlement ici). Ces règlements n’ont pas été bien accueillis dans les provinces qui dépendent davantage des combustibles fossiles pour la production d’électricité, comme l’Alberta et la Saskatchewan. De même, la ministre d’Environnement et Changement climatique Canada a proposé un règlement sur le plafonnement des émissions de GES du pétrole et du gaz, que le gouvernement fédéral pourrait chercher à justifier en vertu du pouvoir en matière de droit criminel.
La décision de la Cour fédérale dans cette affaire laisse entendre que l’utilisation par le Parlement du pouvoir en matière de droit criminel dans de tels contextes continuera probablement d’inciter à l’examen pour s’assurer qu’il est utilisé dans les limites constitutionnelles appropriées et d’une manière qui n’équivaut pas à une « portée excessive ». Les commentaires de la Cour suggérant la nécessité d’une « crainte raisonnable de préjudice »12 dans son analyse constitutionnelle de la question de savoir si le pouvoir en matière de droit criminel s’applique donnent également à penser que cette question précise liée au préjudice — qui a causé des difficultés aux tribunaux au cours des13 dernières années — pourrait continuer d’être réexaminée dans le cadre de litiges constitutionnels futurs.
Cette décision peut également avoir un effet consécutif sur la contestation en cours devant la Cour fédérale14 du Règlement sur les plastiques à usage unique15, qui a été rendue possible par le fait que le PMI a été inscrit comme substance toxique en vertu de la LCPE.
Comment le gouvernement va-t-il de l’avant ?
Malgré la décision, la décision n’entraînera pas la radiation automatique du PMI de l’annexe, car ce pouvoir appartient au Cabinet. De plus, après l’inscription de ce litige, le gouvernement fédéral a abrogé et réédicté l’annexe 1 avec toutes les mêmes substances énumérées en vertu du projet de loi S-5, loi renforçant la protection de l’environnement pour un Canada plus sain16 (« projet de loi S-5 »), de sorte que la décision a été limitée au Décret dans sa version précédente.
Certains commentateurs ont suggéré qu’un moyen de résoudre cette approche trop large de la réglementation des substances toxiques pourrait être de revoir les preuves scientifiques disponibles et d’adapter plus soigneusement la liste des éléments ajoutés à la liste des substances toxiques dans la LCPE aux éléments que les preuves soutiennent réellement comme causant des dommages à l’environnement. 17 Néanmoins, il est peu probable que ce soit l’approche du gouvernement fédéral dans un proche avenir. Le gouvernement fédéral a déclaré qu’il avait l’intention de faire appel de la décision de la Cour.
Bennett Jones a de l’expérience dans tous les aspects du droit de l’énergie et des ressources naturelles, y compris en ce qui concerne les projets d’immobilisations dans les secteurs de la fabrication pétrolière et gazière et pétrochimique, et dans l’élaboration de stratégies pour l’industrie afin de gérer et de s’adapter aux changements dans les lois environnementales et réglementaires. Si vous avez des questions sur l’impact potentiel de la décision de la Cour fédérale sur votre entreprise, contactez l’un des auteurs de cet article ou un membre du groupe de pratique Groupe de pratique environnementale.
1 2023 CF 1511 [Décision sur les plastiques].
3 2023 CSC 23 ; Bennett Jones a agi au nom du gouvernement de l’Alberta devant la Cour suprême du Canada pour faire valoir que la Loi sur l’évaluation d’impact était inconstitutionnelle - voir notre récent billet de blogue sur cette affaire ici.
5 R c Malmo-Levine, 2003 CSC 74 au para 73.
6 [1997] 3 RCS 213 [Hydro-Québec].
7 Ibid au para 145.
8 Décision sur les plastiques au paragraphe 10.
9 Ibid au para 175.
10 Ibid.
11 Ibid au para 61, citant Hydro-Québec au para 147.
12 Décision sur les plastiques au para 171.
13 Voir Peter W Hogg et Wade Wright, Constitutional Law of Canada, 5 e édition (Toronto : Carswell, 2007) (feuillets mobiles mis à jour en 2023, version 1), à §18 :2 – Définition du droit criminel, discutant des motifs divisés de la CSC sur cette question dans le Renvoi relatif à la Loi sur la procréation assistée, 2010 CSC 61 et Renvoi relatif à la Loi sur la non-discrimination génétique, 2020 CSC 17.
14 Petro Plastics Corporation Ltd et al c Canada (Procureur général), dossier de la Cour T-1468-22.
15 SOR/2022-138.
16 SC 2023, c 12.
17 Voir « Lessons in modesty for the Liberals from the courts » (21 nov 2023), The Globe and Mail, Comité de rédaction, en ligne : https://www.theglobeandmail.com/opinion/editorials/article-lessons-in-modesty-for-the-liberals-from-the-courts/