Écrit par Darcy D. Moch, Joanne M. Vandale, and Jared A. Mackey
Dans le budget fédéral de mars 2013, le ministère des Finances a indiqué qu’il avait l’intention d’amorcer un processus de consultation sur certaines pratiques de « chalandage fiscal ». Le 12 août 2013, le gouvernement a publié un document de consultation intitulé Le chalandage fiscal - Le problème et les solutions possibles dans lequel il invite les intervenants à formuler des commentaires sur les approches possibles pour réduire le chalandage fiscal. Le gouvernement a publié le document de consultation dans le cadre d’un vaste examen international des abus potentiels des conventions fiscales. Le 19 juillet 2013, l’Organisation de coopération et de développement économiques (DC) a publié son plan d’action très attendu sur l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices, qui a par la suite été approuvé par les ministres des Finances et les gouverneurs des banques centrales du G20 à Moscou le 20 juillet 2013.
Cette mise à jour fournit un bref résumé du document de consultation et met en évidence les questions que les intervenants, y compris les entreprises multinationales ayant des structures d’investissement et de financement entrantes au Canada, pourraient souhaiter examiner, y compris la présentation de mémoires au gouvernement concernant l’élaboration d’une approche appropriée pour le chalandage fiscal.
Le chalandage fiscal au Canada
Le chalandage fiscal dans le contexte canadien fait référence à une situation où une entreprise qui n’a pas directement droit aux avantages d’une convention fiscale avec le Canada fait appel à une entité intermédiaire résidant dans un pays avec lequel le Canada a conclu une convention fiscale pour détenir ou financer son investissement au Canada, gagnant ainsi un revenu ou réalisant des gains sans impôt canadien ou à un taux réduit de la convention qui ne s’appliquerait peut-être pas autrement avait l’entité intermédiaire n’a pas été utilisée. Dans le document de consultation, le gouvernement indique qu’il considère les circonstances suivantes comme des caractéristiques du chalandage fiscal : (1) l’entité intermédiaire est détenue ou contrôlée principalement par des résidents d’un autre pays qui n’ont pas droit aux mêmes avantages de la convention; 2° l’entité intermédiaire paie peu ou pas d’impôt dans son pays de résidence sur le revenu gagné au Canada; et (3) l’entité intermédiaire n’exerce pas d'« activités commerciales réelles et substantielles » (autres que la gestion du revenu de placement) dans son pays de résidence.
La position du gouvernement sur le chalandage fiscal est qu’il n’est pas approprié d’accéder indirectement aux avantages de la convention fiscale en faisant appel à un intermédiaire résidant dans un pays dont les conditions de convention fiscale sont favorables pour les raisons suivantes : (1) les avantages de la réduction de l’impôt canadien réalisée par les résidents de pays tiers ne sont pas nécessairement réciproques pour les Canadiens qui investissent dans ce pays; (2) elle prive le Canada de la possibilité de négocier des modalités qui reflètent le régime fiscal du pays tiers ainsi que la capacité de déterminer les pays avec lesquels le Canada est disposé à négocier des conventions fiscales bilatérales pour des raisons politiques ou autres; et (3) l’intention du Canada de réduire l’imposition canadienne des non-résidents est mise en œuvre par des modifications à la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) et non par l’acceptation indirecte de structures qui mettent en œuvre le chalandage fiscal.
Réponse judiciaire
Jusqu’à présent, le ministre du Revenu national n’a pratiquement pas réussi à contester le chalandage fiscal devant les tribunaux. Dans l’affaire MIL (Investments) S.A. c. La Reine, la société contribuable, qui résidait aux îles Caïmans, une juridiction avec laquelle le Canada n’a pas de convention, a continué à se rendre au Luxembourg avant de demander une exonération en vertu de la Convention Canada-Luxembourg à l’égard des gains en capital réalisés lors de la disposition ultérieure de biens canadiens imposables. La Couronne a allégué que le contribuable était impliqué dans le chalandage fiscal abusif et que l’exemption devrait être refusée. Toutefois, la Cour d’appel fédérale a statué que les dispositions textuelles du traité appuyaient la disponibilité de l’exemption et a rejeté l’argument du ministre selon lequel le chalandage fiscal allait à l’encontre de l’objet et du but du traité. Plus récemment, dans l’affaire Prévost Car Inc. c. La Reine et Velcro Canada Inc. c. La Reine, le ministre a soutenu sans succès que les taux favorables de retenue en vertu de la convention sur les dividendes et les redevances, respectivement, devraient être refusés parce que l’entité intermédiaire qui recevait des paiements du Canada n’était pas le « bénéficiaire effectif » des paiements. À la lumière de son échec devant les tribunaux, le gouvernement tente maintenant d’élaborer une approche législative pratique pour prévenir ce qu’il perçoit comme un chalandage fiscal abusif.
Approches en matière de lutte contre le chalandage fiscal
L’objectif du document de consultation est de discuter des mérites relatifs d’un certain nombre d’approches possibles pour empêcher le chalandage fiscal au Canada dans le but de trouver une solution viable. Le document indique que le gouvernement est non seulement déterminé à veiller à ce que les objectifs des conventions fiscales du Canada soient atteints, mais aussi à veiller à ce que le Canada demeure une destination attrayante pour les investisseurs étrangers.
À titre préliminaire, le Canada doit décider s’il faut intégrer des règles anti-chalandage fiscal dans ses lois fiscales nationales ou dans ses conventions fiscales bilatérales. Bien que le document de consultation reconnaisse que la négociation de dispositions anti-chalandage fiscal efficaces dans les conventions fiscales du Canada pourrait en fin de compte produire les mesures les plus complètes et les plus efficaces, cette approche pourrait prendre des décennies à mettre en œuvre, car elle dépendrait de la quantité de ressources consacrées à la négociation de conventions et nécessiterait le consentement des partenaires du traité. Le document de consultation semble favoriser l’approche du droit interne, qui pourrait être mise en œuvre de façon uniforme dans l’ensemble du réseau de traités du Canada en temps opportun. Comme inconvénient potentiel, le document note que la capacité du gouvernement de rédiger une législation nationale efficace pourrait être limitée par des conflits potentiels avec les obligations existantes du Canada en vertu de traités.
Le document de consultation fournit également une analyse de l’éventail des approches législatives pour réduire le chalandage fiscal, des règles générales aux règles particulières anti-chalandage fiscal. Le document traite d’un certain nombre d’approches, y compris l’article sur la « limitation des prestations » de style américain, semblable à l’article XXIX-A du Traité entre le Canada et les États-Unis, ainsi qu’une règle générale anti-abus qui ne s’appliquerait qu’à des types de revenus spécifiques, tels que les dividendes, les intérêts et les redevances. Il y a un certain nombre de facteurs à prendre en compte pour évaluer la réponse appropriée au chalandage fiscal. Une approche générale peut être trop inclusive et, par conséquent, peut exposer les entreprises à un risque d’observation. Une approche générale peut également imposer un fardeau administratif important à l’Agence du revenu du Canada en ce qui a trait à l’élaboration de directives, à la réponse aux demandes de décisions administratives et à l’exécution de la loi. Par contre, des règles particulières ont l’avantage d’être plus certaines pour les contribuables, bien qu’elles soient généralement plus complexes et qu’elles puissent produire des résultats inappropriés en l’absence d’un pouvoir discrétionnaire effectif.
Tout en encourageant la discussion sur tous les aspects du document de consultation, le gouvernement demande aux intervenants de soumettre, d’ici le 13 décembre 2013, des commentaires sur sept questions précises, dont chacune porte sur des approches différentes pour prévenir le chalandage fiscal :
- Commenter les avantages et les inconvénients d’une approche fondée sur le droit interne, d’une approche fondée sur les traités ou d’une combinaison des deux.
- Commenter les mérites pertinents des diverses approches du chalandage fiscal identifiées par la DC ainsi que la question de savoir s’il existe d’autres approches et types de règles qui devraient être pris en compte au Canada pour évaluer la meilleure façon de régler le problème du chalandage fiscal.
- Donner des points de vue sur la question de savoir si une approche générale est préférable à une approche relativement plus spécifique et objective.
- Fournir des points de vue sur la question de savoir si un critère de l’objet principal, s’il était adopté dans les lois fiscales nationales, serait efficace pour prévenir le chalandage fiscal et assurerait un niveau de certitude acceptable pour les contribuables.
- Fournir des commentaires sur l’une des approches (une approche à but principal ou une approche plus spécifique) établit le meilleur équilibre global entre l’efficacité, la certitude et la simplicité, et la facilité d’administration.
- Pour les intervenants qui privilégient une approche plus spécifique plutôt qu’une approche à but principal, fournir des commentaires sur la conception des conditions et des exceptions (p. ex., les exceptions relatives aux opérations commerciales substantielles et aux avantages dérivés) dans le cadre d’une approche plus spécifique ainsi que toute autre exception qui devrait être envisagée dans le cadre de cette approche en vue de s’assurer que la mesure est efficace et s’applique d’une manière raisonnablement simple avec des résultats prévisibles.
- Formuler des commentaires sur la question de savoir si une règle nationale anti-chalandage fiscal devrait s’appliquer si une convention fiscale contient une règle complète contre le chalandage fiscal.
Prochaines étapes
L’approche du gouvernement à l’égard du chalandage fiscal est un sujet de préoccupation pour toute entreprise multinationale qui a, ou qui a l’intention d’avoir, une entité intermédiaire dans sa structure d’entreprise. Il ressort clairement du document de consultation que le gouvernement a l’intention d’introduire des règles anti-chalandage fiscal, et il peut s’agir simplement de déterminer quand elles seront mises en œuvre et sous quelle forme. Bien que le document de consultation ne traite pas de l’incidence de ces règles sur les structures actuelles, il est clair qu’elles auront une incidence sur de nombreuses entreprises canadiennes qui dépendent de l’investissement étranger. Le gouvernement a déclaré que l’un des objectifs du document de consultation est de veiller à ce que le Canada demeure une destination attrayante pour les investisseurs étrangers. À ce titre, les intervenants intéressés qui envisagent de présenter des observations sur le document de consultation sont encouragés à tenir compte de ce qui suit :
- présenter leur approche préférée en matière de chalandage fiscal à la lumière de leurs activités commerciales et de leur structure de capital et mettre en évidence les risques commerciaux associés aux différentes approches des règles anti-chalandage fiscal;
- demander des exemptions qui seraient appropriées pour les entreprises qui n’utilisent pas d’entités intermédiaires principalement pour accéder aux avantages de la convention;
- fournir des renseignements sur les diverses raisons commerciales de recourir à des entités intermédiaires autres que l’obtention d’un avantage fiscal; et
- demander des règles transitoires pour les structures existantes.
Si vous souhaitez obtenir de l’aide pour répondre au document de consultation, ou si vous avez des questions ou des préoccupations au sujet de l’incidence potentielle des règles anti-chalandage fiscal sur votre structure d’entreprise ou votre planification fiscale internationale, veuillez communiquer avec un membre de notre service fiscal.
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