Les Règles de la Cour suprême du Canada sur l’intersection du droit de l’insolvabilité et du droit de l’arbitrage

10 novembre 2022

Écrit par Kelsey Meyer, Ciara Mackey and Adam Williams

Le 10 novembre 2022, la Cour suprême du Canada (CSC) a rendu sa décision très attendue dans l’affaire Peace River Hydro Partners v Petrowest Corp, 2022 CSC 41, abordant une intersection clé du droit de l’insolvabilité et de l’arbitrage - si et dans quelles circonstances une convention contractuelle d’arbitrage devrait céder la place à l’intérêt public dans le règlement ordonné et efficace d’une mise sous séquestre ordonnée par un tribunal. Le comité de neuf membres de la CSC a décidé à l’unanimité (avec des motifs concordants) que, dans ce cas, il doit, et a rejeté l’appel avec dépens au séquestre.  

La décision clarifie la loi sur le moment où les clauses d’arbitrage obligatoires seront appliquées dans le contexte de la procédure d’insolvabilité, et est importante pour les parties aux contrats commerciaux, les praticiens de l’insolvabilité et la pratique de l’arbitrage en général. Comme l’a fait remarquer la CSC, il n’est « pas inhabituel maintenant qu’une partie commerciale se trouve dans un différend régi par une convention d’arbitrage avec une contrepartie insolvable ou en faillite ».

Key Takeaways

  • La CSC a convenu à l’unanimité que les cours supérieures du Canada ont compétence légale en vertu de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. 1985 c B-3, telle que modifiée [LFI], de déclarer une convention d’arbitrage par ailleurs valide inopérante et de rejeter une demande d’arrêt des procédures judiciaires, si l’exécution de la convention d’arbitrage compromettrait le règlement ordonné et efficace des procédures d’insolvabilité, y compris une mise sous séquestre ordonnée par le tribunal. Il n’y a pas de conflit entre la loi provinciale sur l’arbitrage en cause et la LFI fédérale qui soulève des préoccupations primordiales.
  • La CSC a dressé une liste non exhaustive de facteurs qui peuvent être pertinents pour déterminer si une convention d’arbitrage particulière est inopérante dans le contexte d’une procédure d’insolvabilité.
  • En l’espèce, le séquestre nommé par le tribunal a établi que les conventions d’arbitrage étaient inopérantes parce que de multiples processus d’arbitrage compromettraient le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, contrairement aux objectifs de la LFI.
  • Dans le contexte de l’insolvabilité, le modèle de procédure unique favorise l’application des droits des parties prenantes au moyen d’un processus judiciaire centralisé et favorise clairement « l’intérêt public dans l’assainissement rapide, efficace et économique des conséquences d’un effondrement financier » (Sam Lévy &Associés Inc c Azco Mining Inc, 2001 CSC 92).
  • La CSC était divisée sur la question de savoir si un séquestre peut également renoncer unilatéralement à une convention d’arbitrage, la rendant ainsi nulle, inopérante ou incapable d’être exécutée. Une décision minoritaire de quatre juges (concordant avec le résultat) a conclu qu’en intentant une poursuite devant le tribunal comme l’autorise l’ordonnance de mise sous séquestre, le séquestre a renoncé aux conventions d’arbitrage, les rendant ainsi inopérantes.
  • En vertu du principe « compétence-compétence », en général, les arbitres se prononcent d’abord sur leur propre compétence, mais comme il a été statué dans l’affaire Uber Technologies Inc c. Heller, 2020 CSC 16, ce principe n’est pas absolu.
  • La CSC a convenu à l’unanimité que la doctrine de la séparabilité ne s’était pas appliquer à l’affaire. La décision majoritaire a conclu que la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (BCCA) avait mal appliqué la doctrine de la séparabilité, car la séparabilité ne s’applique pas en l’absence d’une contestation de la validité du contrat principal ou de la convention d’arbitrage elle-même, et ce n’était pas une question en litige en l’espèce. Les juges majoritaires ont conclu que la séparabilité vise à protéger les conventions d’arbitrage et non à les mettre en péril.
  • Les non-signataires, y compris un séquestre nommé par le tribunal, peuvent être parties à des conventions d’arbitrage.
  • L’engagement de déposer une défense, ou une demande de prorogation de délai pour le faire, n’est pas une « étape de la procédure » qui empêche un demandeur de chercher ensuite à suspendre un litige en faveur de l’arbitrage.

Background

Ernst & Young Inc. est le séquestre et gestionnaire (séquestre) nommé par le tribunal de Petrowest Corporation (Petrowest) et de certaines de ses sociétés affiliées (sociétés affiliées), ayant été nommés en 2017 par une ordonnance de mise sous séquestre accordée en vertu de l’article 243 de la LFI. Certains affiliés, mais pas tous, avaient également été cédés à la faillite.

Avant la mise sous séquestre, Petrowest avait été partenaire de Peace River Hydro Partners (PRHP), un partenariat avec Acciona Infrastructure Canada Inc. (Acciona) et Samsung C&T Canada Ltd. (Samsung) qui a conclu un contrat avec la British Columbia Hydro and Power Authority pour effectuer des travaux liés au projet d’énergie propre du site C dans le nord-est de la Colombie-Britannique. Dans le but de ce projet, PRHP a conclu un contrat de sous-traitance et divers bons de commande avec certaines des sociétés affiliées.   Petrowest elle-même était partie à l’accord de société en nom collectif de PRHP et a également conclu un accord de garantie et d’indemnisation croisée avec les sociétés mères d’Acciona et de Samsung (sociétés mères). Peu de temps avant l’octroi de l’ordonnance de mise sous séquestre, Acciona prétendait mettre fin à Petrowest en tant qu’associé de PRHP.  

Conformément à son autorité et à ses obligations ordonnées par le tribunal, le séquestre a poursuivi PRHP, Acciona, Samsung et les sociétés mères (collectivement, les défendeurs) pour recouvrer les comptes débiteurs dus à Petrowest et aux sociétés affiliées en vertu de leurs diverses ententes. Bien qu’ils se soient engagés à défendre la réclamation, les défendeurs ont finalement soutenu que le litige devrait être suspendu en faveur de multiples arbitrages, en raison des clauses d’arbitrage obligatoires dans seulement certains des contrats applicables. Les défendeurs ont demandé à la Cour suprême de la Colombie-Britannique de surseoir à ce litige, en s’appuyant sur l’article 15 de la Loi sur l’arbitrage, RSBC 1996, ch. 55, qui a été abrogée depuis, qui stipulait, en partie:

Stay of Proceedings

15(1) Si une partie à une convention d’arbitrage entame une procédure judiciaire devant un tribunal contre une autre partie à l’accord à l’égard d’une question convenue d’être soumise à l’arbitrage, une partie à la procédure judiciaire peut demander, avant de déposer une réponse à une action civile ou une réponse à une réclamation familiale ou de prendre toute autre étape de la procédure, à ce tribunal de suspendre les procédures judiciaires.

(2) Dans une demande présentée en vertu du paragraphe (1), le tribunal doit rendre une ordonnance de sursection des procédures judiciaires, à moins qu’il ne détermine que la convention d’arbitrage est nulle, inopérante ou inapte à être exécutée.

La décision de la BCSC

Le juge siégeant en cabinet a rejeté la demande de suspension des défendeurs, concluant que l’article 183 de la LFI conférait à un tribunal le pouvoir de contrôler ses propres processus afin de promouvoir les objectifs de la LFI, qui comprennent le mécanisme équitable, pratique, efficace et relativement peu coûteux pour le recouvrement et la distribution des actifs de la succession. Les défendeurs avaient admis que l’arbitrage impliquerait de multiples procédures, avec des contestations pratiques et des coûts accrus, et les parties ont convenu que l’outrepassement des clauses d’arbitrage favoriserait le règlement efficace et peu coûteux de leur différend. Le juge siégeant en cabinet a conclu que, d’après ces faits, l’octroi d’un sursis serait contraire aux objectifs de la LFI :

Ce cas concerne une somme d’argent importante dans laquelle les créanciers des faillis ont un intérêt. La différence entre le coût et le temps de la poursuite de la réclamation devant les tribunaux par rapport à plusieurs procédures d’arbitrage est substantielle. L’ordonnance de faillite a été rendue en avril 2018. Il ne sera pas possible de distribuer le produit de l’actif des faillis tant que ces différends n’auront pas été réglés. Je conviens que la compétence inhérente de la cour devrait être utilisée avec parcimonie. Toutefois, le coût et le retard importants inhérents aux multiples procédures qui se produiraient en l’espèce par rapport à la décision judiciaire sont injustes pour les créanciers et contraires aux objectifs de la LFI. L’absence de préjudice pour les défendeurs est un facteur distinctif important. 1

La décision de la BCCA

Les défendeurs ont interjeté appel. La Cour d’appel de la Colombie-Britannique a rejeté l’appel, mais a refusé la suspension pour différents motifs. 2 La cour d’appel a déterminé que l’article 15 de la Loi sur l’arbitrage ne laissait pas de place à l’exercice de la compétence inhérente et a statué que si la LFI accordait un pouvoir discrétionnaire légal d’éviter une procédure d’arbitrage, cela créerait un conflit entre les lois fédérales et provinciales, nécessitant une analyse de la prépondérance. Toutefois, la Cour d’appel a conclu qu’un séquestre nommé par le tribunal n’est pas une « partie » aux conventions d’arbitrage d’un débiteur aux fins de l’article 15 de la Loi sur l’arbitrage.  S’appuyant sur l’arrêt Uber Technologies Inc c Heller, 2020 CSC 16, la Cour d’appel a statué que le séquestre pouvait renoncer aux clauses d’arbitrage dans les conventions en se fondant sur la doctrine de la séparabilité (traitant ainsi les clauses d’arbitrage comme des conventions distinctes de celles qui sous-tendent accords).  

Les défendeurs ont demandé et obtenu l’autorisation d’interjeter appel devant la CSC. L’argument devant la CSC était centré sur les objectifs concurrents de la législation sur l’arbitrage et l’insolvabilité, la compétence du tribunal en vertu de la LFI de conclure qu’une convention d’arbitrage était « inopérante » et de refuser un arrêt des procédures en vertu du paragraphe 15 (2) de la Loi sur l’arbitrage, et si la doctrine de la séparabilité pourrait permettre à un séquestre de renoncer à une convention d’arbitrage tout en poursuivant pour faire respecter le reste du contrat. Il y avait cinq intervenants3 dans l’appel.

La décision de la CSC

Dans une décision majoritaire rédigée par le juge Côté, le juge en chef Wagner et les juges Moldaver, Côté, Rowe et Kasirer ont conclu que les conditions techniques préalables pour ordonner une suspension en vertu du paragraphe 15(1) de la Loi sur l’arbitrage étaient remplies — les différends contractuels sont couverts par des conventions d’arbitrage valides, les défendeurs ont établi une cause défendable selon laquelle le séquestre est partie aux conventions d’arbitrage et les défendeurs n’avaient pas pris un étape dans la procédure. Par conséquent, la question clé était de savoir si, en vertu du paragraphe 15(2) de la Loi sur l’arbitrage, les conventions d’arbitrage étaient nulles, inopérantes ou incapables d’être exécutées. La Cour a statué que le séquestre a établi que les conventions d’arbitrage sont inopérantes, en ce sens que les multiples processus d’arbitrage qui y sont envisagés compromettraient le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre, contrairement aux objectifs de la LFI. Tout en reconnaissant l’importance de l’autonomie des parties et de la liberté contractuelle, le renvoi à l’arbitrage dans les circonstances de l’espèce compromettrait la capacité du séquestre de maximiser le recouvrement pour les créanciers et de permettre à Petrowest et à ses sociétés affiliées d’aller de l’avant avec certitude.

Karakatsanis, Brown, Martin et Jamal Les juges ont souscrit au résultat selon lequel l’appel devrait être rejeté, car les conventions d’arbitrage sont inopérantes en vertu du paragraphe 15(2) de la Loi sur l’arbitrage, mais n’étaient pas d’accord sur le fondement de cette conclusion. Ils ont conclu qu’en intentant une poursuite devant les tribunaux conformément à l’ordonnance de mise sous séquestre, le séquestre avait renoncé aux conventions d’arbitrage, les rendant ainsi inopérantes. Dans la décision concordante, le juge Jamal n’a expressément pas invoqué la doctrine de la séparabilité, mais plutôt une interprétation de l’ordonnance de mise sous séquestre. Subsidiairement, les juges majoritaires ont convenu que, dans la mesure où l’ordonnance de mise sous séquestre n’autorisait pas le séquestre à intenter une poursuite devant les tribunaux, la LFI fournissait au juge siégeant en cabinet un fondement législatif pour déclarer les conventions d’arbitrage inopérantes et pour rejeter la demande de suspension. Exiger l’arbitrage dans ce cas compromettrait le règlement ordonné et efficace de la mise sous séquestre. 

Bennett Jones LLP a agi à titre de conseiller juridique du séquestre tout au long de la présente instance, après avoir défendu avec succès la demande initiale des défendeurs et les appels subséquents devant la BCCA et la CSC.

Si vous avez des questions au sujet de la décision de la Cour suprême du Canada, veuillez contacter Kelsey Meyer, Ciara Mackey, Stephanie Clark, Paul Romaniuk ou Adam Williams.


1 Petrowest Corporation v Peace River Hydro Partners, 2019 BCSC 2221 au para 60.

2 Petrowest Corporation v Peace River Hydro Partners, 2020 BCCA 339.

3 Centre canadien d’arbitrage commercial, Lieu d’arbitrage, Institut agréé d’arbitres (Canada) Inc., Institut d’insolvabilité du Canada et Fédération canadienne de l’entreprise indépendante.

Auteur(e)s

Kelsey J. Meyer
403.298.3323
meyerk@bennettjones.com

Ciara J. Mackey
403.298.3005
mackeyc@bennettjones.com

Adam J. Williams
403.298.3307
williamsa@bennettjones.com



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