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Délimiter le périmètre : la prescription acquisitive au « pays des chalets »

Simon Crawford et Samantha Weng
23 juillet 2025
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La saison des chalets est de retour, et avec elle, le retour de la Cour supérieure de justice de l’Ontario (la Cour) à la doctrine juridique bien établie de la prescription acquisitive. Cette doctrine continue de faire surface dans les litiges modernes en matière de propriété où le propriétaire enregistré d’un bien-fonds risque de voir ses droits supprimés en raison de l’utilisation du bien-fonds par le propriétaire d’un bien-fonds contigu. La Cour a examiné cette doctrine de plus près pour résoudre un litige relatif au titre entre deux propriétaires de chalets situés sur des biens-fonds contigus dans le récent arrêt Harmur Investments Ltd. v. Pearce. Petite mise en garde : par souci de concision, les auteurs ont exclu certains détails de l’arrêt de la présente analyse. De plus, les réclamations fondées sur la prescription acquisitive doivent s’être cristallisées pendant que les biens-fonds sont ou étaient sous le régime d’enregistrement des actes. Ces réclamations cessent une fois que les biens-fonds passent sous le régime d’enregistrement des droits immobiliers.

Contexte

Harmur Investments Limited (Harmur) et Katherine Lillian Pearce (Mme Pearce, conjointement avec son défunt conjoint, les Pearce) sont propriétaires de biens-fonds contigus sur le lac Calabogie, sortant du chemin O’Neill Point, dans le canton de Greater Madawaska. Le bien-fonds de Harmur correspond au lot 110 sur le plan 156 (Propriété de Harmur), tandis que le bien-fonds de Mme Pearce correspond aux lots 111 et 112 sur le même plan à l’est de la Propriété de Harmur (collectivement, la Propriété de Mme Pearce).

La Propriété de Harmur avait été achetée en 1943 par Harold Murphy I, le grand-père du président actuel de Harmur, Paul Murphy. Elle a été cédée à Harold Murphy II (le père de Paul) en 1974, puis à Harmur en 1994.

Mme Pearce a acheté la Propriété de Mme Pearce en 1975 avant d’en transférer le titre de propriété à son nom et celui de son défunt mari
en 1997.

Le 11 mai 1998 (la Date de la conversion), la Propriété de Harmur et la Propriété de Mme Pearce sont passées du régime d’enregistrement des actes au régime d’enregistrement des droits immobiliers. Plus tard, Harmur a demandé une ordonnance tenant lieu de cession par laquelle elle a réclamé la propriété de deux parcelles de la Propriété de Mme Pearce par prescription acquisitive.

La première parcelle, connue sous le nom de « Triangle », a une superficie d’environ 485 mètres carrés et est située du côté nord-ouest de la Propriété de Mme Pearce, attenante à la Propriété de Harmur au nord-est. L’accès à la Propriété de Harmur se fait par une allée qui traverse le Triangle en sortant du chemin O’Neill Point.

La deuxième parcelle, connue sous le nom de « Parcelle du hangar à bateaux », est d’une superficie d’environ 80 mètres carrés et est située à l’angle sud-ouest de la Propriété de Mme Pearce le long de la rive du lac, entre la Propriété de Harmur et un hangar à bateaux appartenant à Harmur qui empiète également sur la Propriété de Mme Pearce.

La création du Triangle et de la Parcelle du hangar à bateaux, ainsi que le litige entre Harmur et Mme Pearce concernant la propriété de ces biens-fonds, a comme point de départ l’installation d’une « clôture en fil de fer barbelé » (la Clôture) par un inconnu il y a de nombreuses années.
La Clôture est orientée nord-sud, à proximité de la majeure partie de la ligne de lot entre la Propriété de Harmur et la Propriété de Mme Pearce. Au nord, la Clôture s’étend au-delà de la limite commune des deux propriétés jusqu’au chemin O’Neill Point, traversant le lot 111 de Pearce et formant le Triangle. Au sud, la Clôture s’arrête sur un pin situé à plusieurs mètres au nord du lac, puis traverse la Propriété de Mme Pearce vers l’est, créant ainsi la Parcelle du hangar à bateaux.

Les deux parcelles en litige apparaissent sur plusieurs arpentages, dont un daté du 30 mai 1950. Un plan de lotissement daté du 10 juillet 1905 (le Plan) montre également que le Triangle fait partie du lot 111.

En première instance, Harmur a affirmé que Harold Murphy I et Harold Murphy II avaient acquis le titre du Triangle et de la Parcelle du hangar à bateaux par possession entre 1943 et 1975 (soit pendant la période qui sépare les moments où les parties au litige ont acquis, respectivement, la Propriété de Harmur et la Propriété de Mme Pearce) et que les Murphy avaient conservé ce titre jusqu’à la Date de la conversion. Toutefois, Harmur a invoqué la prescription acquisitive seulement à l’égard de la période comprise entre 1962 et 1975 (la Période réclamée), qui s’étend des souvenirs les plus lointains que Paul a de la Propriété de Harmur jusqu’à l’année où Mme Pearce a acquis la propriété.

Droit de la prescription acquisitive

Comme le soulignent Simon Crawford et Dana Talucci dans Les bonnes clôtures font de bons voisins, sauf lorsqu'elles ne le font pas, le test pour établir la prescription acquisitive (Test) est bien établi en droit. Harmur et Mme Pearce se sont toutes deux appuyées sur McCracken Estate et al. v. Gatt et al., une décision de 2023 de la Cour supérieure de justice de l’Ontario, qui décrit le Test de la manière suivante :

  • le demandeur et/ou ses prédécesseurs en titre doivent avoir eu la possession effective pendant la période prévue par la loi, soit au moins
    10 ans1 avant que le bien-fonds en litige ne soit converti au régime d’enregistrement des droits immobiliers;
  • le demandeur doit avoir en possession le bien-fonds dans l’intention d’en exclure le propriétaire ou toute autre personne qui a droit à sa possession; et
  • le propriétaire et toute autre personne qui a droit à la possession du bien-fonds doivent en avoir perdu la possession pendant la période prévue par la loi.

Les trois éléments de ce Test, résumés ci-dessous, sont également bien établis, et il incombe au demandeur de démontrer qu’il satisfait à l’ensemble de ces trois éléments.

Possession effective

En général, la possession effective s’entend de la possession non autorisée du bien-fonds. Le demandeur doit démontrer que sa possession a été [traduction] « publique, notoire, paisible, adversative, exclusive, effective et continue », et tous ces éléments doivent avoir existé concomitamment pendant la période prévue par la loi2. Cependant, la preuve suffisante de la possession effective varie selon le contexte. Dans le cas des chalets, l’utilisation saisonnière et pendant les fins de semaine constituerait une preuve suffisante d’utilisation continue, car une telle utilisation intermittente reflète le mode habituel de possession d’un chalet3.

Intention d’exclure

Ensuite, le demandeur doit prouver que ses prédécesseurs en titre et/ou lui-même [traduction] « ont eu l’intention d’exercer une domination sur la zone revendiquée envers et contre tous4 » en démontrant que son utilisation du bien-fonds est incompatible avec celle prévue par le propriétaire enregistré (une Utilisation incompatible). Néanmoins, il n’est pas nécessaire d’établir l’existence d’une Utilisation incompatible en cas d’erreur mutuelle5, où le demandeur et le propriétaire enregistré estiment à tort que le demandeur est propriétaire du bien-fonds en litige. Un propriétaire enregistré ne peut avoir l’intention d’utiliser le bien-fonds en litige s’il estime à tort qu’il n’en est pas propriétaire6.

Interruption de la possession

Enfin, le demandeur doit démontrer que le propriétaire enregistré du bien-fonds en litige en a été exclu dans les faits. En d’autres termes, le demandeur doit avoir la possession exclusive du bien-fonds ou en contrôler l’accès.

Les enjeux

Pour satisfaire aux exigences du Test, Harmur doit donc apporter la preuve de tout ce qui suit pour pouvoir réclamer un titre acquis par possession à l’égard du Triangle et de la Parcelle du hangar à bateaux :

  • que Harmur et/ou ses prédécesseurs en titre avaient la possession effective du Triangle et de la Parcelle du hangar à bateaux pendant au moins 10 ans au cours de la Période réclamée;
  • que sa possession des parcelles en litige visait à en exclure Mme Pearce, auquel cas il faudrait déterminer s’il y a eu erreur mutuelle;
  • que Mme Pearce a été exclue de fait du Triangle et de la Parcelle du hangar à bateaux pendant toute la période prévue par la loi.

Dispositif et analyse

La Cour a conclu que Harmur avait acquis le titre de la Parcelle du hangar à bateaux par possession, mais pas le titre du Triangle à l’égard de la Période réclamée

Parcelle du hangar à bateaux

En ce qui concerne la Parcelle du hangar à bateaux, Harmur a produit la preuve de la possession effective, y compris de nombreuses photographies, qui démontrent l’utilisation et l’occupation continues de la propriété par les Murphy. Il s’agissait notamment du fait de traverser la parcelle pour accéder à leur hangar à bateaux, leur rampe de mise à l’eau, leur aire d’entreposage et leur aire de baignade, de recevoir leurs proches et amis sur la parcelle et d’améliorer et entretenir le bien-fonds en construisant des jardins et en enlevant les arbres morts.

Sur la question de l’intention d’exclure, la Cour a conclu que Harmur n’était pas tenue de démontrer l’existence d’une Utilisation incompatible parce que les Pearce ne faisaient pas valoir leur droit sur la Parcelle du hangar à bateaux. Par exemple, Mme Pearce n’avait visité la parcelle qu’une seule fois au cours des 50 années qui avaient suivi l’acquisition des lots 111 et 112 et n’avait jamais tenté d’accéder à la parcelle à partir de son chalet. 

De plus, la Cour a jugé étrange que le défunt conjoint de Mme Pearce ait engagé un avocat en 1976 pour contester la taille et l’emplacement d’un nouveau hangar à bateaux que les Murphy prévoyaient construire sur la parcelle, mais ait omis de prendre des mesures pour asseoir ou faire valoir le droit de propriété des Pearce sur la parcelle par la suite.

Enfin, la condition de l’exclusion des Pearce de la Parcelle du hangar à bateaux a été satisfaite pour les raisons suivantes : Mme Pearce n’a visité la parcelle qu’à une seule occasion en près de 50 ans, et il est prouvé que c’était à la suite d’une invitation; il n’y avait aucun accès direct à la parcelle à partir du chalet de Mme Pearce; et rien ne prouve que le défunt mari de Mme Pearce y a mis le pied à une quelconque occasion.

Pour ces motifs, Harmur a eu gain de cause dans sa réclamation de la Parcelle du hangar à bateaux par prescription acquisitive.

Triangle

Harmur a été en mesure de prouver que ses prédécesseurs en titre ont eu la possession effective du Triangle pendant au moins 10 ans au cours de la Période réclamée. En particulier, la Cour a admis le témoignage de Harmur selon lequel : Harold Murphy I et Harold Murphy II accédaient à la Propriété de Harmur par l’allée traversant le Triangle, car il n’y avait pas d’autre voie d’accès à la propriété. Les Murphy ont également entretenu le Triangle comme s’il leur appartenait, notamment en asphaltant l’allée et en enlevant les arbres morts, la végétation nuisible et dangereuse et la neige.

En ce qui concerne l’intention d’exclure, la Cour n’a trouvé aucune preuve d’erreur mutuelle, malgré la prétention contraire de Harmur.

Harold Murphy I avait accès au Plan et, à l’exception de Paul, les Murphy sont une famille d’avocats. Notamment, Harold Murphy II a pratiqué le droit immobilier et a représenté le centre de villégiature Calabogie Peaks dans des affaires de modification de zonage et de disjonction. La Cour n’était donc pas convaincue que les Murphy n’auraient pas été en mesure d’établir les limites de la Propriété de Harmur en se procurant une copie du Plan.

La Cour a également admis le témoignage de Mme Pearce selon lequel, après l’acquisition de la Propriété de Mme Pearce, les Pearce avaient invité Harold Murphy II et son épouse à continuer de traverser le Triangle pour accéder à la Propriété de Harmur à partir du chemin O’Neill Point. Cela est la preuve que Mme Pearce savait qu’elle était propriétaire de cette parcelle.

Ces conclusions montrent qu’aucune des parties ne s’est trompée quant au véritable propriétaire du Triangle. Par conséquent, Harmur devait prouver l’existence d’une Utilisation incompatible pour établir le titre acquis par possession. Toutefois, la preuve produite à cet égard était limitée.

Sur la question de l’utilisation, le défunt mari de Mme Pearce effectuait occasionnellement l’entretien du Triangle en enlevant les arbres morts et la végétation nuisible et dangereuse. L’utilisation du Triangle par les Murphy était donc tout à fait compatible avec celle par les Pearce. La Cour a également examiné et rejeté les arguments de Harmur selon lesquels l’utilisation du Triangle par les Murphy comme aire de stationnement, aire de jeu des enfants et passage de l’alimentation électrique était incompatible avec l’utilisation prévue par les Pearce.

Bien que l’existence d’une clôture puisse démontrer une intention d’exclure, la mesure dans laquelle celle-ci visait à empêcher Mme Pearce et toute autre personne d’accéder au Triangle n’était pas évidente. Il n’a pas non plus été démontré que les Pearce avaient été empêchés d’accéder au Triangle.

Compte tenu de ce qui précède, Harmur n’a pas établi l’intention des Murphy d’exclure les Pearce ou leurs prédécesseurs en titre du Triangle.

Enfin, l’interruption de la possession n’a pas été établie, car la prétention de Harmur selon laquelle ni Mme Pearce ni ses prédécesseurs en titre n’ont jamais réclamé la propriété du Triangle ou ne l’ont jamais utilisé a été contredite par le témoignage de Mme Pearce.

Pour ces motifs, la réclamation par Harmur du titre acquis par possession du Triangle n’a pas prospéré.

À retenir

Bien que le droit en matière de prescription acquisitive soit bien établi, la question de savoir si la réclamation d’un titre acquis par possession sera accueillie dépend fortement des faits et des circonstances entourant la réclamation.

Pour se protéger contre une réclamation d’un titre de possession, les propriétaires peuvent souscrire une assurance-titres, mais une telle protection ne garantit pas qu’une réclamation fondée sur la prescription acquisitive sera rejetée. En règle générale, l’assurance-titres couvre les pertes découlant de réclamations non divulguées ou inconnues relatives à des titres possessoires touchant un bien à la date de la police. Une telle assurance offre généralement une protection financière limitée pour les frais de défense juridique et, dans certains cas, une indemnisation pour la perte d’un bien si une réclamation est accueillie.

Aujourd’hui, la plupart des biens-fonds en Ontario ont été convertis au régime d’enregistrement des droits immobiliers (et ce depuis le début des années 2000), mais un faible pourcentage de biens-fonds reste assujetti au régime d’enregistrement des actes et est de ce fait vulnérable aux réclamations fondées sur la prescription acquisitive. En outre, les biens-fonds inscrits au registre des parcelles avec la mention « Droits immobiliers restreints convertis aux droits immobiliers absolus » dans le champ « Domaine/Critères d’admissibilité » sont sous réserve des droits de toute personne ayant acquis un titre par possession avant la date de conversion. Cela signifie qu’une réclamation fondée sur la prescription acquisitive est toujours possible, même après la conversion du bien-fonds au régime d’enregistrement des droits immobiliers.

Pour se prémunir contre la réclamation d’un titre acquis par possession, les propriétaires doivent connaître les limites de leur bien-fonds. Pour ce faire, les propriétaires peuvent obtenir un arpentage à jour de l’emplacement de l’immeuble ou consulter un arpentage existant ainsi que tout changement apporté à la description cadastrale du bien-fonds depuis la date de l’arpentage afin de s’assurer que celui-ci demeure exact et à jour.

Autres mesures à prendre : surveiller régulièrement son bien-fonds pour détecter tout signe d’empiétement, marquer et maintenir des limites claires dans la mesure du possible, ce qui comprend l’érection de panneaux interdisant les intrusions ou l’utilisation de la propriété privée, contester rapidement toute utilisation non autorisée, conclure des ententes officielles d’utilisation des terres avec les propriétaires des biens-fonds contigus, et convertir sa propriété au régime d’enregistrement des droits immobiliers dans la mesure requise et si possible.

Ces suggestions sont particulièrement indiquées pour les biens-fonds situés en zones rurales ou éloignées de l’Ontario, y compris certaines parties du « pays des chalets », où la disponibilité d’arpentages à jour et la présence des propriétaires sont plus limitées, et où il existe encore un petit nombre de biens-fonds qui demeurent sous le régime d’enregistrement des actes. Tout compte fait, même en s’échappant au « pays des chalets », on n’est pas à l’abri du droit immobilier. Les propriétaires de titres doivent faire preuve de vigilance 


Voir les articles 4 et 15 de la Loi sur la prescription des actions relatives aux biens immeubles, LRO 1990, chap L.15.
Teis v. Ancaster (Town), 1997 ONCA 1688, par. 13 [Teis].
Bailey v. Barbour, 2016 ONCA 98, par. 83.
Eran Kaplinsky, Malcolm Lavoie et Jane Thomson, Ziff’s Principles of Property Law, 8e édition (Toronto : Thomson Reuters Canada, 2023), p. 170.
Teis, précité, note 3, par. 3. 
Teis, précité, note 3, par. 25. 

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Note : Cette traduction a été générée par l’intelligence artificielle.