Foodora Couriers est admissible à se syndiquer - La décision de la Commission du travail de l’Ontario retire un octet de l’économie à la demande

11 mars 2020

Écrit par Jordan Fremont, Archana Ravichandradeva and Lori Sterling

Dans sa décision du 25 février 2020 dans l’affaire Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes du Canada c. Foodora Inc. d.b.a Foodora, 2020 CanLII 16750 (ON LRB), la Commission des relations de travail de l’Ontario (CRTO) a conclu que les coursiers de Foodora Inc. travaillant à Toronto et à Mississauga sont des entrepreneurs dépendants, admissibles à être syndiqués en vertu de la Loi sur les relations de travail de l’Ontario. La décision est importante dans le contexte des relations de travail en raison de la nature du travail effectué, car c’était la première fois que la CRTO décidait d’une affaire concernant des travailleurs de l'« économie à la demande » qui avaient été engagés pour fournir des services à titre d’entrepreneurs indépendants et non d’employés. Bien qu’elle ne traite que de la question étroite de savoir si les coursiers de Foodora Inc. sont des « entrepreneurs dépendants » au sens de la Loi sur les relations de travail, la CRTO a appliqué le critère traditionnel pour faire la distinction entre les employés et les entrepreneurs indépendants. La décision donne une indication de la façon dont les tribunaux et d’autres décideurs au Canada pourraient aborder ces questions lorsqu’ils évaluent les droits et les obligations liés à l’emploi des travailleurs de l'« économie à la demande » dans d’autres contextes (c.-à-d. en vertu de la législation sur les normes d’emploi, de la législation sur les normes de pension, de la législation sur le revenu et de l’impôt sur la santé, ainsi qu’aux fins de l’assurance-emploi et du régime de pensions du Canada et du Régime de rentes du Québec).  

Les faits 

Le Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes avait cherché à être l’agent négociateur exclusif des service de messagerie Foodora travaillant à Toronto et à Mississauga en vertu de la Loi sur les relations de travail, au motif que ces messagers foodora sont des « entrepreneurs dépendants ». Il s’agit d’un terme défini dans la Loi sur les relations de travail qui décrit une catégorie de travail entre l’emploi traditionnel et le statut d’entrepreneur indépendant, ce qui donne à ces travailleurs la possibilité de se syndiquer. La CRTO a examiné la nature de l’entreprise de Foodora à la lumière de la définition d'« entrepreneur dépendant » de la Loi sur les relations de travail, la question clé étant de savoir si la relation ressemble davantage à celle d’un employé qu’à celle d’un entrepreneur indépendant (mesurée par la question de savoir si un travailleur a été engagé pour fournir des services en tant que « personne en affaires pour son propre compte », avec une opportunité de profit et un risque de perte étant les caractéristiques du statut d’entrepreneur indépendant). Les faits et facteurs importants pris en compte par la CRTO sont les suivants :

  • L’utilisation, ou le droit d’utiliser, des substituts: Les courriers ne sont pas autorisés à engager des substituts comme un moyen d’augmenter leurs revenus / profits. 
  • Propriété d’instruments, d’outils, d’équipements, d’appareils électroménagers, etc.: Même si les courriers Foodora utilisaient leurs propres sacs de transport et de transport isolés, l’application de livraison de Foodora est l’outil le plus important. 
  • Données probantes sur l’activité entrepreneuriale : Les coursiers de Foodora ne peuvent pas compter sur des « outils entrepreneuriaux habituels » pour améliorer leur capacité à réaliser un profit, comme la capacité de faire de la publicité ou de promouvoir des compétences. Ils sont limités à ce que Foodora leur permet de faire. 
  • Mobilité économique ou indépendance : Il existe un système complexe d’incitations et de restrictions imposées au service de messagerie dans l’exercice de ses fonctions. Foodora exerce un contrôle important sur les coursiers en déterminant quand ils ramassent et livrent les commandes, en limitant leur capacité à refuser les commandes et en contrôlant quand les courriers peuvent travailler. 
  • L’étendue de l’intégration : Les coursiers sont fortement, sinon entièrement, intégrés dans les activités de Foodora et fonctionnent comme le « côté service » de l’entreprise. Les coursiers n’établissent pas de relations indépendantes avec les restaurants ou les clients, et Foodora détermine elle-même la nature de la relation de service. La CRTO a décrit les services de messagerie comme un « rouage dans la roue économique ». 
  • Contrôle de la manière ou des moyens du travail : Les messagers doivent travailler dans les paramètres établis unilatéralement par Foodora, et l’application permet à l’entreprise de surveiller de près chaque mouvement du service de messagerie pour s’assurer que sa norme de service est respectée. 

La décision 

Dans sa conclusion, l’ORLB a déclaré que « [l]es coursiers sont sélectionnés par Foodora et tenus de livrer des aliments selon les modalités et conditions déterminées par Foodora conformément aux normes de Foodora. Dans un sens très réel, les coursiers travaillent pour Foodora, et non pour eux-mêmes... », et « [l]a preuve le confirme, les coursiers ressemblent plus à des employés qu’à des entrepreneurs indépendants ».

Répercussions sur l’économie à la demande

Les gouvernements, les cours et les tribunaux rattrapent leur retard avec l'« économie à la demande », dans laquelle les services sont fournis à la pièce, souvent par l’entremise d’une application ou d’une plateforme Internet (c.-à-d. le travail basé sur une plateforme numérique).  

Dans l’affaire Foodora, la CRTO a appliqué généreusement les critères traditionnels pour déterminer le statut de travailleur, de sorte que certains messagers de Foodora ont été jugés être des « entrepreneurs dépendants » et donc admissibles à la syndicalisation. La décision reflète une tendance plus large vers l’extension des droits en matière d’emploi (ou de type emploi) aux formes de travail où la situation économique d’un travailleur est étroitement liée à l’entreprise particulière qui a engagé cette personne. Dans le contexte du travail spécifiquement au sein de « l’économie à la demande », la décision est conforme aux résultats obtenus en Californie, au Royaume-Uni et, plus récemment, en France, en ce qui concerne le statut des chauffeurs Uber, qui ont tous conclu que les chauffeurs sont dans une relation d’emploi avec Uber.  

Étant donné que bon nombre de ces entreprises de « l’économie à la demande » sont fondées sur des modèles qui envisagent la prestation de services par l’entremise de relations d’entrepreneur indépendant (et non d’un entrepreneur indépendant ou d’un entrepreneur dépendant), on peut s’attendre à ce que les récentes décisions des cours et des tribunaux qui étendent les droits de type emploi aux travailleurs aient des répercussions sur la façon dont ces entreprises continuent de fonctionner. Entre-temps, les gouvernements sont aux prises avec les questions de politique soulevées par ces formes de travail et d’autres nouvelles formes de travail. Par exemple, dans une lettre de décembre 2019 du premier ministre Trudeau, le ministre fédéral du Travail a reçu le mandat, entre autres, de travailler avec ses collègues et dans le cadre des processus législatifs, réglementaires et du Cabinet établis pour « [d]evelop greater labour protections for people who work through digital platforms, whose status is not clearly covered by provincial or federal laws » (voir notre article de février 2020, La prochaine série de réformes fédérales du travail : salaires minimums et normes d’emploi). Cependant, il reste à voir le moment et la mesure dans laquelle les gouvernements fédéral et/ou provinciaux abordent ces questions pour les travailleurs des plateformes numériques ou d’autres travailleurs de l'« économie à la demande ».



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