Approche en deux étapes pour interjeter appel d’une sentence arbitrale en AlbertaDans sa récente décision dans l’affaire Quanta Canada Holdings II ULC v Bremar Construction Ltd, 2024 ABKB 317, la Cour du Banc du Roi de l’Alberta (la Cour) a établi un cadre de principe pour l’examen d’une demande d’autorisation d’interjeter appel d’une sentence arbitrale en vertu des paragraphes 44(2) et 44(2.1) de l’Arbitration Act (la Loi). En Alberta, si la convention d’arbitrage en vigueur ne prévoit pas un droit d’appel élargi, l’autorisation d’en appeler en vertu de l’article 44 est limitée aux questions de droit lorsque l’importance pour les parties des questions en cause dans l’arbitrage justifie un appel et que le règlement de la question de droit en litige aura une incidence importante sur les droits des parties. La Cour a examiné de façon approfondie une jurisprudence incohérente qui donne une interprétation de ces exigences et de la portée des appels possibles d’une sentence arbitrale fondée, en grande partie, sur l’opinion qu’a un juge donné de ce qui est important pour les parties. Pour favoriser la certitude, la Cour a établi un cadre de principe en deux étapes axé sur le critère de l’importance. La décision de la Cour constitue un guide utile et objectif pour les appelants qui veulent interjeter appel d’une sentence arbitrale en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, de même que pour les intimés qui souhaitent confirmer une décision arbitrale sans recourir à l’appel. ContexteQuanta Canada Holdings II ULC (Quanta) a conclu un contrat principal avec ENMAX pour la conception, les matériaux, la construction et l’installation d’un réseau de canalisations multitubulaires et de trous de visite souterrains de 1,5 kilomètre sous les rues du centre-ville de Calgary. Le réseau de canalisations multitubulaires et de trous de visite souterrains devait être constitué de tuyaux ou de conduits en béton contenant des câbles électriques de transmission. Quanta a ensuite conclu un contrat de sous-traitance avec Bremar Construction Ltd (Bremar) en utilisant le contrat de sous-traitance à forfait 1-2008 de l’Association canadienne de la construction (ACC) pour l’installation de la canalisation multitubulaire. Quanta et Bremar ont convenu de soumettre tous les différends découlant du contrat de sous-traitance à l’arbitrage conformément aux règles du CCDC 40. Le contrat de sous-traitance ne prévoyait pas d’appel de sentences arbitrales. Quanta a demandé à Bremar de retirer et de remplacer les sections de la canalisation multitubulaire et a retenu une tranche importante du paiement du contrat de sous-traitance, de sorte que Bremar a entamé une procédure d’arbitrage contre Quanta afin d’exiger le paiement pour l’exécution des travaux et la retenue. Bremar a, entre autres, fait valoir que Quanta avait occasionné des retards et n’avait pas exécuté ses travaux correctement, ce qui a entraîné des défauts dans des sections de la canalisation multitubulaire. Quanta a soutenu que Bremar était à l’origine des retards et qu’elle n’avait pas fait preuve de diligence dans l’exécution de son travail. L’arbitre s’est finalement prononcé contre Quanta et a accordé 8 137 116 $ CA à Bremar et 80 % de ses frais juridiques raisonnables, majorés des débours et des frais d’arbitrage. Demande d’autorisation d’interjeter appelQuanta a demandé l’autorisation d’interjeter appel de la sentence arbitrale en vertu de l’article 44 de la l’Arbitration Act de l’Alberta. La Cour a fait remarquer que l’article 44 limite les appels de sentences arbitrales aux questions de droit, à moins que les parties ne conviennent d’un droit d’appel élargi. Les passages pertinents de l’article 44 sont les suivants : [traduction] 1. Si la convention d’arbitrage le prévoit, une partie peut interjeter appel d’une sentence devant le tribunal relativement à une question de droit, à une question de fait ou à une question mixte de droit et de fait. 2. Si la convention d’arbitrage ne traite pas de la possibilité d’interjeter appel d’une sentence devant le tribunal relativement à une question de droit, une partie peut, sur autorisation du tribunal, faire appel d’une sentence devant le tribunal relativement à une question de droit. 2.1.Le tribunal n’accorde l’autorisation prévue au paragraphe 2 que s’il est convaincu que : a) d’une part, l’importance pour les parties des questions en cause dans l’arbitrage justifie un appel; b) d’autre part, le règlement de la question de droit en litige aura une incidence importante sur les droits des parties. 3. Nonobstant les paragraphes (1) et (2), une partie ne peut pas interjeter appel d’une sentence devant le tribunal relativement à une question de droit que les parties ont expressément renvoyée au tribunal arbitral pour décision. Comme le contrat de sous-traitance ne prévoyait pas d’appel relativement à une question de droit, de fait ou mixte de droit et de fait, l’autorisation d’interjeter appel ne pouvait être accordée que si l’appel portait sur une question de droit et satisfaisait au critère à deux volets énoncé au paragraphe 44(2.1). La Cour a noté que l’exigence de l’alinéa 44(2.1)a) n’a pas été interprétée de façon uniforme. La Cour a reconnu franchement que les décisions antérieures ne s’appuyaient pas sur un cadre de principe et qu’elles reposaient plutôt sur l’« opinion idiosyncrasique » qu’avait le juge en cause de l’importance pour les parties. La Cour a statué que le paragraphe 44(2.1) est un critère d’importance. Ainsi, pour justifier un appel au tribunal, une question doit avoir une forte incidence sur les droits des parties d’une manière qui est importante pour les parties. Pour favoriser la certitude, la Cour a établi une approche de principe en deux étapes pour l’application de l’alinéa 44(2.1)a) : [traduction] 1. Lorsqu’une détermination des droits est invoquée, plutôt que la valeur du litige, pour satisfaire l’exigence liée à l’importance, il incombe à l’appelant d’établir que l’incidence de l’appel proposé sur les droits des parties à elle seule est importante pour les parties. Cela peut consister à démontrer que la décision a un effet important sur la conduite des affaires d’une partie ou que l’appel proposé a une valeur de précédent pour les parties ou le public. Le public, en ce sens, comprend un sous-ensemble du public comme les participants d’un secteur d’activité. 2. Lorsqu’une incidence sur les droits est établie et qu’il est allégué que la valeur du différend est le fondement de l’importance de l’appel proposé pour les parties, l’appelant doit d’abord établir que la valeur de l’appel est importante pour le différend. Si l’appel proposé est susceptible d’annuler une partie importante de la décision arbitrale exprimée en argent, alors il est important pour le différend. À cette fin, il est utile d’adopter une ligne directrice informelle sur l’importance. Dans le cas présent, à mon avis, un appel doit être évalué de façon crédible à 25 pour cent ou plus d’une décision arbitrale pour être considéré comme important. Si l’appelant établit que la valeur de l’appel est importante pour le différend, la Cour peut tenir compte de l’ampleur et de la capacité financière des parties pour déterminer si l’appel est néanmoins sans importance pour les parties. Étant donné que l’appel proposé dans l’affaire Quantas concernait 5 121 518 $ CA (63 % de la sentence arbitrale totale de 8 137 116 $ CA), la Cour a estimé que la valeur de l’appel était importante pour le différend et, par conséquent, importante pour les parties. De plus, lorsqu’ils examinent si la taille et la capacité financière des parties rendent l’appel sans importance, les tribunaux doivent respecter le principe de la personnalité morale distincte et mettre uniquement l’accent sur les parties au différend. Par conséquent, le fait que Quanta fasse partie d’un groupe de sociétés internationales dont la société mère détient plus de 15 milliards de dollars canadiens d’actifs n’était pas pertinent pour déterminer si le différend n’était pas important pour Quanta. Dans cette affaire, l’appel proposé portait sur l’interprétation d’un contrat de construction standard utilisé couramment. Comme les parties étaient actives dans le secteur de la construction, la Cour a conclu qu’elles avaient toutes deux intérêt à en établir le sens. Par conséquent, la Cour a estimé qu’il y avait une valeur de précédent et que l’appel proposé était important pour les parties et le secteur de la construction dans son ensemble. Après avoir conclu que le paragraphe 44(2.1) était satisfait, la Cour a déterminé si les motifs d’appel étaient des questions de droit susceptibles de faire l’objet d’un appel en vertu du paragraphe 44(2). La Cour a conclu que même si le contrat de sous-traitance était un contrat type, le différend ne portait pas sur l’interprétation des clauses types du contrat de sous-traitance, mais sur la recherche des faits par l’arbitre et sur l’application des clauses du contrat de sous-traitance aux faits de l’affaire. La Cour a estimé que ces motifs d’appel étaient des questions mixtes de fait et de droit, qui ne pouvaient pas faire l’objet d’un appel, et a rejeté la demande d’autorisation d’interjeter appel. ConclusionLa décision de la Cour dans l’affaire Quanta fournit un cadre utile pour régir l’application de l’alinéa 44(2.1)a) et la possibilité d’interjeter appel d’une sentence arbitrale. La décision entraîne également des répercussions importantes pour les avocats. En particulier, il est plus important que jamais de discuter des droits d’appel dès le départ et de régler expressément la question au moment de la rédaction des conventions d’arbitrage. Si la convention d’arbitrage ne prévoit pas de clause autorisant l’appel d’une sentence arbitrale, les parties à la convention seront limitées à des appels sur des questions de droit, même si le critère de l’importance énoncé à l’article 44 est satisfait. Les parties peuvent s’attendre à ce que les tribunaux continuent à faire preuve de prudence dans l’identification des questions de droit, conformément aux principes établis par la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sattva Capital Corp. c. Creston Moly Corp., 2014 CSC 53. Dans le contexte d’appels éventuels, les parties doivent aussi garder à l’esprit le choix du siège juridique de l’arbitrage. À l’heure actuelle, Quanta fait autorité en Alberta, mais les règles régissant les appels des sentences arbitrales nationales sont différentes dans les autres provinces du Canada. Or, et comme l’a indiqué la Cour dans l’affaire Quanta, les dispositions d’appel des autres provinces emploient également un libellé semblable relatif à l’« importance pour les parties ». Les tribunaux de l’Ontario, par exemple, n’ont pas encore mis au point des critères semblables à ceux établis dans l’affaire Quanta pour orienter l’application du volet de l’« importance pour les parties » dans le cadre de l’autorisation d’interjeter appel prévue à l’article 45 de la Loi de 1991 sur l’arbitrage, LO 1991, c 17, ayant été convaincus à ce jour que les parties conviennent de l’importance d’une question pour elles, ou ne s’y opposent pas, ou que certains éléments de preuve de l’importance financière du différend sont produits. Les conseils juridiques d’experts sont essentiels pour la rédaction de clauses de résolution des différends dans les accords commerciaux. N’hésitez pas à communiquer avec l’un des membres des groupes Arbitrage international ou Construction de Bennett Jones pour discuter de vos besoins et obtenir une réponse à vos questions. Auteur(e)s
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