Dans trois décisions rendues simultanément par le Tribunal canadien du commerce extérieur (TCCE) le 18 septembre 2015 (collectivement appelées la trilogie Bri-Chem), le TCCE a informé l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) que les interprétations juridiques de la Loi sur les douanes par le TCCE lient l’ASFC à moins qu’elle n’interjette appel avec succès devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour suprême du Canada. 1 La nature contraignante de la jurisprudence s’applique non seulement à l’affaire dont le TCCE est saisi, mais aussi à tous les cas examinés par l’ASFC, à moins qu’il ne soit possible de le distinguer d’après les faits.
L’ASFC a été d’avis contradictoire et fondé à tort que les décisions du TCCE sont propres aux appels qu’elle détermine et ne lient pas l’ASFC dans les différends avec d’autres importateurs qui soulèvent les mêmes questions de droit et mixtes de fait et de droit. Comme ce fut le cas dans la trilogie Bri-Chem, l’ASFC n’était pas d’accord avec une décision du TCCE, n’a pas interjeté appel de celle-ci et a continué d’appliquer son interprétation erronée de la Loi sur les douanes au détriment des importateurs qui ont structuré leurs affaires en fonction de la décision du TCCE. En procédant de cette façon, l’ASFC a limité de façon irrespectueuse l’incidence négative de la décision du TCCE sur ses propres politiques erronées et a enfreint la primauté du droit. On s’attend à ce que la trilogie Bri-Chem amène l’ASFC à changer d’approche; si, à l’avenir, elle n’est pas d’accord avec les décisions du TCCE, il faut s’attendre à ce que l’ASFC interjette appel de ces décisions plutôt que de ne pas tenir compte de leur valeur de précédent. 2
Le présent article traite (i) de l’écart dans la Loi sur les douanes qui a donné lieu à la question de fond dans l’affaire Frito-Lay3 et de la trilogie Bri-Chem, (ii) de la justification du TCCE pour renverser la pratique de l’ASFC de refuser des corrections simultanées et neutres sur le plan des recettes aux demandes de classement tarifaire et de traitement tarifaire préférentiel, et (iii) les préoccupations relatives à la primauté du droit découlant de la conduite de l’ASFC. Au cœur du différend se trouve la précipitation par l’ASFC d’une contestation troublante du pouvoir légal du TCCE de rendre des décisions exécutoires qui régissent l’application quotidienne de la Loi sur les douanes par l’ASFC.
Les appels exigeaient que le TCCE règle une seule question : la Loi sur les douanes permet-elle à un importateur de présenter une demande de traitement tarifaire préférentiel en vertu d’un accord de libre-échange sans incidence sur les recettes lorsqu’elle corrige une erreur de classement tarifaire et qu’elle a initialement réclamé un taux de droit nul fondé sur le classement? Le TCCE a déjà répondu à cette question par l’affirmative dans l’affaire Frito-Lay. L’ASFC n’a pas interjeté appel de Frito-Lay devant la Cour d’appel fédérale, mais elle a par la suite traité les importateurs de Bri-Chem, d’EverGreen et du Pacifique Sud comme si le TCCE n’avait pas infirmé la décision de l’ASFC dans l’affaire Frito-Lay. En accueillant les appels de la trilogie Bri-Chem, le TCCE a conclu que l’ASFC s’était livrée à un abus de procédure en ne tenant pas compte de la décision du TCCE dans l’affaire Frito-Lay et en forçant les importateurs à plaider de nouveau la loi précédemment établie.
Le traitement tarifaire préférentiel est fonction du classement tarifaire en vertu de la Liste tarifaire harmonisée du Tarif des douanes (SHD) et de l’origine des marchandises importées. Le SHD est un système de classification à 10 chiffres pour les marchandises dans lequel les classifications sont appariées avec les taux de droits applicables en fonction de l’origine. Le traitement tarifaire de la nation la plus favorisée, aussi appelé taux de droit NPF, fait référence au taux de droit par défaut imposé sur l’importation de marchandises, originaires de n’importe où dans le monde, à l’exception de la Corée du Nord, qui n’ont pas droit à une préférence tarifaire (taux).
Les accords de libre-échange du Canada prévoient un traitement tarifaire préférentiel pour un classement HTS donné sous la forme d’un taux de droit inférieur (généralement nul) à condition que les marchandises « proviennent » du pays signataire de l’accord de libre-échange. Par exemple, en vertu de l’Accord de libre-échange nord-américain (ALENA), les marchandises originaires des États-Unis sont admissibles au traitement tarifaire en franchise de droits en vertu du Tarif des États-Unis (UST) lorsqu’elles sont importées au Canada.
Les différends dans la trilogie Bri-Chem et Frito-Lay découlaient du fait que la Loi sur les douanes n’avait pas abordé la question de savoir si un importateur pouvait apporter une correction sans incidence sur les recettes à sa demande de traitement tarifaire préférentiel lorsqu’il corrige une déclaration de classement tarifaire, en résumé, une lacune de la loi. L’ASFC a interprété à tort la Loi sur les douanes pour combler l’écart par rapport aux intérêts de préférence tarifaire des importateurs, tandis que l’interprétation du TCCE favorisait les allégations des importateurs selon lesquelles les importations demeuraient admissibles au traitement en franchise de droits.
La Loi sur les douanes exige que les importateurs s’autocotisent et paient les droits en fonction du classement tarifaire, de l’origine et de la valeur en douane des marchandises importées. En fonction du classement tarifaire et de l’origine des marchandises, l’importateur demande un traitement tarifaire (NPF ou taux de droit préférentiel) qui est appliqué à la valeur en douane des marchandises importées afin de déterminer les droits et la TPS dus à l’ASFC.
Les erreurs dans les déclarations en douane sont une réalité pour les importateurs et leurs fournisseurs de services douaniers. La Loi sur les douanes traite les corrections apportées à ces erreurs différemment selon que la correction donne lieu à une demande de remboursement par l’importateur pour le trop-payé de droits, les droits dus à l’ASFC en raison d’un sous-paiement des droits ou une correction qui n’a pas d’incidence sur les droits exigibles de l’importateur (c.-à-d. une correction sans incidence sur les recettes). Un importateur a la possibilité de présenter une demande de remboursement en vertu de l’article 74 de la Loi sur les douanes, mais il est tenu de produire des corrections qui entraînent l’exigible des droits ou qui n’ont pas d’incidence sur les recettes en vertu de l’article 32.2.
Le méfait de l’affaire Frito-Lay et de la trilogie Bri-Chem est survenu en raison du traitement incohérent des corrections apportées aux allégations de traitement tarifaire en vertu des articles 74 et 32.2 de la Loi sur les douanes.
En vertu de l’article 74, un importateur peut présenter une demande de remboursement pour les droits payés sur les marchandises admissibles au traitement tarifaire de l’ALENA dans l’année suivant la date de déclaration en détail des marchandises importées.4 En revanche, l’article 32.2 de la Loi sur les douanes n’exige pas, ou n’autorise pas expressément, un importateur à corriger une allégation de traitement tarifaire. Les corrections apportées en vertu de l’article 32.2 se limitent aux déclarations d’origine, de classement tarifaire et de valeur en douane. De plus, si l’importateur a des « motifs de croire » que ses déclarations en douane sont inexactes, il est tenu de corriger son erreur pour toutes les importations dans les quatre ans suivant la date d’importation. Il est implicite à l’article 32.2 qu’une correction à l’origine ou au classement tarifaire des marchandises peut entraîner le rejet d’une demande de traitement tarifaire préférentiel et que l’importateur devra payer des droits en conséquence. Toutefois, l’article 32.2 ne prévoit pas explicitement une correction sans incidence sur les recettes à une allégation de traitement tarifaire.
L’absence de traitement tarifaire en tant qu’élément « corrigible » d’une déclaration en douane à l’article 32.2 est conforme aux dispositions d’appel des articles 57 à 70 de la Loi sur les douanes, qui s’appliquent peu importe que l’importateur ou l’ASFC ait apporté la modification à la déclaration en douane des marchandises importées. Ces dispositions s’appliquent étroitement aux différends entre l’ASFC et un importateur au sujet du marquage, de l’origine, du classement tarifaire, de la valeur en douane des marchandises importées, ainsi que des décisions anticipées en matière de classement tarifaire rendues par l’ASFC. Ce silence signifie que la Loi sur les douanes ne prévoit pas le droit d’interjeter appel des allégations de traitement tarifaire.
En résumé, la Loi sur les douanes permet à un importateur de demander des remboursements sur la base d’une demande de traitement tarifaire de l’ALENA dans l’année suivant l’importation des marchandises, exige qu’un importateur paie des droits lorsqu’il a incorrectement demandé un traitement tarifaire préférentiel fondé sur des déclarations d’origine et/ou un classement tarifaire incorrects, mais ne traite pas d’une demande de traitement tarifaire sans incidence sur les recettes pour les marchandises importées.
L’écart dans la Loi sur les douanes en ce qui concerne les corrections du traitement tarifaire sans incidence sur les recettes peut sembler ésotérique. Mais les importateurs qui ont connu la réponse de l’ASFC à cette lacune ont découvert ses répercussions financières importantes.
L’ASFC a interprété la lacune législative comme interdisant à un importateur d’apporter une correction sans incidence sur les recettes à une demande de traitement tarifaire en vertu de l’article 32.2 de la Loi sur les douanes, en vertu de laquelle, lorsqu’un importateur dépose simultanément des corrections de classement tarifaire et de traitement tarifaire neutres sur le plan des recettes, l’ASFC refuse la correction du traitement tarifaire et imposé des droits sur des marchandises qui sont par ailleurs admissibles à un traitement en franchise de droits sans incidence sur les recettes en vertu de l’ALENA.
La trilogie Bri-Chem résume bien le fonctionnement du « piège » pour l’importateur créé par l’interprétation de la Loi sur les douanes par l’ASFC. Dans chaque cas, les marchandises ont été déclarées comme étant originaires des États-Unis. En vertu du classement tarifaire initialement déclaré par les importateurs, les traitements tarifaires NPF et ALENA étaient tous deux en franchise de droits et chaque importateur a demandé une NPF. Les importateurs n’ont donc payé aucun droit au moment de l’importation. Par la suite, les importateurs ont obtenu des « motifs de croire » que leurs déclarations de classement tarifaire étaient incorrectes. 5 Selon les classements tarifaires corrigés, les taux de droits NPF variaient de quatre à huit pour cent, tandis que les traitements tarifaires équivalents de l’ALENA étaient bien sûr en franchise de droits. Lorsque les importateurs ont produit les corrections requises en vertu de l’article 32.2 de la Loi sur les douanes, ils ont demandé le traitement tarifaire de l’ALENA parce que les marchandises satisfaisaient aux règles d’origine en vertu de l’ALENA concernant les classifications correctes, de sorte que les corrections étaient sans incidence sur les recettes; les importateurs ont affirmé qu’aucun droit n’était dû à l’ASFC.
Dans chaque cas, l’ASFC a accepté la correction au classement tarifaire, mais a rejeté la demande de traitement tarifaire et a exigé que les importateurs paient des droits au taux NPF. Les importateurs ont donc été confrontés à une situation dans laquelle des marchandises qui auraient dû être en franchise de droits étaient devenues passibles de droits en raison de ce qui aurait dû être une erreur de classement tarifaire sans incidence sur les recettes et de leur décision de comptabiliser initialement les marchandises sous traitement NPF au lieu du traitement tarifaire UST. Mais ce n’était pas la fin de la « solution administrative » de l’ASFC à l’écart législatif sur les corrections neutres en termes de revenus aux demandes de traitement tarifaire.
Lorsque les importateurs ont demandé à interjeter appel du rejet par l’ASFC de leurs demandes tarifaires préférentielles auprès du président de l’ASFC en vertu du paragraphe 60(1) de la Loi sur les douanes, le président a refusé d’entendre les appels en raison d’un manque de compétence. Pour rendre ces « non-décisions », le président s’est fondé sur la lacune législative : l’absence du droit d’un importateur d’interjeter appel d’une décision de l’ASFC sur des demandes tarifaires préférentielles en vertu des articles 57 à 70 de la Loi sur les douanes découlant d’une correction apportée en vertu de l’article 32.2 de la Loi sur les douanes.
Le lecteur doit garder à l’esprit que les importateurs de la trilogie Bri-Chem avaient déposé leurs corrections simultanées et sans incidence sur les recettes au classement tarifaire et au traitement tarifaire en s’appuyant sur Frito-Lay. Dans l’affaire Frito-Lay, l’importateur avait fait l’objet d’un traitement identique, y compris le refus du Président d’entendre son appel pour défaut de compétence. Le TCCE a accueilli l’appel dans l’affaire Frito-Lay sur le droit de l’importateur de déposer des corrections de traitement tarifaire sans incidence sur les recettes et sur l’obligation du président de trancher l’appel subséquent.
Les importateurs de Frito-Lay et de la trilogie Bri-Chem ont par la suite interjeté appel avec succès auprès du TCCE en vertu de l’article 67 de la Loi sur les douanes.
Le Président a justifié le rejet des corrections apportées au traitement tarifaire par l’absence de traitement tarifaire en tant que déclaration « corrigible » au titre de l’article 32.2 de la Loi sur les douanes et a fait valoir que les importateurs étaient donc « coincés » avec leur allégation initiale de traitement tarifaire NPF. Le président s’est appuyé sur le même argument pour justifier le refus du président d’entendre les appels interjetés en vertu du paragraphe 60(1) et son affirmation selon laquelle le TCCE n’avait pas compétence pour entendre les appels parce que le « traitement tarifaire » n’est pas un moyen d’appel en vertu de la Loi sur les douanes.
L’ASFC a également reconnu que son interprétation de la Loi sur les douanes signifiait que les importateurs devaient toujours demander le traitement tarifaire de l’ALENA, même si le taux NPF était en franchise de droits, et engager les frais administratifs connexes, juste au cas où leurs déclarations de classement tarifaire étaient incorrectes. Cette politique ne tient pas compte de la préoccupation des importateurs selon laquelle les allégations inutiles de traitement tarifaire préférentiel pourraient attirer des vérifications commerciales coûteuses et distrayantes sans but utile. 6
Le TCCE a conclu que les positions de l’ASFC n’étaient pas étayées par la Loi sur les douanes et qu’elles étaient absurdes dans leurs conséquences pour l’importateur. Alors que l’ASFC a appliqué une interprétation étroite de la Loi sur les douanes, le TCCE a interprété l’article 32.2 de la Loi sur les douanes à la lumière de la réalité commerciale des allégations de traitement tarifaire et des objectifs du traitement tarifaire préférentiel dans les accords de libre-échange.
Le TCCE a qualifié l’argument de l’ASFC selon lequel l’importateur était « coincé » avec une allégation NPF défavorable mais « non incorrecte » à la suite d’une correction au classement tarifaire comme étant « au mieux circonspection bureaucratique; au pire, il est tout à fait trompeur sinon sournois, et il est également à côté de la question. Le TCCE a déclaré que l’ASFC n’a pas tenu compte de la réalité commerciale selon laquelle les importateurs éviteront la dépense supplémentaire liée à la demande d’un traitement tarifaire préférentiel lorsque le taux de droit NPF est nul. De l’avis du TCCE, forcer l’importateur à demander un traitement tarifaire préférentiel lorsque le taux NPF est nul impose un fardeau administratif inutile qui va à l’encontre de l’objectif des accords de libre-échange: encourager et faciliter l’importation de marchandises originaires du territoire d’un partenaire de libre-échange.
Le TCCE a souligné à juste titre que l’insistance de l’ASFC sur le fait que les déclarations de traitement tarifaire NPF n’étaient pas « incorrectes » n’était pas pertinente parce que le traitement tarifaire n’est pas indépendamment susceptible d’être corrigé en vertu de l’article 32.2 de la Loi sur les douanes. Le TCCE a déterminé que les points de départ analytiques pertinents pour les corrections au traitement tarifaire en vertu de l’article 32.2 sont le classement tarifaire et l’origine. De l’avis du TCCE, une correction au classement tarifaire a permis à l’importateur de réviser son allégation relative au traitement tarifaire parce que le traitement tarifaire est un produit du classement tarifaire et de l’origine. Il s’ensuit que si le classement tarifaire des marchandises change, l’importateur peut apporter le rajustement approprié à l’allégation de traitement tarifaire afin de maintenir l’effet de la correction qui n’a pas d’incidence sur les recettes.
Un autre point de vue sur le raisonnement du TCCE est que si la Loi sur les douanes ne permet pas explicitement à un importateur d’apporter une correction au traitement tarifaire neutre sur le plan des recettes, elle ne permet pas non plus explicitement à l’ASFC de s’ingérer dans une demande de traitement tarifaire sans incidence sur les recettes à moins qu’elle ne détermine de nouveau l’origine des marchandises déclarées par l’importateur. Le TCCE a souligné que l’ASFC n’avait pas contesté les déclarations des importateurs selon lesquelles les marchandises étaient d’origine américaine et que, par conséquent, les marchandises avaient toujours droit au traitement tarifaire de l’ALENA.
De l’avis du TCCE, rien dans la Loi sur les douanes n’interdisait à l’importateur de réexaminer sa demande de traitement tarifaire. Bien que l’ASFC ait déduit de l’écart législatif que les corrections aux demandes de traitement tarifaire sans incidence sur les recettes sont interdites, le TCCE a tiré la conclusion contraire.
Jusqu’à maintenant, nous n’avons délibérément pas fait de distinction entre les décisions de la trilogie Frito-Lay et Bri-Chem parce que les questions fondamentales de droit et de fait dans ces affaires sont essentiellement les mêmes.
L’exposé des motifs des décisions rendues dans la trilogie Bri-Chem et Frito-Lay se distingue par le fait que le premier contient une vive réprimande à l’ASFC pour avoir contesté le pouvoir conféré par la loi du TCCE. Le TCCE a qualifié les actions de l’ASFC de « sans précédent », de « peut-être méprisables » et n’a laissé aucun doute sur le fait qu’elle aurait sanctionné l’ASFC pour ses actions si elle avait eu le pouvoir de le faire en vertu de la Loi sur les douanes.
La décision de politique de l’ASFC de ne pas tenir compte de Frito-Lay n’a sans doute pas laissé au TCCE d’autre choix que de déclarer que l’ASFC s’était livrée à un abus de procédure en sapant la primauté du droit et la confiance du public dans l’administration de la justice. Bien que la conclusion d’abus de procédure n’ait fourni aucun recours tangible aux importateurs dans la trilogie Bri-Chem, le TCCE a affirmé sa suprématie juridictionnelle sur l’ASFC. La trilogie Bri-Chem porte en fin de compte sur l’obligation de l’ASFC d’appliquer les décisions existantes du TCCE à des cas subséquents qui soulèvent les mêmes questions de droit et mixtes de fait et de droit conformément à la doctrine du précédent. Il est certain qu’il deviendra une autorité de premier plan dans les litiges futurs en vertu de la Loi sur les douanes.
La Loi sur les douanes laisse peu de place pour contester la proposition selon laquelle l’ASFC est tenue de suivre les décisions du TCCE prises en vertu de la Loi sur les douanes à moins qu’elles ne soient infirmées par la Cour d’appel fédérale ou la Cour suprême du Canada. L’ASFC n’a pas interjeté appel de Frito-Lay devant la Cour d’appel fédérale, et cela aurait dû être la fin du litige sur les questions juridiques abordées. Pourtant, l’ASFC a décidé qu’elle ne suivrait pas la loi établie par le TCCE dans l’affaire Frito-Lay, probablement parce qu’elle était d’avis que Frito-Lay, comme toutes les décisions du TCCE, ne s’appliquait qu’au différend étroit qu’elle avait tranché. Le TCCE a corrigé ce point de vue dans la trilogie Bri-Chem : en l’absence de distinction sur les faits, l’ASFC est tenue d’appliquer les décisions du TCCE lorsque les mêmes questions juridiques se posent dans son administration et l’exécution de la Loi sur les douanes. Si l’ASFC souhaite contester la décision du TCCE sur la trilogie Bri-Chem, sa seule option est d’interjeter appel de ces décisions devant la Cour d’appel fédérale.
Il reste à voir comment l’ASFC réagira au point de vue du TCCE sur l’étendue de son pouvoir d’appel sur le président. L’application d’un précédent dans un contexte de droit administratif exige une analyse juridique complexe. La doctrine du précédent (aussi connue sous son appellation latine, stare decisis) exige que les tribunaux inférieurs et les décideurs administratifs comme l’ASFC suivent les décisions des tribunaux supérieurs, comme le TCCE. La valeur jurisprudentielle d’une décision, cependant, se limite aux questions de droit et mixte de fait et de droit qui ont été décidées pour résoudre la décision (en latin, le ratio decidendi). Toutes les autres déclarations sont considérées comme non contraignantes (et sont appelées obiter dicta). Les difficultés à faire la distinction entre le ratio et les remarques incidentes vont probablement mettre l’ASFC au défi. Les tribunaux évitent souvent les décisions jurisprudentielles en distinguant les faits ou le droit applicable dans une affaire de précédent de l’affaire à l’étude.
L’affirmation selon laquelle l’ASFC est liée par les décisions du TCCE est la bienvenue et augmente considérablement la valeur des décisions antérieures du TCCE et la certitude dans la communauté des importateurs. Mais une analyse minutieuse est nécessaire pour déterminer si une déclaration donnée a ou non une valeur de précédent. Les importateurs et leurs fournisseurs de services seraient bien avisés de consulter les avocats en droit commercial canadien, qui sont formés à la déconstruction des décisions afin de distiller les précédents qui peuvent éclairer de manière fiable les décisions concernant les déclarations en douane et le règlement des différends avec l’ASFC à un stade précoce.
Sous réserve d’un appel ou d’une modification législative, la trilogie Bri-Chem règle définitivement la question de la capacité de l’importateur de demander un traitement tarifaire préférentiel lorsqu’il dépose une correction sans incidence sur les recettes d’un classement tarifaire et la compétence du Tribunal d’entendre les appels des demandes de traitement tarifaire. Ce qui reste à voir, c’est comment l’ASFC réagit à l’avertissement du TCCE dans la trilogie Bri-Chem de suivre ses décisions.
À la suite de la trilogie Bri-Chem, une question importante est l’existence d’un recours offert aux importateurs qui n’ont pas interjeté appel du refus de l’ASFC de leurs demandes de traitement tarifaire sans incidence sur les recettes après que le TCCE a publié ses motifs dans l’affaire Frito-Lay le 8 janvier 2013. Le non-respect de Frito-Lay par l’ASFC a eu pour effet d’imposer des droits sur des marchandises qui auraient été en franchise de droits si l’ASFC avait accueilli la demande de traitement tarifaire préférentiel. Normalement, ces appels seraient prescrits par les délais de prescription de 90 jours pour interjeter appel des décisions de l’ASFC auprès du président ou des décisions du président auprès du TCCE. Toutefois, la Loi sur les douanes prévoit un mécanisme permettant à un importateur de demander une prorogation du délai pour interjeter appel auprès du président ou du TCCE dans un délai d’un an et de 90 jours suivant la décision en cause. Les refus de demandes de prorogation de délai pour interjeter appel auprès du président peuvent également faire l’objet d’un appel devant le TCCE. Compte tenu de la conclusion du TCCE selon laquelle le mépris de l’ASFC à l’égard de Frito-Lay constituait un abus de procédure, et de ses préoccupations explicites au sujet des importateurs qui n’ont pas interjeté appel de la cotisation inappropriée des droits par l’ASFC à la suite de Frito-Lay, le Tribunal pourrait être plus que disposé à accorder des prorogations de délai pour interjeter appel afin de remédier à l’abus de procédure de l’ASFC.
Les importateurs qui se sont vu refuser l’avantage de Frito-Lay après le 8 janvier 2013 devraient donc envisager de demander des prorogations de délai pour interjeter appel afin de recouvrer les droits indûment payés à l’ASFC.