C’est une perception répandue que l’Alberta est une province favorable aux entreprises. Avec peu de paperasserie, des règlements maigres, des impôts modestes, un bassin important d’entrepreneurs, une attitude positive, une syndicalisation quasi absente, une invariabilité politique, des ressources abondantes, une infrastructure solide, un coût de la vie raisonnable, un excellent ski, des magasins d’alcool privés et une main-d’œuvre jeune et bien éduquée, il est difficile de soutenir que cette perception est erronée. Toutefois, on ne peut pas en dire autant des lois de l’Alberta relatives aux délais de prescription.
L’Alberta est la seule juridiction de common law au Canada qui interdit expressément aux parties commerciales de convenir de délais de prescription réduits dans les accords commerciaux. La plupart des provinces et des territoires, comme la Colombie-Britannique et la Nouvelle-Écosse, ne sont pas silencieux quant à la prolongation ou à la réduction; La Saskatchewan autorise expressément la prolongation, mais ne dit rien quant à la réduction; et l’Ontario permet expressément aux parties de prolonger ou de raccourcir contractuellement son délai de prescription de deux ans prévu par la loi dans les ententes commerciales. L’interdiction de l’Alberta est mal conçue et met l’Alberta en décalage avec les autres provinces (à l’exception du Québec).
Les lois sur la prescription n’ont pas toujours interdit aux accords de varier les délais de prescription. Le 1er mars 1999, l’Alberta a promulgué une nouvelle loi sur la prescription qui sanctionnait expressément les prorogations des délais de prescription, mais qui était silencieuse en ce qui concerne les réductions. La confusion régnait quant à savoir si ce silence signifiait que les accords de réduction étaient interdits.
L’Alberta Law Reform Institute était d’avis que la règle d’interprétation des lois,
l’expression unius est exclusion (exprimer une chose, c’est en exclure une autre), interdisait implicitement aux parties d’abréger contractuellement les délais de prescription. Bien qu’un examen du hansard laisse entendre que l’intention du législateur était d’empêcher le raccourcissement des délais de prescription, le législateur a finalement choisi de ne pas interdire expressément la réduction des délais de prescription, ce qui indique peut-être que certains accords de réduction peuvent être tolérés. Le législateur aurait facilement pu expressément légiférer contre les délais de prescription abrégés (comme le Québec l’a fait dans les deux langues officielles aux articles 2884, 2925 et 2930 du Code civil et comme l’Ontario l’a fait (mais plus tard annulé) en 2004). Cela expliquerait également pourquoi le gouvernement de l’Alberta s’est senti obligé plus tard (en 2006) de modifier la Loi sur la prescription afin d’interdire expressément la réduction des délais de prescription.
La confusion a prévalu, malgré cette modification. Comment l’interdiction serait-elle interprétée par les tribunaux? En gros? De justesse? l’interdiction s’applique-t-elle rétroactivement aux ententes existantes? l’interdiction s’étend-elle aux dispositions contractuelles qui raccourcissent indirectement les délais de prescription? Quel est son effet sur les droits contractuels limités dans le temps tels que les représentations et les garanties?
La décision rendue en 2008 par la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta dans
l’affaire Edmonton (Ville) c. Transalta Energy Marketing Corporation a apporté des éclaircissements bienvenus. Cette affaire portait sur une réclamation de la Ville d’Edmonton contre Transalta pour des dommages découlant de la vente d’une installation de compostage par Transalta. Transalta a fourni des déclarations et des garanties à l’égard du composteur, qui sont demeurées, conformément aux modalités de la convention d’achat, en vigueur pendant 18 mois après la clôture. Le contrat d’achat exigeait également que la Ville avise Transalta de toute fausse déclaration au cours de cette période de 18 mois.
La Ville a intenté une action contre Transalta pour fausses déclarations dans le délai de deux ans prescrit par la loi, mais n’a pas donné à Transalta l’avis requis dans le délai de 18 mois prescrit par contrat. La Ville a soutenu, entre autres, que la période de survie de 18 mois (oui, la même que celle qu’elle a négociée et acceptée avec Transalta) était invalide puisqu’elle était plus courte que la période de deux ans prescrite par la loi. La Cour a rejeté (à juste titre) cet argument au motif que la période de survie ne faisait que définir la portée des garanties fournies et ne traitait pas du délai de prescription dans lequel une action devait être intentée. Par conséquent, la Cour a statué que l’exigence d’avis était valide, conformément à la jurisprudence en vigueur (y compris
Arrow Transfer Co. Ltd. c. Banque Royale du Canada et Hunter Engineering Co., c. Syncrude). D’autres techniques de rédaction qui raccourcissent indirectement les délais de prescription n’ont pas encore été testées, ce qui a entraîné une incertitude persistante dans la loi.
La raison d’être de la politique publique qui sous-tend l’interdiction des périodes de réduction contractuelles dans les situations où il y a un déséquilibre de pouvoir entre deux parties n’existe tout simplement pas dans les ententes commerciales négociées par des parties commerciales averties. L’approche générale adoptée par l’Alberta ne tient pas compte des différences essentielles entre les contrats de consommation types, d’une part, et les ententes commerciales négociées entre les parties commerciales, d’autre part.
L’interdiction générale est également incompatible avec ce que Lord Reid dans
l’arrêt Suisse Atlantique Société d’Armement Maritime S.A. et N.V. Rotterdamsche Kolen Centrale ont décrit comme le « principe général du droit anglais selon lequel les parties sont libres de contracter comme elles l’entendent ». Comme l’a déclaré le juge Fruman dans
l’arrêt Prenor Trust Co. of Canada c. Nunn, « les tribunaux ne devraient pas être prompts à réécrire les contrats entre les parties – en particulier les parties qui ont la même sophistication, l’expérience, la force de négociation et la représentation juridique . »
Éliminons l’anomalie de l’Alberta et l’incertitude persistante dans la loi en suivant l’exemple de l’Ontario et en proclamant une fois pour toutes en vigueur une disposition de limitation qui reconnaît expressément le droit légitime des parties à des accords commerciaux de négocier des délais dans lesquels des réclamations peuvent être déposées. Une telle décision renforcerait la stature de l’Alberta en tant que province favorable aux entreprises.