La Cour suprême clarifie le critère de confusion des marques de commerce

06 juin 2011

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Les marques de commerce remplissent une fonction clé sur le marché. Les marques de commerce servent de raccourci pour les consommateurs : « les marques de commerce assurent aux consommateurs qu’ils achètent de la source auprès de laquelle ils pensent acheter et qu’ils reçoivent la qualité qu’ils associent à cette marque de commerce particulière. » 1 Comme on pouvait s’y surprendre, la question de la confusion des consommateurs entre les sources de biens et de services est souvent au centre d’un différend relatif aux marques de commerce.

Dans une décision récente sur une marque de commerce, Masterpiece Inc. c. Alavida Lifestyles Inc.2, la Cour suprême du Canada a fourni des précisions sur les principes juridiques clés concernant la confusion.

Cette décision, qui traitait de la question de la confusion dans le contexte des droits de marque concurrents découlant de l’enregistrement et de la common law, a confirmé le principe de la première utilisation au Canada : « Ce n’est pas l’enregistrement qui fait de la partie propriétaire d’une marque de commerce; il doit être propriétaire avant de pouvoir s’inscrire. 3

La Cour de première instance et la Cour d’appel

La question en litige en l’espèce était de savoir si la marque de commerce MASTERPIECE LIVING proposée (et par la suite enregistrée et utilisée) par Alavida, une entreprise qui se lance dans l’industrie de la résidence pour personnes âgées en Ontario, prêtait alors à confusion avec les marques de commerce non enregistrées ou le nom commercial précédemment utilisés par Masterpiece, un concurrent exerçant ses activités en Alberta.

Masterpiece a déposé une demande devant la Cour fédérale en vue d’invalider (et de radier) l’enregistrement de la marque de commerce d’Alavida pour MASTERPIECE LIVING. Masterpiece a fait valoir que la marque de commerce d’Alavida n’était pas valide parce que, à la date du dépôt de la demande d’Alavida, elle prêtait à confusion avec le nom commercial et les marques de commerce non enregistrés précédemment utilisés par Masterpiece, qui comprenaient tous le mot « Masterpiece ».

La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont rejeté la demande, concluant que l’enregistrement n’était pas invalide car il n’y avait aucun risque de confusion. La Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale ont conclu qu’il n’y avait aucun risque de confusion parce que (1) les marques de commerce respectives n’étaient pas utilisées dans la même zone géographique, (2) les dessins étaient suffisamment différents et (3) le coût élevé des services entraînerait une plus grande prudence lors de l’achat.

La décision de la Cour suprême

Devant la Cour suprême, les droits antérieurs de Masterpiece en common law ont prévalu sur les droits de marque déposées d’Alavida obtenus (et utilisés) par la suite. La Cour suprême a infirmé la décision des tribunaux d’instance inférieure, concluant que l’enregistrement était invalide.

Pour en arriver à sa conclusion, la Cour suprême a apporté un certain nombre de précisions importantes sur le critère de la confusion.

Lieu de l’utilisation réelle

La Cour suprême a précisé que le critère de la confusion est fondé sur l’hypothèse hypothétique que les marques sont utilisées dans le même domaine, que ce soit ou non le cas. Pour en arriver à cette conclusion, la Cour suprême a tenu compte du droit exclusif accordé en vertu de l’article 19 de la Loi sur les marques de commerce. En particulier, étant donné que l’usage exclusif est accordé partout au Canada, l’exigence selon laquelle il n’y a aucun risque de confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial doit également s’étendre à l’ensemble du Canada. En d’autres termes, pour obtenir un enregistrement et donc un usage exclusif au Canada, il ne peut y avoir aucune probabilité de confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial n’importe où au pays.

En l’espèce, le fait que l’utilisation antérieure par Masterpiece de ses marques non déposées ait été localisée en Alberta, et non en Ontario où Alavida fournissait des services concurrents, n’était pas pertinent.

Évaluation de la ressemblance

En évaluant la ressemblance entre la marque MASTERPIECE LIVING d’Alavida et les noms commerciaux et marques de commerce non enregistrés existants de Masterpiece, la Cour suprême a fourni les directives suivantes:

La Cour suprême a conclu que les marques partageaient des similitudes frappantes et qu’il y avait une forte ressemblance dans son ensemble entre la marque Masterpiece et la marque Alavida.

Coût des marchandises ou des services

La Cour suprême a confirmé que le critère de la confusion demeure un critère de première impression. Par conséquent, bien qu’il soit possible qu’il y ait une moindre probabilité de confusion lorsque les consommateurs sont sur le marché pour des marchandises ou des services coûteux ou importants, cette probabilité réduite est toujours fondée sur la première impression des consommateurs lorsqu’ils rencontrent les marques en question.

Le juge de première instance a commis une erreur en écartant le risque de confusion en examinant les mesures que le consommateur pourrait prendre après avoir rencontré une marque sur le marché (par exemple, des recherches subséquentes qui peuvent être entreprises par les consommateurs de marchandises et de services coûteux).

La Cour suprême a souligné que, bien qu’une recherche et des délibérations minutieuses puissent dissiper toute confusion sur les marques de commerce qui a pu survenir, cela ne signifie pas qu’aucune confusion n’a jamais existé ou qu’elle ne continuera pas d’exister dans l’esprit des consommateurs qui n’ont pas effectué cette recherche. La Cour suprême a souligné que le détournement (amener un consommateur à rechercher ou à examiner les marchandises et les services auprès d’une source dont il n’avait pas connaissance ou qui ne l’intéressait pas auparavant) avant de remédier à la confusion diminue la valeur de l’achalandage associé à la marque de commerce que le consommateur pensait initialement rencontrer en voyant la marque de commerce.

En l’espèce, la Cour suprême a statué que le coût n’était pas sans importance parce que l’on peut s’attendre à ce que les consommateurs de logements pour personnes âgées coûteux accordent un peu plus d’attention lorsqu’ils rencontrent une marque de commerce pour la première fois que les consommateurs de marchandises ou de services moins coûteux. Toutefois, en l’espèce, la Cour suprême n’a pas conclu que le coût modifierait la conclusion d’une probabilité de confusion dictée par la forte ressemblance entre les marques.

Preuve d’expert

En plus de clarifier les principes juridiques sur la confusion, cette affaire est également remarquable pour les observations critiques de la Cour suprême sur les preuves d’experts et d’enquête.

La Cour suprême a souligné le rôle de gardien de la Cour pour s’assurer que les témoignages d’experts et d’enquêtes inutiles, non pertinents et potentiellement distrayants ne sont pas autorisés à prolonger et à compliquer les procédures judiciaires.

En l’espèce, la Cour suprême a rejeté la preuve d’expert déposée par les parties, concluant que la preuve d’expert et la preuve d’arpentage ne répondaient pas aux éléments pertinents et nécessaires du critère de l’arrêt R. c. Mohan. 4 En particulier, la preuve d’expert visant à évaluer la ressemblance des marques n’était pas nécessaire. La Cour suprême a statué que dans les cas de marchandises ou de services commercialisés auprès du grand public, les juges devraient examiner les marques en cause, chacune dans son ensemble, mais en tenant compte de la caractéristique dominante, la plus frappante ou unique de la marque de commerce. Ils devraient utiliser leur propre bon sens, en excluant les influences de leurs « propres connaissances ou tempéraments idiosyncrasiques » pour déterminer si le consommateur occasionnel serait probablement confus. La preuve de l’enquête dans ce cas n’était pas pertinente parce que les consommateurs interrogés n’avaient pas un souvenir imparfait de la première marque (Masterpiece n’avait pas encore établi une présence dans la communauté).

Il est également intéressant de noter les recommandations de la Cour suprême qui proposent que l’admissibilité et l’utilité de la preuve d’expert et d’enquête soient évaluées à un stade précoce du litige afin d’éviter d’importantes dépenses de ressources sur des éléments de preuve de peu d’utilité.

Conclusion

Cette décision renforce l’importance d’effectuer des recherches approfondies sur les marques de commerce et les noms commerciaux non enregistrés (et pas seulement enregistrés) pour évaluer le risque associé à l’adoption d’une marque de commerce proposée.


Notes
  1. Mattel Inc. c. 3894207 Canada Inc., 2006 CSC 22, par. 21-22.
  2. 2011 CSC 27 (Chef-d’œuvre).
  3. Chef-d’œuvre au para. 35, citant Partlo v. Todd (1888), 17 RCS 196 à 200.
  4. [1994] 2 RCS 9.

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