Le 20 novembre 2012, des modifications aux dispositions du Code criminel relatives à la détermination de la peine, présentées par Bill C-10, la Loi sur la sécurité des rues et des communautés, sont entrées en vigueur. La Loi sur la sécurité des rues a reçu la sanction royale le 13 mars 2012. Il modifie plusieurs lois, y compris le Code criminel, et supprime la disponibilité des peines d’emprisonnement avec sursis pour les personnes reconnues coupables d’infractions de complot ou de truquage d’offres en vertu des articles 45 et 47 de la Loi sur la concurrence. Les peines d’emprisonnement avec sursis, c’est-à-dire les peines purgées dans la collectivité (c.-à-d. l’assignation à résidence), sont offertes pour les infractions qui ne sont pas assorties d’une peine minimale et pour lesquelles le tribunal impose une peine de moins de deux ans.
Depuis le 20 novembre, la Loi sur la sécurité des rues a retiré les infractions passibles d’une peine maximale de 14 ans ou l’emprisonnement à perpétuité de l’admissibilité aux peines d’emprisonnement avec sursis. Le complot et le truquage d’offres entrent dans cette catégorie avec leurs peines maximales de 14 ans, à compter des modifications apportées en 2009-10 à la Loi sur la concurrence. Les modifications ont pour effet de restreindre le pouvoir discrétionnaire des juges qui prononcent la peine et de maintenir une tendance, sous le gouvernement conservateur actuel, à s’appuyer davantage sur les peines d’emprisonnement pour avoir une dissuasion.
L’indisponibilité de peines d’emprisonnement avec sursis pour les condamnations pour complot et truquage d’offres s’écarte considérablement des peines historiques imposées à l’égard de ces infractions.1 Les implications de ce changement restent à voir. Bien que le commissaire ait déclaré que le Bureau sera « suffisamment agressif lorsqu’il traitera avec des personnes », les peines d’emprisonnement ne seront pas automatiques et c’est le Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) qui décide, non seulement s’il y a des accusations, mais aussi les peines à imposer.
Il est également possible que les juges canadiens hésitent à imposer des peines d’emprisonnement pour des condamnations antitrust. Selon les principes de détermination de la peine énoncés à l’article 718.2 du Code criminel, les délinquants ne devraient pas être privés de liberté si des sanctions moins restrictives sont appropriées, et les tribunaux sont tenus d’examiner toutes les sanctions disponibles autres que l’emprisonnement qui sont raisonnables dans les circonstances. Les juges peuvent toujours imposer deux autres types de peines non privatives de liberté : i) des amendes; et ii) les peines avec sursis et la mise à l’épreuve; mais on peut se demander si les juges considèrent ou non que ces types de peines sont appropriés pour les infractions de cartel « intransillables ».
En vertu de l’article 734 du Code criminel, une personne déclarée coupable peut être condamnée à une amende en plus ou en remplacement d’une peine d’emprisonnement, pour autant que le tribunal soit convaincu que le contrevenant est en mesure de payer l’amende. Même si les amendes ont toujours été une forme courante de punition pour ces types d’infractions, la capacité du délinquant de payer l’amende pourrait devenir de plus en plus un problème si le tribunal est tenu d’imposer des amendes plus élevées afin d’obtenir une dissuasion efficace, au lieu d’une peine d’emprisonnement.
Il existe également une distinction de principe importante entre les peines avec sursis et la probation, d’une part, et les peines d’emprisonnement avec sursis, d’autre part, qui peuvent ne pas faire de la première un substitut approprié aux peines d’emprisonnement avec sursis. La suspension de la peine et l’émission d’une ordonnance de probation sont un type de peine généralement imposée par les juges dans les cas qui ne nécessitent pas de période d’incarcération pour dissuasion ou dénonciation. Il est également généralement admis que les peines avec sursis et la probation sont généralement inappropriées dans les cas de criminalité sophistiquée ou d’accusations très graves. La Cour suprême du Canada a clairement énoncé dans l’arrêt R. c. Proulx2que l’objet de la probation est la réadaptation, alors que l’objet d’une peine d’emprisonnement avec sursis, bien qu’elle vise aussi en fin de compte la réadaptation, est la punition parce qu’une peine d’emprisonnement avec sursis est une forme d’emprisonnement. Cette distinction peut poser des difficultés aux juges qui hésitent à imposer une peine d’emprisonnement, mais qui doivent néanmoins tenir compte de la gravité de l’infraction, de la dissuasion et de la dénonciation lorsqu’ils condamnent les contrevenants aux dispositions de la Loi sur la concurrence relatives au complot et au truquage d’offres.
Pour ajouter à l’incertitude, les juges pourraient également être réticents à condamner un accusé individuel au procès dans des affaires marginales sachant que, s’il était reconnu coupable, la personne serait passible d’une peine d’emprisonnement. Quoi qu’il en soit, la détermination créative de la peine par les juges pour éviter d’imposer des peines d’emprisonnement pourrait entraîner plus d’incertitude et avoir une incidence importante sur l’analyse du risque entreprise par les délinquants et leurs avocats pour décider s’ils doivent ou non plaider coupable avant le procès.
Bien que les plaidoyers de culpabilité et la coopération avec les autorités chargées de l’application de la loi continueront d’atténuer les peines plus longues, la menace de peines pénitenciers pourrait dissuader les personnes de plaider coupable aussi rapidement que cela s’est produit dans les cas jusqu’à présent. En l’absence de peines non privatives de liberté, les personnes, leur avocat et l’avocat de leur employeur pourraient contester de plus en plus les accusations criminelles. La complexité continue de prouver un accord dans les affaires de complot peut encourager la résistance. Si cela se produit, il reste à voir si le Bureau de la concurrence, et en fin de compte le SPPC, intenterait réellement des poursuites contre un nombre croissant d’accusations de complot et de truquage d’offres, et aurait les ressources pour le faire.
Quoi qu’il en soit, l’élimination des peines d’emprisonnement avec sursis et les peines plus sévères préconisées par le juge en chef Crampton dans l’affaire Canada c. Maxzone Auto Parts (Canada) Corp.3 laissent entendre que les peines pour les condamnations pour complot pourraient augmenter et que d’autres litiges contestés pourraient s’ensuivre.