Les clauses d’indemnisation sont souvent considérées comme un élément essentiel des stratégies d’atténuation des risques dans les relations juridiques. Toutefois, comme on le comprend bien, la valeur d’une clause d’indemnisation, dans l’éventualité où elle s’appliquerait, dépend de la viabilité financière sous-jacente de l’entité qui accorde l’indemnité.
Une considération essentielle dans toute demande d’indemnisation dans une procédure d’insolvabilité est de savoir s’il est déterminé que la créance est fondée sur des dettes ou des capitaux propres. Avant et après la modification apportée en septembre 2009 à la définition de « créance sur capitaux propres » dans la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies (LACC)1, les tribunaux ont réduit la capacité des parties de recouvrer en vertu d’une indemnité lorsqu’elle est, directement ou indirectement, liée à une « participation ». Les demandes d’indemnisation présentées par les acheteurs d’actions accréditives relativement à la perte d’avantages fiscaux, les réclamations des administrateurs et des dirigeants relativement aux réclamations relatives à des litiges entre actionnaires et, plus récemment, les réclamations d’indemnisation des preneurs fermes et des vérificateurs dans le contexte de poursuites intentées par des actionnaires ont été considérées comme des réclamations en matière de capitaux propres.
Compte tenu des difficultés liées à l’exécution d’une indemnité contractuelle dans le contexte d’une procédure d’insolvabilité, la diligence raisonnable et les procédures d’assurance devraient demeurer les principales stratégies de gestion des risques.
En droit canadien de l’insolvabilité, il est établi depuis longtemps qu’une créance sur les capitaux propres d’une société est subordonnée à la créance d’un créancier. Par conséquent, un actionnaire n’a un intérêt économique dans une société insolvable qu’après que les créanciers ont été remboursés en totalité. En vertu de la LACC, l’expression « créance sur capitaux propres » est utilisée pour décrire cette créance subordonnée.
Depuis septembre 2009, la LACC a défini la « créance sur capitaux propres » au sens large pour inclure les réclamations pour dividendes ou paiements similaires, remboursement de capital, paiements de rachat ou de rétractation, une réclamation pour perte monétaire résultant de l’achat ou de la vente d’une participation et une réclamation pour une contribution ou une indemnité faite à l’égard de ce qui précède. 2 Dans le cas d’une société, les « participations » sont généralement définies comme des actions de la société, ou un bon de souscription ou une option ou un autre droit d’acquérir une action de la société, autre qu’une action dérivée d’une dette convertible. 3
Bien que les créances sur des capitaux propres soient clairement subordonnées à celles des créanciers en vertu de la LACC, avant les modifications apportées en 2009 à la LACC, plusieurs décisions judiciaires ont examiné des cas où la réclamation n’était pas directement attribuable à un actionnaire, mais plutôt en vertu d’un droit contractuel associé à une réclamation impliquant les droits légaux ou contractuels des actionnaires.
Avant l’introduction de la définition législative actuelle de « réclamation en capital », la Cour, dans l’affaire Banque Nationale du Canada c Merit Energy Ltd. 4 a statué que lorsque les souscripteurs dans le cadre d’une émission d’actions accritives tentaient d’exercer leurs droits à l’indemnisation en vertu d’une convention de souscription (pour la perte des avantages accrénés et des pénalités fiscales connexes), ces réclamations étaient en substance des réclamations d’équité. En revanche, il a été conclu que les demandes d’indemnisation des dirigeants, des administrateurs et des preneurs fermes étaient des réclamations des créanciers (c.-à-d. et non des « capitaux propres ». Cette décision a été confirmée par la Cour d’appel de l’Alberta, mais le résultat a maintenant été remplacé par les modifications apportées à la LACC et infirmé dans l’arrêt Sino-Forest (ci-dessous).
Dans EarthFirst Canada Inc. (Re),5 les acheteurs dans le cadre d’un placement d’actions accréditives ont intenté une poursuite en vertu de l’engagement de la société de les indemniser pour tout impôt payable en vertu de la Loi de l’impôt sur le revenu (Canada) à la suite du manquement d’EarthFirst à son obligation de renoncer à certaines dépenses admissibles. La Cour a déterminé que toute réclamation d’actionnaire découlant d’une indemnité fournie par un émetteur dans le cadre d’un placement d’actions accritives serait traitée comme une réclamation d’équité dans le cadre du processus de réclamation en vertu de la LACC.
Dans l’affaire Nelson Financial Group Ltd.6, la Cour a confirmé que les réclamations des actionnaires privilégiés pour les dividendes déclarés mais impayés et les demandes de rachat non présentées étaient des intérêts en equity plutôt que des créances en dette, après une analyse approfondie des conditions des actions privilégiées pour confirmer qu’il s’agissait de participations (telles que définies dans la LACC).
Dans l’affaire Return on Innovation Capital Ltd. c. Gandi Innovations Ltd.7, la Cour a analysé, entre autres, les demandes d’indemnisation présentées par des personnes qui étaient administrateurs/dirigeants. La Cour s’est fortement fondée sur l’arrêt Nelson (précité) et a déterminé, malgré le fait que les demandes d’indemnisation étaient fondées sur un litige alléguant des ruptures de contrat, des délits et des droits en equity, que l’objet sous-jacent du litige était le recouvrement d’un investissement, de sorte que la demande d’indemnisation était une réclamation en equity. Cette affaire a été mentionnée dans la récente affaire Sino-Forest (ci-dessous).
Récemment, dans le cadre des procédures en vertu de la LACC impliquant Sino-Forest Corporation, on a demandé à la Cour supérieure de justice de l’Ontario d’examiner si un droit à indemnisation accordé aux vérificateurs et aux preneurs fermes relativement à des poursuites intentées par des actionnaires sur des actions à l’égard d’offres publiques de capitaux propres (et non de dettes) et d’autres documents d’information publique était une réclamation en dette en vertu de droits contractuels ou une réclamation en capitaux propres.
Dans l’arrêt Sino-Forest Corporation (Re)8, la Cour a procédé à une analyse approfondie des dispositions actuelles de la LACC et de la jurisprudence antérieure. En se concentrant sur la nature des réclamations des preneurs fermes et des vérificateurs, la Cour a statué que l’indemnité était liée aux réclamations des actionnaires pour perte monétaire résultant de l’achat ou de la vente d’actions de Sino-Forest. Par conséquent, les souscripteurs et les vérificateurs ne pourraient pas avoir de réclamation plus importante et ne pourraient pas être en meilleure position que les actionnaires de Sino-Forest dans les procédures en vertu de la LACC. La Cour s’est concentrée sur la nature de la demande et non sur l’identité du demandeur. Il convient également de noter que la Cour a établi une distinction entre l’indemnité pour les réclamations des actionnaires et les frais engagés pour défendre dans le cas où la réclamation par les actionnaires était infructueuse. Il est possible que les frais de défense donnent lieu à une réclamation qui n’est pas une réclamation de capitaux propres si les réclamations des actionnaires échouaient.
Le 23 novembre 2012, la Cour d’appel de l’Ontario a rejeté l’appel interjeté par les souscripteurs et les vérificateurs. 9 Appliquant le libellé large de la LACC, la Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour supérieure.
La décision rendue dans l’affaire Sino-Forest est un bon rappel qu’une fois qu’une société demande la protection en vertu de la LACC, de nombreux intervenants peuvent ne pas être en mesure d’exécuter efficacement les indemnités contractuelles reçues de la société si leur réclamation représente une réclamation en équité. Malheureusement, en raison de la définition de « réclamation en équité » dans la LACC, une indemnité peut n’avoir aucun sens au moment où elle est le plus nécessaire. Il convient de noter que la limitation du recouvrement en vertu d’une indemnité se limite à une action contre la société à l’égard de ses capitaux propres et ne limiterait pas nécessairement un recouvrement contre une autre partie.
D’un point de vue juridique, cette nouvelle décision confirme l’application généralisée du régime révisé de la LACC en ce qui concerne les réclamations d’indemnisation liées aux capitaux propres. Jusqu’à ce que les tribunaux l’examinent plus à fond, les preneurs fermes, les vérificateurs, les autres tiers, les administrateurs et les dirigeants devraient examiner attentivement le risque de responsabilité et le niveau de diligence raisonnable nécessaire pour fournir une protection réelle et durable contre les réclamations des actionnaires.
Nous rappelons aux lecteurs qu’en vertu des lois sur les valeurs mobilières en vigueur dans les diverses provinces canadiennes, chaque preneur ferme, chaque administrateur et toute personne qui signe le certificat dans un prospectus, une note de service ou une circulaire d’offre publique d’achat (habituellement le chef de la direction et le chef de la direction financière) et certaines autres personnes ont une responsabilité civile à l’égard de la pièce d’information applicable. 10 Ces documents incorporent souvent d’autres documents par renvoi; la responsabilité s’étend à la divulgation dans ces autres documents. Il existe des exceptions légales à la responsabilité qui s’appliquent dans les cas où une personne s’est fiée à un expert ou a mené une enquête suffisante pour fournir des motifs raisonnables de croire qu’il n’y a pas eu de fausse déclaration ou n’a pas cru qu’il y avait eu une fausse déclaration. 11 Les experts dont le rapport, la déclaration ou l’opinion contient une fausse déclaration sont également protégés, à moins que la personne n’ait pas mené une enquête suffisante pour fournir des motifs raisonnables de croire qu’il n’y a pas eu de fausse déclaration ou qu’elle croit qu’il y a eu fausse déclaration. 12 ans
Les lois provinciales sur les valeurs mobilières au Canada imposent également une responsabilité en ce qui concerne la divulgation dans les documents publics, les déclarations orales publiques et l’omission de faire une divulgation en temps opportun — le soi-disant régime de responsabilité civile du marché secondaire. Par exemple, les fausses déclarations dans les documents publics de base donnent lieu à un droit d’action en dommages-intérêts contre, entre autres, chaque administrateur et chaque agent qui a autorisé, permis ou acquiescé à la divulgation du document. 13 Une personne n’est pas responsable des fausses déclarations dans les documents publics de base en vertu du régime de responsabilité du marché secondaire si elle prouve qu’avant la communication du document, elle a mené ou fait mener une enquête raisonnable et qu’elle n’avait aucun motif raisonnable de croire que le document contenait une fausse déclaration.
La législation en valeurs mobilières14 énonce les facteurs dont un tribunal tiendra compte pour déterminer si une enquête était raisonnable, y compris (entre autres éléments) la nature de l’émetteur, les connaissances, l’expérience et la fonction de la personne, la charge qu’il occupait si la personne était un dirigeant, l’existence et la nature de tout système conçu pour s’assurer que l’émetteur respecte ses obligations en matière de divulgation et le caractère raisonnable de la confiance de la personne dans la conformité à la divulgation et les dirigeants de l’émetteur responsable, les employés et les autres personnes dont les fonctions, dans le cours normal des choses, leur donneraient connaissance des faits pertinents.
Le processus de diligence raisonnable dans le contexte des transactions sur les marchés publics est devenu quelque peu mécanique. L’utilisation de listes de vérification de la diligence raisonnable, qui ont évolué au fil des ans en réponse à des problèmes identifiés dans le cadre de transactions antérieures, est à la fois appropriée et nécessaire, car elles aident à assurer un niveau minimum de diligence raisonnable. Cependant, il est important qu’un plan de diligence raisonnable bien pensé soit élaboré aux premières étapes d’une transaction et que le personnel expérimenté prenne le temps de cerner les secteurs de risque important potentiel et de personnaliser le plan de diligence raisonnable à la lumière de cette analyse et de la transaction en question. La défense de diligence raisonnable offerte par les lois sur les valeurs mobilières en vigueur au Canada repose sur la conduite d’enquêtes de diligence raisonnable significatives. Le simple fait de recycler le plan de diligence raisonnable d’une transaction antérieure (et de déléguer la conduite de la diligence raisonnable uniquement au personnel subalterne) n’est pas optimal du point de vue de l’atténuation des risques. Le processus de diligence raisonnable doit être exhaustif et les réponses et les informations connexes doivent être évaluées en tenant compte à la fois de la situation spécifique de l’entité et du marché dans son ensemble. Il a été jugé que la défense de diligence raisonnable n’était pas disponible dans des circonstances où le processus de diligence raisonnable était formulaic et inadéquat pour identifier les risques raisonnablement prévisibles.
Nous croyons que les personnes et les organisations impliquées dans des transactions sur les marchés publics devraient considérer le processus de diligence raisonnable comme une stratégie essentielle d’atténuation des risques. Les actionnaires peuvent avoir des droits contractuels et en equity en cas de fausse déclaration (ou de défaut de divulgation) en plus des droits prévus par la loi accordés en vertu des lois provinciales sur les valeurs mobilières.
Nous recommandons que les preneurs fermes, les agents, d’autres tiers, administrateurs et dirigeants consultent des conseillers juridiques et examinent attentivement leur exposition au risque et leurs stratégies d’atténuation au-delà de la protection d’une indemnité contractuelle. Cela devrait comprendre un examen et une compréhension des procédures de contrôle interne de l’émetteur liées à la divulgation de renseignements et, dans le cas des administrateurs et des dirigeants, un examen des polices d’assurance pour déterminer si la couverture est suffisante.