Les 22 et 23 juin 2011, la Cour fédérale a entendu une requête présentée par un groupe de trois Premières Nations visées par le Traité no 6 et le Traité no 81 et par un groupe de deux organisations environnementales2, qui demandait réparation pour des infractions présumées par le ministre fédéral de l’Environnement (M) en vertu de la Loi sur les espèces en péril (LEP). 3 Bien que la décision de la Cour ait été mise en délibéré et qu’on ne sache pas quand elle sera rendue publique4, compte tenu des répercussions qu’elle pourrait avoir sur l’industrie dans le nord-est de l’Alberta, les exploitants de sables bitumineux surveilleront probablement cette décision avec impatience.
En 2003, le caribou des bois a été inscrit comme espèce menacée en vertu de la LEP et, par conséquent, le M devait avoir préparé un programme de rétablissement pour l’espèce d’ici 2007. Toutefois, aucun programme de rétablissement n’a été préparé et, tant qu’il n’en aura pas été créé, aucun des mécanismes de protection de l’habitat essentiel prévus par la LEP ne pourra être mis en œuvre.
En juillet et en août 2010, un consortium de quatre groupes des Premières Nations visées par le Traité no 6 et le Traité no 85 et de trois groupesenvironnementaux 6 a présenté des lettres au M détaillant ce qu’ils décrivaient comme des menaces imminentes pour le caribou et demandant au M de recommander au Cabinet fédéral d’émettre un décret d’urgence pour protéger l’habitat de sept hardes de caribous situées dans le nord-est de l’Alberta. 7 Le M n’a pas répondu à l’une ou l’autre lettre et, par la suite, les demandes de contrôle judiciaire ont été déposées dans lesquelles les demandeurs demandaient :
Le jugement déclaratoire a été demandé dans le but de tenir les futurs décideurs responsables des délais prévus par la loi (particulièrement en ce qui concerne les questions urgentes concernant la LEP), tandis que l’ordonnance était l’objectif principal des demandeurs dans leurs efforts pour protéger les troupeaux.
En mars 2011, le M a émis l’opinion qu’il n’y avait pas de menace imminente pour le rétablissement du caribou et qu’il n’était pas nécessaire de faire une recommandation au Cabinet fédéral concernant l’émission d’un décret d’urgence.
En ce qui concerne l’omission de publier un programme de rétablissement avant la date limite, le procureur général intimé a fait valoir que le retard découlait de l’insuffisance de l’information disponible pour créer un programme dans une zone aussi complexe et a noté que le programme de rétablissement final devrait être publié d’ici la fin de l’été.
Les demandeurs soutiennent qu’il y a actuellement suffisamment de renseignements disponibles pour finaliser un programme de rétablissement et que, de toute façon, le M n’a pas de pouvoir discrétionnaire. Les demandeurs se sont appuyés sur les termes de la disposition pertinente de la LEP, « le ministre compétent doit inclure un programme de rétablissement proposé dans le registre public... en 2007, ainsi qu’une décision antérieure8 de la Cour fédérale dans laquelle la Cour, considérant une autre disposition de la LEP utilisant le mot doit, a conclu qu’il n’y a aucune possibilité de considération politique ou socioéconomique dans le contexte d’une disposition obligatoire.
En réponse à une préoccupation concernant l’incidence potentielle de la décision de la Cour sur l’activité des sables bitumineux, les demandeurs ont souligné que la demande visait uniquement à examiner si le M avait manqué à ses obligations en vertu de la LEP et non si une injonction devrait être accordée contre les activités dans le secteur des sables bitumineux. De plus, les demandeurs ont fait valoir que toute considération politique et économique (y compris en ce qui concerne les activités liées aux sables bitumineux) peut être appropriée au niveau du Cabinet fédéral pour déterminer si un décret d’urgence devrait être émis, mais pas par le M à l’étape de la recommandation.
La LEP prévoit que le M doit recommander un décret d’urgence s’il est d’avis qu’il existe des menaces imminentes à la survie ou au rétablissement de l’espèce. Selon les demandeurs, le M est tenu de recommander l’émission d’un décret d’urgence dans la mesure où il est d’avis que le rétablissement du caribou est menacé et que, compte tenu de toutes les preuves scientifiques disponibles, la seule opinion logique est que les caribous sont en danger imminent de rétablissement. Parmi les questions abordées au cours de l’audience figuraient les définitions d’imminent et de rétablissement.
Il y a eu un débat important entre les parties quant à l’interprétation appropriée de l’état d’imminent. Selon les demandeurs, tant qu’il pourrait être démontré que l’une des troupeaux est en danger imminent de disparition, cela suffit pour exiger la recommandation d’un décret d’urgence. Le procureur général a toutefois fait valoir que la LEP exigeait un examen de la population nationale des espèces inscrites à la LEP, plutôt que d’une région ou d’un troupeau en particulier et que, compte tenu du nombre relativement élevé de caribous dans l’est du Canada, il y avait une base suffisante pour que le M ait formé une opinion qu’il n’y avait pas de menace imminente pour l’espèce dans son ensemble.
En réponse à une préoccupation concernant la possibilité que cette décision ait des répercussions de grande portée, les demandeurs ont tenté de limiter la portée de la décision de la Cour, en suggérant que les preuves accablantes de la menace pour le rétablissement du caribou rendaient les circonstances uniques. Les demandeurs des Premières nations ont également soutenu que l’exigence selon laquelle la LEP doit être examinée sous l’angle constitutionnel accordé en ce qui concerne les droits ancestraux rend l’affaire encore plus unique.
Les parties ont en outre débattu de l’interprétation appropriée du mot recouvrement. Selon le procureur général, il n’a pas été possible de déterminer s’il y avait une menace imminente pour le rétablissement d’une espèce avant la publication du programme de rétablissement. Toutefois, les demandeurs ont soutenu qu’il s’agissait d’une interprétation illogique puisque l’objet de la disposition relative au décret d’urgence est de fournir un soulagement temporaire pour l’habitat essentiel, en attendant la publication d’un programme de rétablissement.
Si la Cour ne rejette pas la demande, il y a au moins deux options qu’elle peut prendre pour fixer la réparation. Il s’agit notamment des éléments suivants :
Les demandeurs se sont dits préoccupés par la dernière de ces options et par la possibilité d’un retard supplémentaire, ce qui aurait probablement pour résultat qu’aucune opinion différente de celle du M ne serait présentée.
Bien que la LEP ne s’applique généralement qu’au territoire domanial, la disposition relative au décret d’urgence permet au Cabinet fédéral d’émettre un décret qui s’applique au territoire non domanial et qui interdit les activités (comme l’exploitation des ressources) qui peuvent nuire à l’espèce et à tout habitat nécessaire à la survie ou au rétablissement de cette espèce. Par conséquent, si la décision de la Cour entraîne l’émission d’une ordonnance d’urgence par le Cabinet fédéral à l’égard des troupeaux, il pourrait y avoir des conséquences pour les promoteurs de ressources (y compris les exploitants de sables bitumineux) qui ont des activités sur les terres de la Couronne provinciale dans le nord-est de l’Alberta.
Si un décret d’urgence est émis par le Cabinet fédéral, il est probable qu’il demeurera en vigueur au moins jusqu’à ce que le programme de rétablissement du caribou soit finalisé. Notamment, une fois que le décret d’urgence n’est plus en place, les dispositions d’interdiction de la LEP ne s’appliquent qu’aux terres fédérales et non aux terres de la Couronne provinciale. Bien qu’il y ait une disposition de filet de sécurité dans la LEP qui permettrait l’application de la LEP aux terres non fédérales, un certain nombre de mesures supplémentaires doivent d’abord être prises en plus de la mise en œuvre d’un programme de rétablissement qui désigne l’habitat essentiel dans le nord-est de l’Alberta, notamment :