Les prix du pétrole ont fortement chuté depuis la publication de nos
Les récentes publications de données révèlent une divergence croissante des taux de croissance entre les grandes économies, reflétant une expansion soutenue aux États-Unis, une baisse de la production au Japon, une croissance affaiblie (mais toujours forte) en Chine et une quasi-stagnation continue dans la zone euro. Cette divergence de croissance est à l’origine de la récente appréciation marquée du dollar américain par rapport à d’autres devises, y compris l’euro, le yen, le dollar australien et le dollar canadien.
Bien que l’amélioration des perspectives pour les États-Unis ait renforcé les attentes d’une hausse naissante des taux directeurs américains d’ici le milieu de l’année, les risques de stagnation et de déflation ont incité un certain nombre de banques centrales à prendre des mesures pour stimuler leurs économies et augmenter les attentes d’inflation. La BCE a annoncé un programme substantiel d’assouplissement quantitatif tandis que les autorités japonaises ont renforcé leur propre programme d’assouplissement quantitatif et retardé une deuxième augmentation du taux de la taxe à la consommation. Mais malgré la faiblesse de l’économie, les gouvernements de nombreux pays ont resserré de manière perverse la politique budgétaire.
Le principal choc pour l’économie mondiale est que le prix du pétrole WTI aux États-Unis a chuté de plus de 40 pour cent depuis l’automne dernier, passant de 85 $ le baril en octobre dernier à environ 50 $ le baril au début de février. Nos perspectives économiques de l’automne 2014 (basées sur le prix à terme du pétrole au début de novembre) ont supposé un prix moyen de 75 $ le baril pour les deux prochaines années. Une partie de la baisse des prix depuis l’automne dernier découlait d’une faiblesse inattendue de la demande (également reflétée par la baisse des prix des métaux), mais la plupart provenaient de l’augmentation de l’offre, notamment la décision de l’OPEP de ne pas réduire la production face à l’augmentation constante de la production de « pétrole de force » aux États-Unis. Étant donné que la demande et l’offre de pétrole n’ont pratiquement pas réagi aux prix à court terme, les perceptions récentes d’un changement positif de l’offre et d’une évolution négative de la demande ont généré l’ajustement relativement important à la baisse des prix du pétrole observé ces derniers mois. Dans le jargon de l’économiste, l’offre et la demande sont inélastiques en matière de prix à court terme.
Malgré la baisse spectaculaire des prix du pétrole, la dynamique de la croissance mondiale au cours de la période 2015-2016 demeure essentiellement la même dans la présente mise à jour que dans nos
Il y a beaucoup d’incertitude entourant toute projection des prix du pétrole. Notre hypothèse de travail est que le prix du pétrole WTI augmentera graduellement de 45 à 55 $US le baril au premier semestre de 2015 à 60-70 $ US en 2016 et à 75-100 $ US en 2017-2020, comparativement à un prix moyen de 93 $ US en 2014. En effet, la trajectoire présumée des prix du pétrole cette fois-ci est plus en forme de U et moins en forme de V qu’en 2008-2009. Cette augmentation mesurée découle fondamentalement des réactions graduelles attendues de l’offre et, dans une moindre mesure, de la demande au récent choc à court terme. Du côté de l’offre, certaines productions actuelles risquent d’être fermées, car les coûts du seuil de rentabilité pourraient être supérieurs à un prix du pétrole attendu à très faible terme. Plus important encore, les entreprises ralentiront ou reporteront les travaux sur les projets en cours ou prévus afin d’économiser des liquidités, ce qui retardera l’achèvement et réduira l’approvisionnement futur. Du côté de la demande, les attentes d’une hausse des prix à terme à la lumière des réductions importantes des dépenses d’investissement par l’industrie pétrolière pourraient induire une augmentation de la demande à court terme pour les stocks de pétrole. La baisse des prix du pétrole inciterait les consommateurs de produits pétroliers à acquérir des voitures, des camions et d’autres pièces d’équipement moins éconergétiques; cela finirait par stimuler la demande de pétrole. Cela étant dit, il existe beaucoup d’incertitude quant à la rapidité et à l’ampleur des réponses de l’offre et de la demande au choc actuel des prix du pétrole. De plus, il est peu probable que des perturbations de l’approvisionnement se produisent à l’avenir pour des raisons techniques ou géopolitiques.
Il y a donc des risques à la fois à la hausse et à la baisse à la projection ci-dessus des tendances des prix du pétrole. Une nouvelle caractéristique du marché pétrolier par rapport aux épisodes antérieurs d’ajustement substantiel des prix est que le nouvel approvisionnement important en pétrole des bassins de schiste aux États-Unis semble être plus sensible aux mouvements de prix que la plupart des autres sources d’approvisionnement existantes. La nouvelle production de schiste peut être désactivée et activée relativement rapidement et est devenue une source de production de swing aussi importante que l’Arabie saoudite. Ainsi, le prix du pétrole sur la période 2017-2020 pourrait se situer près de l’extrémité inférieure de la fourchette de 75 à 100 $ le baril sur laquelle nous avions fondé nos perspectives à moyen terme l’automne dernier.
La croissance mondiale devrait s’approcher en moyenne de près de 3,5 % en 2015 et 2016. Aux États-Unis, l’expansion a probablement atteint la vitesse supérieure en 2015, encore plus que prévu à l’automne, et ralentit à un taux supérieur au potentiel d’un peu moins de 3 pour cent en 2016. L’amélioration du marché du travail, l’augmentation de la confiance des entreprises et des consommateurs et la baisse des prix du pétrole contribuent à une forte dynamique des dépenses intérieures. Toutefois, l’appréciation marquée du dollar américain aura tendance à faire baisser les exportations nettes. Une hausse modeste prévue des taux d’intérêt aux États-Unis à partir du milieu de 2015 contribuera au ralentissement de la croissance de la production prévu pour 2016. Dans la zone euro et au Japon, l’assouplissement (quantitatif) de la politique monétaire, la dépréciation de la monnaie et la baisse des prix du pétrole devraient contribuer à stimuler la croissance, mais à atteindre des niveaux encore assez modestes d’ici 2016. La croissance en Chine devrait continuer de ralentir en 2015 et 2016 en réponse à la capacité excédentaire et au ralentissement de la croissance du crédit. Certains pays émergents importateurs de pétrole (comme l’Inde) devraient voir leurs perspectives de croissance s’améliorer. Les exportateurs de produits de base (comme la Russie et le Brésil) sont confrontés à des vents contraires plus importants.
2013 | 2014 | 2015 | 2016 | |
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Canada | 2 (2.0) | 2.4 (2.3) | 2.1 (2.4) | 2.4 (2.3) |
États-Unis | 2.2 (2.2) | 2.4 (2.3) | 3.6 (3.1) | 2.8 (2.7) |
Zone euro | -0.4 (-0.4) | 0.8 (0.8) | 0.9 (1.0) | 1.2 (1.2) |
Japon | 1.6 (1.5) | 0.1 (0.8) | 0.6 (0.7) | 1.6 (0.8) |
Chine | 7.7 (7.7) | 7.4 (7.4) | 7.1 (7.1) | 6.7 (6.7) |
Monde | 3 (3.1) | 3.1 (3.2) | 3.4 (3.5) | 3.5 (3.4) |
*Les chiffres entre parenthèses sont tirés des
Au Canada, la forte dynamique de l’économie enregistrée au milieu de 2014 devrait disparaître en 2015, alors que le prix du pétrole chutera à 45-55 $ le baril prévu au cours de la première moitié de l’année. La croissance du PIB réel chute à 2,1 % en 2015, contre 2,4 % en 2014, avant de rebondir à 2,4 % en 2016. L’affaiblissement de la croissance en 2015 découle du choc des prix du pétrole qui entraîne une réduction du niveau de l’investissement fixe total des entreprises, concentré dans le secteur pétrolier et gazier. La réduction des entrées d’investissements étrangers dans le secteur pétrolier et gazier et la baisse du prix des exportations de produits de base pèsent sur la valeur du dollar canadien. Notre projection de la valeur du dollar canadien pour 2015 diminue, passant de la fourchette de 83 à 90 cents dans nos perspectives d’automne à la fourchette de 76 à 84 cents maintenant. Notre projection de la valeur du dollar canadien de 2017 à 2020 demeure centrée sur une valeur de 83 à 85 cents américains, comme c’était le cas dans nos Perspectives économiques de l’automne 2014.
La baisse des termes de l’échange et la perte connexe du revenu réel des Canadiens qui résulte de la baisse des prix du pétrole contrecarrent au moins en partie la réaction positive attendue des dépenses intérieures à la baisse des prix des produits pétroliers, ces dernières agissant en fait comme une réduction de la taxe de vente. Parallèlement, nous nous attendons à ce que la réaction des exportations canadiennes de produits de la fabrication à la faiblesse du dollar canadien et à l’activité plus forte aux États-Unis soit quelque peu limitée par un manque de capacité de production. Le manque de capacité est le résultat d’une réduction plus précoce des effectifs du secteur manufacturier en réponse à la perte de compétitivité des coûts à l’échelle mondiale. Dans le sud de l’Ontario, cela a été accentué par un déplacement du lieu de l’activité manufacturière aux États-Unis des États des Grands Lacs vers les États du Sud et le Mexique.
La croissance canadienne devrait se raffermissant pour s’installer à 2,4 % en 2016, alors que les investissements des entreprises à l’extérieur de l’industrie pétrolière et gazière s’accélèrent et que les exportations de biens manufacturés et de services s’améliorent même si l’expansion aux États-Unis ralentit quelque peu. La demande des ménages continue également de s’améliorer, bien que l’amélioration soit atténuée dans une certaine mesure par la hausse des prix du carburant et des biens importés et par un taux d’épargne des ménages probablement plus élevé, en particulier dans les régions productrices de pétrole. Les taux d’intérêt devraient également commencer à augmenter légèrement vers la fin de 2016.
Bien que l’incidence nette de la baisse des prix du pétrole soit négative sur l’ensemble de l’économie canadienne au cours de la période de 2015 à 2016, l’incidence diffère considérablement d’une région à l’autre selon l’importance relative de leur secteur pétrolier par rapport aux secteurs qui sont sensibles aux fluctuations du taux de change et à la croissance aux États-Unis, notamment le secteur de la fabrication. Cela s’explique par le fait que la baisse des prix du pétrole stimule la croissance aux États-Unis et induit un affaiblissement du dollar canadien, ce qui a un effet positif sur la production manufacturière canadienne. La baisse prévue des prix du pétrole réduira fortement la croissance dans les provinces productrices de pétrole, en particulier en Alberta et à Terre-Neuve-et-Labrador, et aura des retombées négatives sur le reste du pays en raison des liens commerciaux interprovinciaux et de la baisse de la demande de main-d’œuvre. Dans l’ensemble, toutefois, la baisse des coûts de l’énergie et la faiblesse du dollar canadien auront tendance à soutenir la croissance de la production en Ontario et au Québec.
Le choc sur les prix du pétrole aura des répercussions importantes sur la situation budgétaire des gouvernements au Canada en 2015, 2016 et au-delà. La chute du prix du pétrole en 2015, qui s’est établie à environ 50 $US par rapport à sa moyenne de 93 $US en 2014, aura probablement érodé l’équilibre budgétaire fédéral en 2015 d’environ 5 milliards de dollars. Cela est attribuable au ralentissement de la croissance des revenus et des dépenses au Canada et à leur effet sur les revenus du gouvernement et la stabilisation automatique des dépenses (p. ex. l’assurance-emploi). L’Alberta fait face à une forte baisse des revenus du gouvernement qui entraînerait un déficit considérable de son budget de fonctionnement en 2015 et 2016, à moins d’un ajustement budgétaire majeur. La baisse des revenus du gouvernement découle à la fois d’une baisse des revenus tirés des ressources non renouvelables, principalement des redevances qui représentaient 15 % des revenus totaux en 2013-14, et d’une croissance beaucoup plus lente des revenus et des dépenses dans la province. Des calculs très approximatifs suggèrent qu’avec le WTI à 50 $ US et le dollar canadien à 0,80 $ US en 2015, les revenus totaux du gouvernement pour cette année-là pourraient chuter de 7 à 9 milliards de dollars par rapport à un cas où le prix du WTI se maintiendrait à sa moyenne de 2014 de 93 $ US le baril et le dollar canadien à sa moyenne de 2014 de 0,905 $ US. L’Ontario, pour sa part, pourrait connaître une croissance un peu plus forte des revenus et des dépenses en raison d’une croissance plus rapide aux États-Unis et de la faiblesse du dollar canadien. Dans l’ensemble, cela aurait tendance à accroître la croissance des recettes publiques et à réduire le déficit budgétaire.
Dans un premier temps, compte tenu du ralentissement potentiel de l’économie canadienne, le gouvernement fédéral et les provinces dont le ratio dette/PIB est faible ou modéré devraient laisser les stabilisateurs automatiques fonctionner. C’est-à-dire qu’ils ne devraient pas essayer de compenser les répercussions immédiates du ralentissement sur leurs revenus et leurs dépenses.
Deuxièmement, le gouvernement fédéral et les provinces devraient envisager d’investir plus rapidement dans l’infrastructure nécessaire pour tirer parti de la réduction des pressions salariales et financières découlant du déclin de l’investissement privé dans les industries primaires. Cela pourrait prendre la forme d’un soutien fédéral pour les investissements provinciaux ou municipaux dans le sens du programme fédéral-provincial spécial d’infrastructure mis en place en 2009. Le gouvernement fédéral pourrait également accroître les investissements nécessaires dans l’infrastructure dans sa propre juridiction. Toutefois, à moyen terme, les gouvernements fédéral et provinciaux doivent accorder une plus grande attention à la tarification appropriée des services fournis par les infrastructures financées par l’État. Cela pourrait se faire en utilisant davantage les frais et les frais d’utilisation.
L’augmentation des dépenses nettes soutiendrait la demande globale à un moment où les capacités inutilisées de l’économie augmentent ou diminuent plus lentement en raison d’une croissance plus faible de la demande. Plus important encore que les effets de relance à court terme, l’investissement dans l’infrastructure, s’il est bien ciblé, améliorerait l’efficacité économique et augmenterait la production potentielle et le revenu réel par habitant à long terme. Une augmentation des dépenses d’infrastructure à l’heure actuelle serait également conforme à l’appel du FMI en faveur d’un plus grand investissement de ce type dans ses Perspectives de l’économie mondiale de l’automne 2014 et à l’Initiative mondiale du G20 sur les infrastructures présentée à Brisbane en novembre 2014. De plus, le moment est venu d’investir étant donné que les taux d’intérêt à long terme sont bas.
Le gouvernement fédéral et les provinces devraient également envisager d’augmenter leurs taxes d’accise et leurs taxes sur le carbone existantes pour compenser une partie de la baisse des prix du carburant. Cela enverrait un signal de prix compensatoire aux consommateurs pour des raisons environnementales. Plus important encore, il aiderait à financer les investissements dans l’infrastructure et à atteindre l’équilibre fiscal.
Dans le cas de l’Alberta, le gouvernement ne devrait pas laisser passer l’occasion offerte par la baisse actuelle des revenus de corriger un grave problème budgétaire structurel à long terme associé aux dépenses de programme élevées par habitant par rapport aux autres provinces, à l’insuffisance des recettes fiscales autres que les ressources pour couvrir les dépenses de fonctionnement et aux revenus directs volatils tirés des ressources. Cela peut nécessiter une approche à trois volets : (1) réduire les dépenses de fonctionnement courantes, y compris la restriction des salaires et des traitements, tout en stimulant l’investissement dans les infrastructures essentielles alors que l’investissement privé est faible; (2) élargir les assiettes de l’impôt sur le revenu et de l’impôt à la consommation, et augmenter les frais d’utilisation; et (3) l’établissement d’un cadre stratégique pour l’utilisation future des recettes tirées directement des ressources. Un tel cadre pourrait prévoir que les revenus futurs provenant des redevances et des ventes de terres seront déposés dans un fonds spécial non budgétaire qui pourrait être composé d’une composante de richesse souveraine (c.-à-d. un véritable fonds patrimonial à la Norvège) et d’une composante de développement (pour les dépenses en immobilisations afin de soutenir le développement futur de l’industrie albertaine).
La chute des prix du pétrole a entraîné une dépréciation substantielle du dollar canadien qui devrait faciliter l’ajustement de l’économie à la perte importante des termes de l’échange découlant du repli des prix du pétrole. Cet ajustement implique une augmentation des exportations canadiennes réelles nettes en réponse à l’amélioration de la compétitivité des coûts des producteurs canadiens de biens et de services résultant de la faiblesse du dollar canadien. Les exportations manufacturières du centre du Canada et les exportations nettes de services de voyage et de tourisme devraient être les principaux bénéficiaires de l’augmentation de la compétitivité du Canada. De meilleures perspectives de ventes nettes à l’étranger encourageraient à leur tour plus d’investissements des entreprises afin d’accroître la capacité et d’accroître la productivité, qui est de plus en plus en deçà du niveau des États-Unis au cours des dernières décennies. Toutefois, pour que ces rajustements se concrétisent pleinement, il est impératif que les salaires et les coûts canadiens en dollars canadiens soient maîtrisés (c.-à-d. qu’ils n’augmentent pas plus rapidement que la productivité canadienne) afin que le gain initial de compétitivité ne soit pas considérablement érodé par la suite. Cela est pertinent non seulement pour le centre du Canada, mais aussi pour le reste du pays, y compris l’Alberta, où les coûts ont augmenté au cours des dernières années.