La Cour du Banc de la Reine de l’Alberta a rendu plusieurs décisions contradictoires sur la question de savoir si un arrêt des procédures dans une affaire d’insolvabilité devrait être temporairement levé pour permettre l’exécution d’un droit contractuel de remplacer immédiatement un exploitant d’actifs pétroliers et gaziers en cas d’insolvabilité de l’exploitant. Dans la récente décision Alberta Energy Regulator v Lexin Resources Ltd, 2019 ABQB 23 [Lexin], la Cour du Banc de la Reine de l’Alberta (ABQB) a fourni des éclaircissements indispensables concernant le critère à utiliser pour déterminer si un arrêt des procédures imposé dans une procédure d’insolvabilité sanctionnée par un tribunal devrait être levé pour permettre à un copropriétaire d’assumer l’exploitation d’actifs pétroliers et gaziers. Après avoir analysé trois décisions contradictoires antérieures de l’ABQB, la juge Romaine a souligné l’importance du critère de levée d’un arrêt des procédures dans une mise sous séquestre, qu’elle a expliqué en détail dans Alignvest Private Debt Ltd v Surefire Industries Ltd, 2015 ABQB 148 [Alignvest]. Ce critère met l’accent sur l’ensemble des circonstances et évalue le préjudice causé aux parties impliquées dans la mise sous séquestre. Dans l’affaire Lexin, le juge Romaine a rejeté la demande du copropriétaire visant à lever la suspension et à remplacer Lexin à titre d’exploitant de certains actifs pétroliers et gaziers, parce que le préjudice causé au séquestre l’emportait sur tout préjudice causé au copropriétaire.
L’examen par le juge Romaine de la jurisprudence antérieure sur cette question comprenait Norcen Energy Resources Ltd c Oakwood Petroleums Ltd, (1988), 92 AR 81 [Norcen]. Oakwood Petroleums Ltd. (Oakwood) a obtenu un arrêt des procédures en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, L.R.C. 1985, ch C-36 (LACC). Norcen Energy Resources Limited (Norcen) a demandé la levée de la suspension pour donner effet aux dispositions des accords d’exploitation conjointe de 1974 et 1981 de CAPL, qui prévoyaient le remplacement immédiat d’Oakwood en tant qu’exploitant, en cas d’insolvabilité. Le juge Forsyth a statué qu’en vertu de l’article 11 de la LACC, le tribunal avait compétence pour suspendre l’exercice par Norcen de ses droits et qu’une telle interprétation de l’article 11 était constitutionnellement valide, compte tenu de la nécessité de promouvoir le maintien des sociétés insolvables par l’entremise de la LACC. La Cour a statué que Norcen devrait être suspendue, temporairement, d’intenter une procédure pour remplacer Oakwood en tant qu’exploitant, mais a noté qu’elle conservait toujours le pouvoir discrétionnaire de lever une suspension dans des circonstances où il serait injuste d’empêcher une partie de faire respecter ses droits contractuels.
Dans l’affaire Banque de Montréal c. Bumper Development Corporation Ltd, 2016 ABQB 363, Bumper Development Corporation Ltd. [Bumper] et Eagle Energy Inc. [Eagle] étaient parties à une entente d’exploitation conjointe qui incorporait la procédure d’exploitation de l’Association canadienne du pétrole de 2007 (CAPL 2007), donnant à Eagle le droit de remplacer Bumper en tant qu’exploitant de certains actifs pétroliers et gaziers en cas d’insolvabilité de Bumper. Lors de la mise sous séquestre de Bumper, Eagle a informé le séquestre qu’elle avait l’intention d’exercer ces droits contractuels et d’assumer l’exploitation de certains des actifs pétroliers et gaziers de Bumper. Le séquestre a accepté de ne pas transmettre l’exploitation dans le cadre de la vente si Eagle n’était pas l’enchérisseur retenu. Lors de la vente des actifs à Forent Energy Ltd. (Forent), l’exploitation a été accordée à Eagle. Le tribunal a déclaré que, contrairement à la situation dans l’affaire Norcen, l’objet de cette procédure d’insolvabilité était de permettre la « réalisation et la distribution ordonnées » des actifs, plutôt que d’assurer la survie de Bumper. Par conséquent, il n’était pas nécessaire de conserver la propriété pour préserver l’entreprise en tant qu’entreprise en exploitation et les droits contractuels d’Eagle pouvaient être appliqués. En rendant sa décision, l’ABQB a estimé que le droit d’Eagle de devenir exploitant découlait des négociations avec le séquestre avant la vente. En fin de compte, l’entreprise a été vendue sans les droits d’exploitation et, par conséquent, « Forent ne s’attendait pas raisonnablement à ce qu’elle achète de l’exploitation » (au paragraphe 22).
Dans l’affaire Firenze Energy Ltd c. Scollard Energy Ltd, 2018 ABQB 126 [Firenze], Scollard Energy Ltd. (Scollard) et Firenze Energy Ltd (Firenze) étaient copropriétaires de divers actifs pétroliers et gaziers en vertu d’une entente d’exploitation conjointe, incorporant également CAPL 2007, qui permettait à Firenze d’assumer l’exploitation des actifs au cas où Scollard devenait insolvable. Scollard est mis sous séquestre. L’ABQB a souligné qu’un droit contractuel de transfert (comme celui prévu dans CAPL 2007) n’est pas en soi une raison suffisante pour lever la suspension, et que les clauses ipso facto sont nulles contre un syndic de faillite pour des motifs de principe. Pour cette raison, un tribunal doit regarder au-delà des droits que les parties avaient l’intention de transmettre pour déterminer s’il y a lieu de lever la suspension. Pour ce faire, l’ABQB a appliqué le critère de l’arrêt Alignvest pour déterminer si la partie qui demande la levée de la suspension est susceptible de souffrir d’un préjudice matériel de la suspension ou s’il serait équitable de lever la suspension pour d’autres motifs.
Dans le cadre de l’analyse, le juge Dario a examiné les dispositions de LAPC 2007 qui établissent que si un exploitant démissionne ou est renvoyé, l’autre partie peut devenir l’exploitant sur le service d’avis s’il détient plus de 40 pour cent de l’intérêt pratique. La Cour a noté que Scollard et Firenze avaient chacun une participation active de 50 pour cent pour la plupart des actifs et qu’à ce titre, Firenze avait un « droit inconditionnel d’assumer l’exploitation » en vertu de l’ACPL 2007 (au para 21). De plus, le séquestre avait fait la commercialisation de l’intérêt direct de Scollard afin d’y inclure le droit d’assumer la fonction d’exploitant. En incluant ce droit avec les actifs, le séquestre transmettait plus que ce que Scollard aurait eu le droit de céder avant la mise sous séquestre. L’ABQB a estimé que ces facteurs étaient suffisants pour lever la suspension afin de permettre à Firenze de signifier l’avis nécessaire pour retirer Scollard de son poste d’exploitant en vertu de CAPL 2007 pour les actifs dans lesquels elle avait une participation de plus de 40 pour cent, concluant que faire autrement causerait un préjudice important à Firenze.
Lexin Resources Ltd. était copropriétaire et exploitant de plusieurs installations pétrolières et gazières (les installations) en collaboration avec Exxon Mobil Energy Canada (Exxon). Midstream Canada Ltd. (Midstream) a accepté d’acheter la participation d’Exxon dans les puits et les installations appartenant conjointement à Lexin, et qui avaient été fermés sur ordre de l’Alberta Energy Regulator. Midstream avait demandé le transfert des licences pour les installations, mais n’avait pas l’approbation au moment où Midstream a demandé la levée de la suspension. Au moment de la demande, le séquestre commercialise les actifs de Lexin pour les vendre, y compris la capacité de devenir opérateur.
La juge Romaine a réitéré le critère de levée de la suspension qui a été établi dans l’arrêt Alignvest, qui exige de mettre l’accent sur l’ensemble des circonstances et le préjudice relatif des parties impliquées dans la mise sous séquestre (aux par. 40 et 43). Pour obtenir une ordonnance de levée de la suspension, le demandeur doit être en mesure de démontrer qu’il subirait un préjudice important en démontrant qu’il subirait un préjudice plus grave que les autres créanciers. Le juge Romaine a suivi Alignvest en déclarant que l’incapacité du demandeur d’exercer un droit contractuel pour lequel elle a négocié n’est pas une raison suffisante pour lever la suspension. Elle a estimé que le préjudice subi par un demandeur n’est pas différent de celui subi par d’autres créanciers, car ils perdent également le bénéfice de leurs droits contractuels en raison de l’insolvabilité du débiteur.
De plus, le juge Romaine a conclu que ces clauses sont nulles par rapport à l’ordre public parce que leur exécution irait à l’encontre de l’objet d’un sursis à l’insolvabilité, qui est de permettre la répartition ordonnée et équitable des actifs du débiteur. Enfin, la juge Romaine n’était pas d’accord avec la conclusion de l’arrêt Bumper qui différenciait le critère entre les différentes procédures d’insolvabilité et a précisé que le critère de « levée d’une suspension en vertu de la LFI et de la LACC est essentiellement le même » (au par. 23).
Le juge Romaine a indiqué qu’il est possible de conclure à un préjudice important pour un copropriétaire lorsque les actifs pétroliers et gaziers produisent activement, car un séquestre peut prendre des décisions d’investissement ou d’exploitation différentes de celles d’une personne ayant un intérêt à long terme dans les installations. Toutefois, dans l’affaire dont elle était saisie, les installations ont été fermées lorsque le demandeur les a achetées, et le risque de décisions d’investissement ou opérationnelles mal alignées par le séquestre n’était pas en cause.
Le juge Romaine a conclu que si la suspension était levée, le séquestre subirait un préjudice plus grand que Midstream pour trois raisons principales. Premièrement, le séquestre serait tenu d’effectuer d’importants décaissements en capital et en exploitation qu’il ne pourrait probablement pas financer. Deuxièmement, en levant le sursis, le processus de vente souffrirait d’incertitude. Le processus d’appel d’offres en était déjà à une étape ultérieure et les soumissionnaires actuels s’attendraient raisonnablement à ce qu’ils aient le droit d’assumer l’exploitation des installations à la suite d’une soumission retenue. Troisièmement, et c’est le plus important, si la suspension était levée, cela empêcherait le séquestre d’utiliser le remplacement des dispositions de l’exploitant dans les contrats. Ces dispositions permettaient à Lexin de céder ses intérêts dans les installations dans le cadre du processus de vente. Sans donner effet à ces dispositions, Midstream serait en mesure d’assumer des droits d’exploitation qu’elle ne serait autrement pas en mesure d’assumer, ce qui n’était pas, de l’avis de la cour, l’objet des dispositions de remplacement immédiat des accords d’exploitation conjointe.
Voici les principaux points à retenir de la décision du juge Romaine dans l’affaire Lexin :
Special thanks to stagiaire Darci Stanger and Zach Johnson for their aide in preparing this article.