Le 20 avril 2023, le gouvernement fédéral du Canada a déposé le projet de loi C-47, Loi mettant en œuvre certaines dispositions du budget déposé au Parlement le 28 mars 2023. Parmi les nombreuses modifications législatives contenues dans ce projet de loi omnibus d’exécution du budget, il y a des modifications potentiellement importantes à certaines lois canadiennes sur les sanctions économiques, notamment la Loi sur les mesures économiques spéciales (LMES) et la Loi sur la justice pour les victimes de dirigeants étrangers corrompus (loi Magnitski). Entre autres choses, les modifications introduisent de nouveaux critères juridiques dans l’intention apparente de clarifier les règles obscures du Canada en matière de « propriété et de contrôle ».
Bien que le projet de loi contienne des éléments de clarification utiles, d’autres éléments du projet de loi n’améliorent pas le statu quo, en vertu duquel l’absence de règles claires ou de directives d’interprétation rend difficile pour les entreprises de naviguer dans la conformité dans la pratique.
La plupart des règlements canadiens sur les sanctions contiennent un ensemble normalisé d’interdictions qui comprennent l’interdiction des opérations sur des biens, de la fourniture de services financiers et de la fourniture de biens à des personnes ou à des entités énumérées dans un barème de sanctions applicables (ou dans certains règlements, le terme « bien » est utilisé). Cette série d’interdictions a pour effet de geler les avoirs de la personne inscrite et, de façon générale, de restreindre sa capacité d’effectuer des transactions avec le Canada et les Canadiens. Toutefois, historiquement, le Canada n’a pas eu de règles claires sur le moment où la propriété ou le contrôle par une entité inscrite serait suffisant pour que l’interdiction soit étendue à d’autres entités ou à leurs biens.
Le libellé de la clause standard de « gel des avoirs » se lit comme suit, sous réserve de modifications mineures dans les règlements individuels en matière de sanctions :
3 Il est interdit à toute personne au Canada et à tout Canadien à l’extérieur du Canada de
(a) deal in any property, where where situated, that is owned— or that is held or controlled, directly or indirectly— by a listed person;
(b) conclure ou faciliter toute transaction liée à une transaction visée à l’alinéa (a);
(c) fournir des services financiers ou connexes à l’égard d’une transaction visée à l’alinéa a);
(d) mettre à la disposition d’une personne inscrite ou d’une personne agissant au nom d’une personne inscrite; ou
(e) fournir des services financiers ou connexes à ou au profit d’une personne inscrite.
Contrairement à d’autres pays « aux vues similaires » qui imposent des sanctions, comme les États-Unis, l’Union européenne et le Royaume-Uni, qui ont soit des définitions législatives du contrôle de la propriété, soit des directives d’interprétation détaillées, le Canada n’a jamais eu de lois, de règlements, de jurisprudence, de politiques administratives ou de lignes directrices qui définissent spécifiquement les circonstances dans lesquelles les biens – y compris les actifs détenus par des filiales de sociétés – sont considérés comme des biens « détenus », détenus ou contrôlés, par ou pour le compte d’une personne inscrite sur la liste aux fins du gel des avoirs et de l’interdiction des opérations.
La première et la seule fois où les dispositions relatives à la propriété et au contrôle de la législation canadienne sur les sanctions ont été examinées de manière significative par un tribunal canadien, c’était en octobre 2022, lorsque la Cour du Banc du roi de l’Alberta a discuté de la portée des sanctions économiques contre la Russie dans le contexte d’une requête en sursis à l’exécution d’une sentence arbitrale qui aurait profité à une entité de coentreprise détenue à 50% par une société sanctionnée: Angophora Holdings Limited v. Ovsyankin, 2022 ABKB 711. Bien que la suspension n’ait pas été accordée, la Cour a fait remarquer que la preuve de la propriété à 50 pour cent constituait « une solide preuve prima facie qu’Angophora peut être contrôlée par une société soumise aux sanctions russes ou agir en son nom ».
L’absence d’une politique concrète sur la propriété et le contrôle des sanctions a suscité des critiques de la part des entreprises et des citoyens canadiens qui souhaitent des conseils et de la certitude pour éclairer leurs efforts de diligence raisonnable et de conformité en matière de sanctions.
Dans une tentative apparente de répondre à cette préoccupation et de réduire l’écart d’interprétation entre le Canada et ses principaux partenaires commerciaux, le projet de loi C-47 introduit une clause de « propriété réputée » dans la LMSE et la Loi Magnitski. La modification proposée précise que le « contrôle » d’une entité est réputé constituer la propriété des biens de cette entité et définit les circonstances dans lesquelles le contrôle est présent :
Propriété rachetée
2.1 (1) Si une personne contrôle une entité autre qu’un État étranger, tout bien qui est détenu ou contrôlé, directement ou indirectement , par l’entité est réputé appartenir à cette personne.
Criteria
(2) Pour l’application du paragraphe (1), une personne contrôle une entité, directement ou indirectement, si l’un des critères suivants est respecté :
(a) la personne détient, directement ou indirectement, 50% ou plus des actions ou des participations dans l’entité ou 50% ou plus des droits de vote dans l’entité;
(b) la personne est en mesure, directement ou indirectement, de modifier la composition ou les pouvoirs du conseil d’administration de l’entité; ou
(c) il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que la personne est en mesure, directement ou indirectement et par quelque moyen que ce soit, de diriger les activités de l’entité.
Cette définition introduit une « règle formelle des 50 % » qui est semblable à celle qui existe depuis longtemps aux États-Unis. La règle américaine considère que toute propriété d’une entité détenue à 50 pour cent ou plus par une personne inscrite est également soumise aux mêmes interdictions de sanctions que la personne inscrite. Au Canada, en l’absence de directives ou d’interprétation judiciaire faisant autorité sur la portée de la « propriété et du contrôle » dans ce contexte, il est depuis longtemps préférable de supposer que la participation majoritaire étendrait le gel des avoirs ou l’interdiction des opérations à une filiale d’une personne inscrite. L’amendement proposé dans le projet de loi C-47 fournira une certitude souhaitée de longue date que si une entité appartient à 50 % ou plus à une personne inscrite, directement ou indirectement, les restrictions prévues dans les lois canadiennes sur les sanctions s’étendront aux biens de l’entité détenue.
Bien que le Canada ait choisi de refléter l’approche américaine de « 50 % ou plus » aux fins du critère de contrôle fondé sur la propriété, les modifications proposées vont plus loin et intègrent également une définition plus large du contrôle qui s’apparente davantage à l’approche de l’UE. La définition canadienne proposée du contrôle prévoit que la propriété réputée peut survenir dans une situation où une personne inscrite détient moins de 50 % des actions ou des participations, mais exerce un contrôle « effectif » sur une entité, soit en ayant la capacité, directement ou indirectement, de modifier la composition ou les pouvoirs du conseil d’administration de l’entité ou de diriger les activités de l’entité. Cette règle pourrait également éventuellement déclencher des restrictions de sanctions dans les situations où la personne inscrite ne détient aucun droit de propriété, par exemple, si une personne inscrite transfère le titre légal des actifs à un membre de la famille proche dans le but de contourner les sanctions, mais conserve en fait le contrôle sur les actifs.
Les critères de contrôle de la modification proposée demeurent très larges. Par exemple, le critère d’être « capable, directement ou indirectement, de modifier la composition ou les pouvoirs du conseil d’administration de l’entité » ne précise pas de seuil pour une telle influence (par exemple, la capacité de nommer un certain nombre d’administrateurs). La disposition résiduelle de l’alinéa 2.1(2)c) proposée de toute circonstance dans laquelle « il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, que la personne est en mesure, directement ou indirectement et par quelque moyen que ce soit, de diriger ses activités » ne précise pas non plus une mesure ou un type minimal d’orientation des activités de l’entité qui déclencheraient la disposition déterminative. Par conséquent, en l’absence d’orientation stratégique, ces modifications souffrent d’une ambiguïté semblable à celle que l’on trouve dans la loi actuelle.
En pratique, ces modifications sont conformes à la façon dont les entreprises ont interprété de façon conservatrice l’application des sanctions canadiennes. En l’absence d’un critère juridique clair, l’évaluation de critères de propriété et de contrôle non définis en vertu de la loi canadienne sur les sanctions exigeait déjà d’entreprendre une analyse de faits spécifiques au cas par cas.
Cela dit, ces modifications, et en particulier la confirmation d’une règle de 50 pour cent, fournissent des éclaircissements aux entreprises pour évaluer les résultats des vérifications de diligence raisonnable et permettre à ceux qui effectuent des évaluations des risques de sanctions de parvenir plus rapidement à une décision claire de « non-aller » dans les situations où une entité est connue pour avoir 50 pour cent ou plus de propriété par une personne inscrite.
En plus des dispositions relatives à la propriété et au contrôle, le projet de loi C-C-47 propose également un certain nombre d’autres modifications à la LMES qui pourraient avoir une incidence importante sur la conformité des sanctions canadiennes, selon la façon dont elles sont interprétées et administrées. Par exemple
Diverses dispositions habilitantes dans l’ensemble de la LMSA sont modifiées pour habiliter le gouvernement canadien à mettre en œuvre des restrictions en matière de sanctions à l’intention de toute personne « à l’extérieur du Canada qui n’est pas canadienne », élargissant ainsi la portée du pouvoir de sanctions de la LMES, qui est actuellement limité à cibler uniquement les personnes ou les entités situées dans le pays nommé dans le règlement ou les ressortissants de celui-ci.
Un nouvel alinéa e. 1) est ajouté en vertu du paragraphe 4(2) de la LMSR pour permettre au Canada d’interdire « le transfert ou la fourniture par toute personne au Canada ou à l’étranger de biens autres que des marchandises à cet État étranger, toute personne dans cet État étranger, un ressortissant de cet État étranger qui ne réside pas habituellement au Canada ou une personne à l’étranger qui n’est pas canadienne ». Cela alignerait la LMES sur la Loi Magnitski, qui permet l’interdiction de fournir tout « bien » de façon générale à une personne inscrite, y compris à la fois les biens corporels (biens) et les biens incorporels (comme l’argent, les fonds, la monnaie, les actifs numériques, la monnaie, la monnaie virtuelle); la LMSE actuelle ne prévoit qu’une interdiction de la fourniture de « marchandises ».
Le projet de loi comprend également des modifications aux lois sur les sanctions et à la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes afin d’harmoniser et de coordonner les obligations de déclaration des avoirs sanctionnées en vertu des diverses lois, et élargit la liste des autres ministères du gouvernement canadien avec lesquels Affaires mondiales Canada peut coordonner et partager de l’information sur les questions de sanctions; ce qui devrait contribuer à la collecte et à l’application de l’information par le gouvernement.
L’équipe Bennett Jones International Trade & Investment a une vaste expérience pour aider les clients à naviguer dans les problèmes de conformité aux sanctions. Si vous avez des questions sur les sanctions canadiennes, veuillez communiquer avec l’un des auteurs.