Un privilège unique et étendu revendiqué depuis de nombreuses années par le commissaire de la concurrence est revenu sur Terre avec un atterrissage cahoteux.
La Cour d’appel fédérale a statué que le commissaire ne peut plus invoquer un privilège d’intérêt public fondé sur le recours collectif à l’égard de tous les documents recueillis dans le cadre d’une enquête du Bureau de la concurrence. Et l’audience du Tribunal de la concurrence dans l’affaire Commissaire de la concurrence c. Administration de l’aéroport de Vancouver, qui devait commencer la semaine prochaine, a été ajournée à une date ultérieure indéterminée.
La décision1 de la Cour d’appel n’empêche pas le commissaire de revendiquer un privilège document par document sur les documents recueillis au cours d’une enquête. Elle n’a pas non plus d’incidence sur les autres privilèges juridiques ou les protections de confidentialité en vertu de la Loi sur la concurrence et des pratiques actuelles du Tribunal.
La décision peut toutefois avoir une incidence sur le moment où les parties, ou leurs avocats et experts, verront des copies des documents en la possession du commissaire au cours d’une cause devant le Tribunal. La Cour a souligné les importantes protections de l’équité procédurale offertes aux parties poursuivies par le commissaire.
Le commissaire a annoncé qu’il ne demandera pas l’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada. Il est maintenant possible d’apporter d’autres améliorations au processus préalable à l’audience devant le Tribunal de la concurrence.
Au cours des enquêtes et des « enquêtes » officielles en vertu de la Loi sur la concurrence, le personnel du Bureau de la concurrence recueille de nombreux renseignements auprès de parties privées, y compris des documents et des renseignements de nature délicate sur le plan de la concurrence. En vertu de la Loi, les enquêtes doivent être menées en privé et les renseignements fournis au commissaire doivent être gardés confidentiels, sous réserve de certaines exceptions, y compris pour « l’application et l’exécution » de la Loi2.
Toutefois, dans le cadre d’un litige devant le Tribunal de la concurrence, le commissaire et la partie défenderesse doivent fournir à l’autre partie des copies de tous les documents pertinents en leur possession.
Depuis plus de 20 ans, le commissaire revendique avec succès un privilège général sur l’ensemble des documents recueillis au cours de l’enquête, autres que les propres documents de l’intimé et les renseignements recueillis auprès de sources publiques. Dans les litiges devant le Tribunal, les productions documentaires initiales du commissaire ont souvent été modestes; la partie défenderesse a reçu très peu de nouveaux documents l’informant de la preuve du commissaire contre elle, avant que la partie n’ait la possibilité d’interroger le représentant du commissaire sous serment lors de l’enquête préalable.
Au fil des ans, le Tribunal a établi certains mécanismes procéduraux pour établir un équilibre entre le privilège général d’intérêt public du commissaire et le droit de l’intimé de connaître en temps opportun les arguments contre lui. Ces mécanismes comprenaient : (i) le commissaire doit fournir un résumé complet des renseignements privilégiés, avant les interrogatoires oraux préalables; (ii) l’intimé peut contester le caractère suffisant de ce résumé devant un membre judiciaire du Tribunal; et (iii) le commissaire doit divulguer tous les éléments de preuve qui doivent être utilisés contre l’intimé au moyen de déclarations de témoins accompagnées de la preuve complète de chaque témoin et de tous les documents pertinents à ce témoignage. Les Règles du Tribunal de la concurrence exigent que le commissaire fournisse ces déclarations de témoins et une liste complète de tous les documents sur lesquels il s’appuiera, au moins 60 jours avant l’audience finale du Tribunal. De plus, certaines décisions récentes du Tribunal ont obligé le commissaire à fournir une divulgation supplémentaire de documents avant l’audience, y compris des documents qui sont à la fois utiles et inutiles à la position du commissaire.
Appliquant les pouvoirs récents de la Cour suprême, la Cour d’appel fédérale a statué dans l’arrêt Administration de l’aéroport de Vancouver qu’il n’y a pas de privilège collectif attaché à tous les documents recueillis dans le cadre d’une enquête du Bureau. La Cour a renvoyé l’affaire au Tribunal pour déterminer si le privilège, s’il était revendiqué, serait prouvé par le commissaire à l’égard des 1 200 documents en cause.
L’une des conséquences immédiates de la décision d’appel a été l’ajournement de l’audience sur les allégations d’abus de position dominante contre l’Administration de l’aéroport de Vancouver, qui devait commencer au début de février 2018. Vous trouverez ci-dessous d’autres observations et implications.
Premièrement, les protections légales existantes demeurent. Le commissaire doit toujours mener des enquêtes en privé. La confidentialité exigée par l’article 29 de la Loi sur la concurrence s’applique toujours.
Deuxièmement, la divulgation de renseignements sensibles sur le plan de la concurrence peut toujours être protégée par des ordonnances de confidentialité pendant les procédures devant le Tribunal. Ces ordonnances ont été rendues dans les cas appropriés afin de s’assurer que les renseignements confidentiels de l’intimée ne sont pas communiqués à ses concurrents ou au public.
Ces ordonnances peuvent également protéger les renseignements sensibles d’un concurrent contre la communication à l’intimé. C’est-à-dire qu’en vertu d’une ordonnance de confidentialité, les documents en la possession du Bureau peuvent être fournis à l’avocat et aux experts de l’intimé seulement et non à l’intimé lui-même (ou parfois seulement à certaines personnes désignées comme l’avocat interne). De cette façon, le Tribunal peut recevoir tous les documents pertinents pour qu’il les examine dans le cadre de la prise d’une décision juste, tandis que les avocats et les experts professionnels peuvent protéger les intérêts de l’intimé en répondant efficacement aux allégations et aux éléments de preuve du commissaire, en contre-interrogeant les témoins et en présentant des arguments au Tribunal.
Troisièmement, la décision de la Cour d’appel fédérale peut avoir une incidence sur la portée de l’affirmation du privilège d’intérêt public par le commissaire. C’est-à-dire que, sans privilège sur l’ensemble de la catégorie de documents, le commissaire peut revendiquer le privilège sur un moins grand nombre de documents et s’appuyer sur l’ordonnance de confidentialité, peut-être à des conditions nouvellement modifiées.
Quatrièmement, les répondants pourraient voir davantage de renseignements recueillis au cours de l’enquête du Bureau plus tôt, plus tôt dans le processus de litige et avant les interrogatoires oraux en vue de l’interrogatoire préalable. Avec l’élimination du privilège relatif aux recours collectifs, le commissaire doit maintenant prouver le privilège à l’égard de chaque document, ou du moins à l’égard de groupes de documents se trouvant dans une situation semblable. Il est plus difficile de le faire que d’affirmer un argument juridique selon lequel tous les documents recueillis sont privilégiés. Dans l’Administration de l’aéroport de Vancouver elle-même, le commissaire avait renoncé au privilège sur plus de 80 % des documents recueillis au cours de l’enquête. La décision de ne pas invoquer le privilège devra peut-être maintenant être prise plus tôt dans le processus. La production d’un plus grand nombre de documents, plus tôt dans le processus d’enquête préalable, peut à son tour élargir la portée des questions lors d’un interrogatoire préalable du commissaire.
Il y aura toujours des désaccords et des motions sur la production de documents, en particulier si le commissaire décide d’appliquer d’autres privilèges reconnus, comme le privilège relatif aux litiges, à des documents qui ont déjà fait l’objet d’une revendication de privilège d’intérêt public.
Enfin, la Cour d’appel et le Tribunal ont tous deux publié des motifs écrits qui traitent des principes d’équité procédurale du droit administratif. Ils devraient tous deux être obligatoirement lus pour les avocats représentant les parties devant le Tribunal et devant le Bureau. Les motifs d’appel peuvent avoir des effets corrélatifs, par exemple sur les pratiques de collecte de documents du Bureau et sur les documents déposés par le commissaire concernant les demandes présentées en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence.
La décision de la Cour d’appel fédérale signifie plus de travail à l’avance pour le commissaire pour décider quels documents produire et lesquels sont sans doute privilégiés, mais moins de travail en raison de résumés plus courts des documents restants sur lesquels le privilège de l’intérêt public est toujours revendiqué. Les parties répondantes peuvent recevoir plus tôt (et peut-être plus) la production de documents entre les mains du Bureau , d’autant mieux pour préparer des éléments de preuve pertinents, des rapports d’experts et des arguments pour l’audience du Tribunal.
Il devrait en résulter un processus un peu plus simple, mais plus équitable, menant à une audience du Tribunal.
La décision de la Cour d’appel crée également une occasion d’apporter des améliorations supplémentaires au processus préparatoire à l’audience dans les instances du Tribunal. Par exemple, d’un point de vue pratique, le commissaire obtient souvent une découverte précoce importante de l’intimé en obtenant des ordonnances de production de documents et des réponses aux demandes de renseignements en vertu de l’article 11 de la Loi sur la concurrence. Les règles actuelles peuvent entraîner un travail redondant et fastidieux pour les deux parties après le dépôt de la demande. De plus, les interrogatoires préalables oraux du représentant du commissaire doivent constamment fournir des réponses plus significatives aux questions appropriées. 3 Et tout le monde bénéficierait de délais beaucoup plus précoces pour la remise des déclarations de témoins et des rapports d’experts avant une audience complexe, ce qui donnerait aux deux parties plus de temps pour répondre en substance et, le cas échéant, pour arbitrer le différend au profit de la preuve complète.
Ces changements et d’autres feraient progresser le mandat du Tribunal, qui consiste à ce que les audiences soient rapides et équitables en vertu du paragraphe 9(2) de la Loi sur le Tribunal de la concurrence.
1 2018 CAF 24 (24 janvier 2018), par Stratas JA (Boivin et Laskin JJA souscrivant).
2 Loi sur la concurrence, paragraphe 10(3) et article 29.
3 Voir Commissaire de la concurrence c. Administration de l’aéroport de Vancouver, 2017 Tribunal de la concurrence 16.