Ronde III aux provinces : La Cour suprême rejette la Loi sur les valeurs mobilières du Canada comme étant inconstitutionnelle

05 janvier 2012

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Le 22 décembre 2011, la Cour suprême du Canada a rendu sa décision très attendue sur la constitutionnalité du projet de Loi sur les valeurs mobilières (LMMC). À la surprise de plusieurs, la Cour suprême a conclu à l’unanimité que les ACVM étaient inconstitutionnelles et ne relevaient pas de l’autorité du Parlement, tout comme la Cour d’appel de l’Alberta et la Cour d’appel du Québec l’ont fait plus tôt l’an dernier. Mais la Cour suprême n’a pas statué que le concept d’un organisme national de réglementation des valeurs mobilières est nécessairement inconstitutionnel. À ce titre, le gouvernement fédéral est forcé de retourner à la planche à dessin.

Contexte

En mai 2010, le gouvernement fédéral a publié les ACVM, qui prévoient l’harmonisation des lois provinciales et territoriales existantes en une seule loi fédérale et créent un organisme national de réglementation des valeurs mobilières. En même temps qu’il a libéré le CSA, le gouvernement fédéral a renvoyé la question de sa constitutionnalité à la Cour suprême. Peu de temps après, les gouvernements de l’Alberta et du Québec ont soumis des questions de renvoi similaires à des comités de cinq juges de leurs cours d’appel respectives. Les deux cours d’appel provinciales ont conclu que les ACVM étaient inconstitutionnelles (un seul juge du Québec étant dissident).

La Constitution canadienne divise certains pouvoirs entre les gouvernements provincial et fédéral. La question juridique dont les tribunaux étaient saisis était de savoir si les ACVM relevaient d’un chef de compétence provincial ou fédéral.

L’argument du Canada

Le gouvernement fédéral, appuyé par la province de l’Ontario, a fait valoir que les ACVM relèvent du pouvoir général du gouvernement fédéral en matière d’échanges et de commerce. Elle a admis que certains aspects de la réglementation des valeurs mobilières relèvent de la compétence provinciale et a reconnu le pouvoir maintes fois affirmé des provinces de réglementer les valeurs mobilières. Mais le gouvernement fédéral a adopté la position selon laquelle le marché des valeurs mobilières est passé d’une question provinciale à une question nationale, ce qui a une incidence sur l’ensemble du pays. Cette transformation importante, a fait valoir le gouvernement fédéral, a donné lieu à des risques systémiques et à d’autres préoccupations qui ne peuvent être traitées qu’à l’échelle nationale.

L’argument des provinces

Les provinces de l’Alberta, du Québec, du Manitoba et du Nouveau-Brunswick se sont opposées à la constitutionnalité de l’ASC. Les provinces ont fait valoir que les ACVM relèvent du chef du pouvoir provincial en matière de propriété et de droits civils. Ils ont également fait valoir que la CSA s’es acppe au pouvoir provincial sur des questions de nature purement locale ou privée, à savoir la réglementation des contrats, des biens et des professions. Les provinces se sont fortement fiées au fait que les gouvernements provinciaux réglementent le marché des valeurs mobilières depuis la Confédération.

Décision de la Cour suprême

Pour déterminer la constitutionnalité de la LMMC, la Cour suprême a procédé à une analyse en deux étapes. Premièrement, quel est le « caractère véritable » de la loi? En d’autres termes, quel est l’axe principal de la loi fondée sur un examen de son objet et de ses effets? L’objectif déclaré des ACVM est de mettre en œuvre un régime canadien complet de réglementation des valeurs mobilières. Les ACVM ont pour effet de reproduire et de remplacer les régimes provinciaux existants et de les remplacer par un nouveau régime de réglementation fédéral.

Compte tenu de l’objet déclaré des ACVM, de ses dispositions et d’autres éléments de preuve, la Cour a conclu que le caractère véritable de la loi « est de réglementer, sur une base exclusive, tous les aspects du commerce des valeurs mobilières au Canada, y compris les opérations et les professions liées aux valeurs mobilières dans chacune des provinces ».

Deuxièmement, la loi, telle qu’elle est décrite, relève-t-elle du pouvoir fédéral en matière d’échanges et de commerce ou du pouvoir provincial en matière de propriété et de droits civils? À première vue, le pouvoir général en matière d’échanges et de commerce est vaste, ayant la capacité de subsumer d’autres chefs de compétence fédéraux et de reproduire (et peut-être de déplacer) les pouvoirs provinciaux. Afin de limiter ce pouvoir apparemment illimité, il s’est limité à des questions de portée véritablement nationale. Il y a cinq indices de compétence fédérale en vertu du pouvoir général d’échanges et de commerce:

  1. La loi fait-elle partie d’un régime de réglementation général?
  2. Le régime est-il sous la supervision d’un organisme de réglementation?
  3. La loi concerne-t-elle le commerce dans son ensemble plutôt qu’une industrie particulière?
  4. Le régime est-il de nature telle que les provinces, agissant seules ou ensemble, seraient constitutionnellement incapables de l’adopter?
  5. Est-ce que le fait de ne pas inclure une ou plusieurs provinces compromettrait son fonctionnement réussi dans d’autres régions du pays?

Ces indices ne sont pas exhaustifs et n’ont pas besoin d’être présents dans tous les cas. Les deux premiers indices identifient la structure requise de la législation. Ces trois derniers se demandent s’il s’agit d’une question d’une véritable importance nationale distincte des préoccupations provinciales.

La Cour a reconnu que les objectifs des ACVM, en particulier la préservation des marchés financiers pour alimenter l’économie canadienne et maintenir la stabilité financière, vont au-delà d’une industrie particulière et engagent « le commerce dans son ensemble » (en faisant de la CSA une partie d’un régime de réglementation général et sous la supervision d’un organisme de réglementation). Mais la Cour a également conclu que les ACVM s’enfoncent dans la réglementation quotidienne de tous les aspects du commerce des valeurs mobilières dans les provinces, qui est depuis longtemps réglementée à l’échelle provinciale. Le gouvernement fédéral a soutenu que le marché des valeurs mobilières s’était transformé en une préoccupation nationale, mais la Cour a rejeté ce point de vue. Le fait que la structure et les modalités des ACVM « reproduisent en grande partie les régimes provinciaux existants dément la suggestion selon laquelle le marché des valeurs mobilières a été entièrement transformé au fil des ans ».

La Cour a également conclu que les provinces n’ont pas la capacité constitutionnelle de maintenir un régime national viable visant à atteindre de véritables objectifs nationaux, comme la gestion du risque systémique. Mais les ACVM vont au-delà des questions d’intérêt national et s’intéressent à la réglementation détaillée de tous les aspects des valeurs mobilières, ce qui signifie que les provinces ne sont pas « constitutionnellement incapables » de répondre à ces questions.

Les objectifs nationaux de l’ASC, comme la gestion du risque systémique, deviendraient inefficaces si une province s’absentait des ACVM. Mais, parce que l’idée maîtresse des ACVM est la réglementation quotidienne des valeurs mobilières, la Cour a déclaré que les ACVM ne céderaient pas si une province refusait de participer. Il est important de noter que la LMMC contient une fonction d’adhésion, en vertu de laquelle les provinces adhéreraient au régime fédéral. Cette caractéristique de l’ASC prévoit que ce ne sont pas toutes les provinces qui participeront, ce qui a pesé contre l’argument du gouvernement fédéral selon lequel le succès de l’ASC exige la participation de toutes les provinces.

En conclusion, bien que la Cour suprême ait souligné que certains aspects de la LMMC peuvent être d’intérêt national réel (et que des réalités telles que le risque systémique pourraient justifier la réglementation fédérale), les ACVM dans leur ensemble ne peuvent être maintenues en vertu du pouvoir général en matière d’échanges et de commerce. L’idée maîtresse de la loi – la réglementation quotidienne des valeurs mobilières – ne peut être décrite comme une question d’importance et de portée véritablement nationales. Le risque systémique, aussi préoccupant soit-il, ne peut justifier une prise de contrôle fédérale complète.

Observations finales de la Cour

La Cour suprême a pris soin de limiter sa décision à la constitutionnalité du projet de CSA. Sa décision était axée sur la compétence législative et non sur la politique. La Cour suprême a clairement indiqué que « les tribunaux n’ont pas le pouvoir de déclarer les lois constitutionnelles simplement parce qu’ils concluent qu’il peut s’agir de la meilleure option du point de vue de la politique ». Cette déclaration laisse la porte ouverte à d’autres stratégies de réglementation des marchés des valeurs mobilières du Canada.

La Cour a souligné la possibilité d’une approche coopérative avec les deux ordres de gouvernement travaillant en collaboration sur la réglementation des valeurs mobilières. La Cour semble laisser entendre que, puisque l’affaire possède à la fois des aspects centraux et locaux, le gouvernement fédéral devrait adopter une approche qui permet un régime reconnaissant la nature essentiellement provinciale de la réglementation des valeurs mobilières, tout en permettant au Parlement de traiter des préoccupations véritablement nationales.

La Cour suprême a également noté, à plusieurs reprises, que le gouvernement fédéral avait fondé sa position selon laquelle les ACVM étaient entièrement constitutionnelles sur le pouvoir général en matière de commerce, et qu’on n’avait pas demandé à la Cour de se prononcer sur l’autorité du Parlement en matière de réglementation des valeurs mobilières sous d’autres chefs de compétence fédéraux. Si la LMMC est reformulée, le gouvernement fédéral pourrait envisager une position constitutionnelle différente.

Prochaines étapes?

On peut soutenir que la décision de la Cour suprême fournit une carte d’un nouveau régime de valeurs mobilières. Il caractérise de nombreux aspects de la compétence provinciale et fédérale en matière de valeurs mobilières et suggère où le gouvernement fédéral pourrait être en mesure de réglementer (par exemple en ce qui concerne le risque systémique). La Cour propose aussi essentiellement une approche coopérative entre les gouvernements fédéral et provinciaux, envisageant des rôles pour les organismes de réglementation nationaux et provinciaux.

Le gouvernement fédéral n’a pas annoncé les mesures qu’il prendra ensuite, le cas échéant. La décision de la Cour suprême indique clairement qu’en l’absence d’une modification constitutionnelle, un seul organisme de réglementation national, sans la participation des provinces, ne réussira pas. Il reste à voir si les deux ordres de gouvernement peuvent coopérer à l’égard d’un régime national de valeurs mobilières qui répond à certaines des préoccupations nationales soulevées par le gouvernement fédéral. Pour l’instant, la seule chose qui reste certaine, c’est qu’un organisme national de réglementation des valeurs mobilières ne sera pas en place de sitôt.

Réservez la date : Le groupe de pratique Litige en valeurs mobilières de Bennett Jones tiendra une téléconférence le 12 janvier 2012 à 12 h HNE pour discuter des répercussions de cette décision.

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