Écrit par Ruth Promislow, Hugo Alves and Mike Lickver
La marijuana à des fins médicales vendue par un producteur autorisé en vertu du Règlement sur la marihuana à des fins médicales DORS/2013-199 (RMFM) est-elle exonérée de la taxe sur les produits et services (TPS) en vertu de la Loi sur la taxe d’accise L.R.C. (1985), ch. E-15?
La récente décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Hedges c. La Reine, 2016 CAF 19 (Hedges), fournit une base utile aux producteurs autorisés (LP) en vertu du RMFM et à leurs patients pour faire valoir que la vente de marijuana médicale ne devrait pas être assujettie à la TPS. Cependant, il se peut qu’un obstacle subsiste encore en ce sens que le libellé de la Loi sur la taxe d’accise n’a pas rattrapé le régime du RMFM, créant ainsi un vide législatif — un écart qui pourrait disparaître si l’Association des pharmaciens du Canada (APhC) obtient ce qu’elle veut et se voit accorder un rôle de « première ligne » dans la distribution de la marijuana à des fins médicales.
Haies - Faits de fond
Hedges fournissait de la marijuana à un dispensaire dont les membres souffraient de divers maux. Hedges n’a jamais perçu ni versé la TPS sur ses ventes de marijuana au dispensaire. Il a fait l’affaire de l’Agence du revenu du Canada, puis a demandé à contester cette nouvelle cotisation devant la Cour fédérale, puis en appel devant la Cour d’appel fédérale.
Le cas de Hedges concernait le Règlement sur l’accès à la marihuana à des fins médicales (DORS/2001-227) (RAMM) parce que les ventes en cause ont eu lieu en 2007-2009, avant l’adoption du RMFM (la loi qui a succédé au RAMM). En vertu du RAMM, une personne pouvait demander une autorisation de possession (ATP) qui, si elle était accordée, permettait la possession de marijuana séchée conformément aux modalités de l’ATP. Une « déclaration médicale » était requise pour obtenir l’ATP. La « déclaration médicale » devait indiquer (entre autres questions courantes) :
- la quantité quotidienne de marijuana séchée ainsi que la forme et la voie d’administration que le demandeur avait l’intention d’utiliser;
- la période d’utilisation prévue; et
- que les traitements conventionnels pour les symptômes avaient été essayés ou considérés et s’étaient avérés inefficaces ou médicalement inappropriés.
Il est important de noter qu’en vertu du RAMM, la « déclaration médicale » n’exigeait pas que le médecin exprime une indication de l’utilisation ou de la période de consommation de la marijuana à des fins médicales. C’est-à-dire que le médecin n’avait pas à prescrire l’usage de la marijuana à des fins médicales; au contraire, le praticien a simplement récité l’utilisation prévue du demandeur.
Loi sur la taxe d’accise
En vertu de la Loi sur la taxe d’accise, il existe des catégories définies de médicaments qui sont détaxés, ce qui signifie qu’ils sont exonérés de la TPS. L’annexe VI-2d) prévoit qu’une drogue est détaxée si cette drogue
« contient une substance inscrite à l’annexe du Règlement sur les stupéfiants (C.R.C., c 1041) (RCN), autre qu’une drogue ou un mélange de drogues qui peut, en vertu de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (L.C. 1996, ch. 19) (LRCDAS) ou de ses règlements pris en vertu de cette loi, être vendue à un consommateur sans ordonnance ni exemption par le ministre de la Santé à l’égard de la vente. »
Le cannabis est clairement inclus dans l’annexe de la RCN, par conséquent, en termes simples, si les drogues en question ne sont pas des stupéfiants inclus dans l’annexe de la RCN ou peuvent être vendues sans ordonnance ou exemption par le ministre de la Santé à l’égard de la vente, elles ne sont pas détaxées et sont donc assujetties à la TPS.
Décision de la Cour fédérale
Le cannabis est clairement une substance inscrite à l’annexe de la RCN. Par conséquent, dans l’affaire Hedges, la question centrale dont étaient saisies la Cour fédérale et la Cour d’appel fédérale était de savoir si le régime prévu dans le RAMM permettait la vente de marijuana à des fins médicales à des consommateurs sans ordonnance ni exemption. La Cour fédérale a statué que la marijuana à des fins médicales pouvait être obtenue en vertu du RAMM sans ordonnance ni exemption et, par conséquent, était assujettie à la TPS.
La Cour fédérale a rejeté l’argument de Hedges selon lequel la « déclaration médicale » qui était requise pour accompagner une demande d’ATP était une « prescription » aux fins de la Loi sur la taxe d’accise. La Cour fédérale a fondé cette conclusion dans la définition de prescription à l’annexe VI de la Loi sur la taxe d’accise, qui la définit comme suit :
« une ordonnance écrite ou verbale, remise à un pharmacien par un médecin ou une personne autorisée, ordonnant qu’une quantité déterminée de tout médicament ou mélange de drogues précisé dans l’ordonnance soit délivrée pour la personne nommée dans l’ordonnance » [non souligné dans l’original].
L’annexe VI de la Loi sur la taxe d’accise définit le terme « pharmacien » comme une personne qui, en vertu des lois d’une province, a le droit d’exercer la profession de pharmacien.
La Cour fédérale a rejeté l’argument de M. Hedges selon lequel la définition de « prescription » dans la RCN — « à l’égard d’un stupéfiant, une autorisation donnée par un praticien qu’une quantité déclarée de stupéfiant soit délivrée pour la personne nommée dans l’ordonnance » — devrait supplanter la définition plus étroite de la prescription dans la Loi sur la taxe d’accise. La Cour fédérale a statué que, de toute façon, la « déclaration médicale » ne constituerait pas une ordonnance en vertu de la RCN.
La Cour fédérale a statué que la « déclaration médicale » n’était pas une ordonnance parce qu’il ne s’agissait pas d’une ordonnance à un pharmacien ni d’une autorisation elle-même; il s’agissait d’un document à l’appui d’une demande d’ATP. La Cour fédérale a également noté que la « déclaration médicale » qui accompagnait une demande d’ATP n’était pas communiquée directement à un distributeur; elle a été renvoyée au gouvernement pour qu’il détermine le succès ou l’échec d’une demande, et la « déclaration médicale » ne garantissait pas qu’un ATP serait finalement délivré.
Sur la question de l’exemption, la Cour fédérale a statué que l’ATP n’était pas une « exemption », mais plutôt une simple autorisation, soulignant qu’un libellé plus clair aurait été utilisé si le législateur avait eu l’intention de classer le PTA comme une exception. La Cour fédérale a statué que si la marijuana à des fins médicales était disponible dans certains cas sans ordonnance ni exemption, la drogue ne devait pas être détaxée même si elle était vendue en vertu d’une exemption dans certains scénarios. Par conséquent, si l’on obtient de la marijuana à des fins médicales par le biais d’une exemption, elle sera toujours taxée parce qu’elle peut être obtenue sans exemption dans d’autres scénarios.
Décision de la Cour d’appel fédérale
En appel, Hedges n’a pas donné suite à l’argument selon lequel l’ATP était une prescription aux fins de la Loi sur la taxe d’accise et, par conséquent, la question centrale devant la Cour d’appel fédérale (CAF) était de savoir si l’ATP en vertu du RAMM constituait une exemption ministérielle.
La CAF a rejeté l’argument de Hedges selon lequel le PTA est une exemption du ministre, soutenant que le RAMM ne faisait pas référence à un PTA comme une exemption et qu’une « exemption du ministre de la Santé » envisage une mesure administrative sous la forme d’un permis, d’une licence ou d’une autorisation.
Implications pour les ventes de marijuana médicale en vertu du RMFM?
La question qu’un tribunal devra examiner est de savoir si le régime législatif en vertu du RMFM permet la vente de marijuana par les LP à des patients sans ordonnance ou une exemption par le ministre de la Santé à l’égard de la vente. Si la réponse à ces deux questions est oui, alors la marijuana vendue en vertu du RMFM n’aura pas le statut détaxé et sera assujettie à la TPS.
Le paragraphe 12(4) du RMFM prévoit qu’un LP peut vendre de la marijuana séchée à un patient de ce LP (ou à la personne responsable du patient), à un employé de l’hôpital si la marijuana à des fins médicales est destinée à leur emploi et en lien avec celui-ci, ou à une personne à qui une exemption relative à la marihuana a été accordée en vertu de l’article 56 de la LRCDAS. Par conséquent, le libellé du paragraphe 12(4) du RMFM prévoit que la marijuana à des fins médicales peut être vendue à un patient sans exemption. En d’autres termes, le paragraphe 12(4) du RMFM établit les catégories de personnes à qui un LP peut vendre de la marijuana à des fins médicales , dont certaines ne nécessitent pas d’exemption de la part du ministre en vertu de l’article 56 de la LRCDAS.
Toutefois, en ce qui concerne la question de savoir si la marijuana à des fins médicales nécessite une ordonnance en vertu du RMFM (et est donc détaxée), il y a une distinction (sans doute importante) à faire entre une « déclaration médicale » en vertu du RACA et le « document médical » en vertu du RMFM. En vertu du RMFM, il est nécessaire pour un patient éventuel de soumettre un « document médical » à un LP avec sa demande pour devenir un patient du LP. Le « document médical » est défini à l’article 129 du RMFM comme un document fourni par un professionnel de la santé à une personne qui est sous son traitement professionnel et qui indique, entre autres questions courantes, la quantité quotidienne de marijuana médicale à consommer par le patient, exprimée en grammes, et la période de consommation.
Le raisonnement de la Cour fédérale dans l’arrêt Hedges peut être utile pour faire valoir que le « document médical » en vertu du RMFM est une prescription :
- La Cour fédérale a statué que la « déclaration médicale » n’est pas une ordonnance. En revanche, « le document médical » ordonne qu’une quantité précise de marijuana soit distribuée au patient.
- La Cour fédérale a statué que la « déclaration médicale » n’est pas communiquée directement à un distributeur. En revanche, le « document médical » est communiqué directement au LP (le distributeur).
- La Cour fédérale a statué que la « déclaration médicale » ne garantit pas qu’un PTA sera finalement délivré, car la personne doit toujours satisfaire aux exigences du RAMM. En revanche, à condition que le LP accepte le demandeur en tant que patient et dispose d’un produit, le « document médical » est une garantie que la marijuana médicale sera distribuée.
Le RMFM représente donc un changement important par par-dessus le RAMM en ce qu’un médecin doit prescrire l’utilisation de la marijuana à des fins médicales et que le « document médical » délivré par le médecin semble satisfaire à presque toutes les exigences d’une ordonnance en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, sauf une.
Lacune législative
Il existe un obstacle potentiel dans le libellé de l’annexe VI de la Loi sur la taxe d’accise. Comme il est indiqué ci-dessus, l’annexe VI de la Loi sur la taxe d’accise (l’article pertinent portant sur les fournitures détaxées) définit le terme « ordonnance » comme « une ordonnance écrite ou verbale, donnée à un pharmacien par un médecin ou un particulier autorisé, ordonnant qu’une quantité déterminée de toute drogue ou mélange de drogues précisée dans l’ordonnance soit délivrée pour le particulier nommé dans l’ordonnance » [non souligné dans l’original]. L’exigence selon laquelle l’ordonnance doit être « donnée à un pharmacien » pose un problème pour la position selon laquelle un « document médical » en vertu du RMFM est une « ordonnance » aux fins de la Loi sur la taxe d’accise parce que ce document n’est pas remis à un pharmacien. Par conséquent, bien que le RMFM représente un nouveau régime en vertu duquel un patient doit se voir prescrire l’usage de la marijuana à des fins médicales, le libellé de la Loi sur la taxe d’accise semble être incompatible avec ce changement.
Une demande visant à déterminer le statut fiscal de la marijuana à des fins médicales vendue en vertu du RMFM obligera le tribunal à s’engager dans la tâche d’interpréter et de construire la Loi sur la taxe d’accise et le RMFM. Dans l’interprétation des lois, « il y a une présomption de cohérence : les dispositions d’une loi visent à travailler ensemble de façon logique et rationnelle et une loi est présumée ne pas contenir de contradictions et d’incohérences ». 1 Le devoir des tribunaux est de résoudre les conflits apparents dans les lois et les règlements.
On pourrait donc faire valoir à la Cour fédérale que le terme « prescription », tel qu’il est utilisé à l’annexe VI de la Loi sur la taxe d’accise, doit être interprété d’une manière conforme à l’économie du RMFM. La vente de marijuana médicale nécessite maintenant ce qui est effectivement une ordonnance. Que l’ordonnance soit donnée et exécutée par un pharmacien ou un LP ne devrait avoir aucune conséquence pour déterminer si la marijuana à des fins médicales est détaxée. Il convient de noter que des commentaires récents de l’Ordre des médecins et chirurgiens de l’Ontario appuient la position selon laquelle un « document médical » délivré en vertu du RMFM est une ordonnance. Dans sa politique sur la marijuana à des fins médicales, l’Ordre stipule ce qui suit :
« Le RMFM exige que les patients obtiennent un document médical rempli par un professionnel de la santé autorisé afin d’avoir accès à un approvisionnement légal de marijuana séchée à des fins médicales. Le document médical contient des renseignements qui se trouveraient normalement sur une ordonnance.
Entrez dans les pharmacies
En février 2014, l’APhC a rédigé une lettre à l’intention des organismes de réglementation fédéraux concernés pour formuler des commentaires sur le projet de règlement sur le RMFM de Santé Canada, tel qu’il a été publié dans la Partie 1 de la Gazette du Canada le 15 décembre 2012 (projet de règlement). L’ébauche du règlement prévoyait que les pharmaciens qui étaient autorisés par leur gouvernement provincial et l’organisme de réglementation des pharmacies pourraient obtenir de la marijuana à des fins médicales des LP en vertu du RMFM et distribuer de la marijuana à des fins médicales aux patients qui obtiennent un « document médical ». En faisant valoir que les pharmaciens ne voulaient pas participer à la distribution de marijuana à des fins médicales et qu’ils devraient être retirés de l’ébauche du Règlement, l’APhC a déclaré ce qui suit :
« [l]e RMFM permettrait aux pharmaciens de distribuer de la marijuana à des fins médicales. Nous ne savons pas si de nombreux pharmaciens seraient prêts à le faire, et de nombreux gouvernements [provinciaux et territoriaux] et organismes de réglementation de la pharmacie pourraient ne pas le permettre. Bien que le processus de distribution soit réglementé, il demeure préoccupant que les pharmaciens délivrent un produit qui ne dispose pas de preuves d’innocuité et d’efficacité adéquates. De plus, les risques potentiels pour la sécurité des pharmacies en raison des vols qualifiés devraient être pris en compte.
En avril 2016, l’APhC a fait un virage spectaculaire à 180 degrés dans sa position, déclarant que:
« [l]a sécurité du public et des patients dans le mouvement de la marijuana médicale en évolution rapide, aujourd’hui, l’APhC recommande que les pharmaciens jouent un rôle de première ligne dans la gestion des patients et la distribution de la marijuana médicale. »
Il reste à voir si le gouvernement fédéral modifiera le RMFM pour permettre aux pharmacies de distribuer de la marijuana à des fins médicales d’une manière ou d’une autre. Cependant, la réintroduction des pharmacies dans le RMFM en tant que partie autorisée à distribuer de la marijuana médicale aurait certainement des répercussions sur l’accès des patients, la dynamique existante de l’industrie et, notamment, la taxation.
Comme il est indiqué ci-dessus, un document médical délivré en vertu du RMFM répond à tous les critères d’une « ordonnance » en vertu de la Loi sur la taxe d’accise, à l’exception de l’exigence technique selon laquelle une telle ordonnance doit être « donnée à un pharmacien ». En supposant qu’un rôle de « première ligne » dans la distribution de la marijuana à des fins médicales implique de permettre au pharmacien d’accepter directement le « document médical » d’un patient et de distribuer de la marijuana à des fins médicales (plutôt que de simplement demander à la pharmacie d’agir comme un endroit pour ramasser une commande qu’un patient a passée directement auprès d’un LP), un « document médical » délivré en vertu du RMFM répondra à toutes les exigences d’une ordonnance en vertu de la Loi sur la taxe d’accise par conséquent, la marijuana à des fins médicales délivrée par le pharmacien devrait être détaxée et exonérée de la TPS. Ces économies d’impôt seront une bonne nouvelle pour les patients de marijuana médicale, mais peut-être moins bien accueillies par les autorités taxatrices du gouvernement fédéral.Remarques :
- Shebib c. Canada (Procureur général), [2003] 3 RTCE 607, 2003 CAF 88 (CanLII)