Anne McLellan et John Manley ont contribué à l’éditorial suivant au Globe and Mail. Il est paru dans l’édition du 24 février 2022 du Report on Business.
Les décisions des gouvernements de l’Ontario et du Canada d’invoquer les pouvoirs d’urgence pour résoudre les barrages aux postes frontaliers et l’occupation du centre-ville d’Ottawa ont suscité de nombreux débats. Même si les ordonnances ont maintenant été levées, il est légitime de se demander si les pouvoirs exceptionnels étaient indispensables pour rétablir l’ordre.
Trois propositions sont moins discutables. Premièrement, le droit de manifester dans une démocratie n’inclut pas le droit de détourner une partie de l’infrastructure économique et commerciale essentielle du pays. Deuxièmement, les blocus des corridors commerciaux ont imposé un coût important à l’économie et ont nui à notre réputation mondiale en tant que partenaire commercial fiable. Troisièmement, tous les ordres de gouvernement partagent la responsabilité de veiller à ce qu’il y ait l’autorité et la capacité d’empêcher que le scénario récent ne se reproduise.
Les blocus sont arrivés à un moment où les chaînes d’approvisionnement mondiales sont déjà sous pression. La crise de la COVID-19 a mis en évidence les vulnérabilités des modèles d’affaires de livraison juste à temps. Les producteurs du monde entier, y compris aux États-Unis et au Canada, ont réévalué et, dans certains cas, diversifié leurs chaînes d’approvisionnement afin de gérer les risques et de respecter leurs engagements envers les clients.
Pendant ce temps, sous les administrations Trump et Biden, les exportateurs canadiens ont fait face à l’incertitude causée par les mesures commerciales protectionnistes des États-Unis telles que les droits de douane arbitraires, les politiques « Buy American » et les avantages fiscaux discriminatoires.
Depuis des années, le message fort du Canada en faveur de la promotion de l’investissement est l’accès privilégié à la plus grande économie du monde. Nous avons travaillé fort pour obtenir cet accès dans le le cas de trois accords de libre-échange avec les États-Unis depuis 1988 et de l’Accord sur la frontière intelligente après le 11/9. Ce message est maintenant compromis. Si la frontière n’est pas perçue comme ouverte et fluide, les producteurs qui souhaitent s’assurer à la fois des approvisionnements et des marchés peuvent décider d’investir aux États-Unis, le marché plus vaste, plutôt qu’au Canada. En effet, si ce sentiment s’installe fermement, la marque canadienne subira des dommages durables.
Le Canada ne peut pas se permettre des blessures auto-infligées causées par les blocus. Par exemple, les législateurs du Michigan sont prêts à bondir sur les événements récents pour soutenir leur campagne de « re-shore » investissement manufacturier au détriment de notre industrie automobile fondée sur la force du Canada-États-Unis. les arrangements commerciaux depuis 1965. Pour contrer un tel discours, nos gouvernements doivent affirmer fermement que nos corridors commerciaux sont sécuritaires et que le Canada est un partenaire commercial fiable.
Les gouvernements locaux et provinciaux ont une responsabilité en première ligne. Lorsque des routes et des ponts, des lignes de chemin de fer, des pipelines, des ports ou d’autres infrastructures essentielles sont pris en otage, c’est aussi une question d’intérêt national et il doit y avoir un leadership national.
La compétence fédérale peut à juste titre être affirmée en vertu de notre Constitution, y compris en vertu du pouvoir en matière d’échanges et de commerce. Il s’agit d’une question de paix, d’ordre et de bon gouvernement, avec la nécessité d’exercer l’autorité fédérale en coopération avec les autorités provinciales et locales. De plus, les mesures fédérales nécessaires ne devraient pas attendre les conditions d’une urgence nationale. D’ici là, les coûts seront déjà trop élevés.
Nous proposons donc deux mesures.
Premièrement, le gouvernement devrait présenter au Parlement une loi visant à protéger l’infrastructure économique et commerciale essentielle du Canada. Son but serait d’établir l’autorité fédérale claire et les pouvoirs nécessaires pour intervenir en cas de mesures délibérées visant à perturber le fonctionnement vital de notre économie.
Aujourd’hui, cela doit inclure une protection contre les attaques contre les infrastructures numériques critiques telles que le système de paiement. Il devrait être possible d’obtenir rapidement une injonction, l’imposition de lourdes sanctions civiles et pénales et la saisie d’avoirs, un peu comme certaines des mesures qui peuvent maintenant être invoquées dans des situations d’urgence.
Bien entendu, l’application de la loi ferait l’objet d’une consultation étroite avec les provinces et les autorités locales afin d’assurer une réponse coordonnée, des garanties pour prévenir les abus et une surveillance parlementaire pour préserver la transparence et la responsabilité. Les provinces devraient également se demander si elles ont les pouvoirs requis pour réagir elles-mêmes aux perturbations.
Deuxièmement, reconnaissant que le pouvoir d’agir est une condition nécessaire mais non suffisante pour prévenir et résoudre les crises, les gouvernements devraient engager une discussion urgente sur la capacité, les ressources et la formation en matière d’application de la loi. Des plans conjoints devraient être élaborés pour combler les lacunes et des protocoles d’intervention conjointe devraient être en place. Dans ce contexte, il faudrait envisager la création d’une capacité spécialisée au sein de la GRC qui pourrait être déployée rapidement pour appuyer d’autres forces sur le terrain.
Avec une compétence clairement établie, des pouvoirs immédiatement disponibles et une plus grande capacité d’appliquer la loi, le message aux groupes qui envisagent d’abuser de leur droit de manifester serait clair : les attaques contre nos infrastructures essentielles ne seront pas tolérées.
Le message adressé à tous les Canadiens et à tous les partenaires mondiaux serait tout aussi clair : le Canada est déterminé à préserver ses relations commerciales, ses infrastructures essentielles et sa réputation mondiale en tant que partenaire économique fiable.
Anne McLellan est une ancienne vice-première ministre et ministre de la Justice ainsi que de la Sécurité publique. John Manley est un ancien vice-premier ministre et ministre de l’Industrie, des Affaires étrangères et des Finances. Tous deux sont conseillers principaux chez Bennett Jones.
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