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Procédures réglementaires et privilège relatif aux litiges : la « zone de protection de la vie privée » est renforcée en Alberta

19 juin 2014

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Le privilège relatif au litige s’applique aux procédures réglementaires lorsque les conséquences des procédures sont importantes et que le privilège ne peut être exclu par la loi sans un langage explicite et clair, a récemment conclu la Cour d’appel de l’Alberta dans TransAlta Corporation v Market Surveillance Administrator, 2014 ABCA 196 [TransAlta].

Le privilège relatif au litige s’applique régulièrement pour protéger les documents créés ou assemblés dans le contexte d’un litige. Son but est de créer une « zone de protection de la vie privée » relativement aux litiges en instance ou appréhendés : Blank c Canada (Ministre de la Justice), 2006 CSC 39 [Blank], au par. 39. Dans l’affaire TransAlta, l’administratrice de la surveillance du marché (MSA) intimée, l’organisme indépendant de surveillance de l’électricité de l’Alberta, a demandé la production de certains documents de TransAlta dans le cadre d’une enquête visant à déterminer si TransAlta avait eu une influence artificielle sur le prix de l’électricité. TransAlta a refusé de produire certains des documents en instaurant le privilège relatif au litige, s’appuyant sur l’article 50 de l’Alberta Utilities' Commission Act, SA 2007, c A-37.2 [AUCA]. Cette disposition contient un processus d’examen des demandes de « secret professionnel de l’avocat ».

Pour déterminer si le privilège relatif au litige relevait du « secret professionnel de l’avocat » à l’article 50, la Cour a reconnu qu’il était tout à fait clair depuis Blank que le secret professionnel de l’avocat et le privilège relatif au litige « sont motivés par des considérations de principe juridiques différentes et génèrent des conséquences juridiques différentes » (par. 28, citant Blank au par. 33). Toutefois, ces différences ne répondaient pas à la question d’interprétation dont la Cour était saisie, car avant l’arrêt Blank, le privilège relatif au litige était considéré comme un volet du secret professionnel de l’avocat. L’article 50 de l’AUCA (en fait sa disposition précédente) était antérieur à Blank. La Cour a statué qu’à l’époque pertinente, le législateur aurait compris que le secret professionnel de l’avocat incluait le privilège relatif au litige. De plus, l’expression « n’est pas précise » même aujourd’hui, de sorte qu'« une référence au secret professionnel de l’avocat peut encore englober le privilège relatif au litige selon le contexte dans lequel le terme est employé » (par. 33).

La Cour a également conclu que, bien que l’article 50 ait incorporé un processus pratique pour trancher les demandes de secret professionnel de l’avocat, il n’excluait pas expressément les demandes de privilège relatif au litige ou tout autre privilège reconnu en common law. Si le législateur avait eu l’intention de supprimer le droit de revendiquer le privilège relatif au litige, il l’aurait dit dans un langage clair et exprès, plutôt qu’en omettant simplement d’y faire référence.

Enfin, la Cour devait se demander si le privilège relatif au litige pouvait être invoqué dans le contexte d’une enquête sur l’indemnité de services de gestion, ce qui soulevait la question plus générale de savoir si le privilège relatif au litige pouvait s’appliquer dans les procédures réglementaires. La Cour a statué que le privilège relatif au litige peut prendre naissance dans ce contexte, se référant à une décision antérieure de la Cour et déclarant (au par. 40) :

Bien qu’une enquête menée par la MSA n’aboute pas directement à des condamnations criminelles ou à une peine d’emprisonnement, néanmoins les conséquences d’être reconnu coupable d’une « infraction » en vertu de la Loi pourraient entraîner des millions de dollars d’amendes et d’autres pénalités de nature très substantielle. En fait, les activités courantes de la société pourraient être mises en péril. Il y a donc un besoin évident de conseils juridiques et de la zone de protection de la vie privée envisagée par le privilège relatif au litige, lorsqu’une ou plusieurs parties font face à une enquête qui pourrait entraîner la poursuite d’infractions ayant de telles conséquences potentielles.

La Cour s’est donc penchée sur les conséquences des procédures (et implicitement sur leur caractère accusatoire) comme caractéristique pour déterminer l’applicabilité du privilège, contrairement, par exemple, aux autorités antérieures du Banc de la Reine de l’Alberta qui considéraient la divulgation obligatoire comme essentielle (voir, par exemple, Alberta Treasury Branches v Ghermezian, 1999 ABQB 407).

TransAlta confirme donc clairement que le privilège relatif au litige peut s’appliquer dans le contexte d’une procédure réglementaire, à condition que l’affaire soit suffisamment contradictoire ou, en d’autres termes, à condition que les conséquences soient suffisamment graves pour la partie qui revendique le privilège. De plus, TransAlta renforce la possibilité d’applicabilité du privilège dans le contexte législatif, en exigeant un langage clair et exprès pour exclure le privilège, et en augmentant la probabilité qu’une référence au « secret professionnel de l’avocat » comprenne le privilège relatif au litige (peut-être en fonction de la date à laquelle la disposition a été adoptée).

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