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O’Connor v Canadian Pacific Railway Company et al. : L'insuffisance d'un fondement factuel fait dérailler une certification en Colombie-Britannique

22 août 2024

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Une demande de certification est refusée en raison de l'insuffisance de la preuve d'un « certain fondement factuel » à l'appui de l'allégation sous-jacente

Écrit par Ilan Ishai et Jackson Spencer

Le 30 juin 2021, le village rural de Lytton, en Colombie-Britannique, a été dévasté par un incendie qui a été lourd de conséquences pour de nombreuses personnes, plusieurs ayant subi des blessures ou perdu leur maison ou leur gagne-pain, tandis que d’autres y ont laissé leur vie. Diverses poursuites liées à l’incendie ont été introduites à la suite de la tragédie, dont un recours collectif proposé par Jordan Spinks et feu Christopher O’Connor (O’Connor v Canadian Pacific Railway Limited[O'Connor]).

M. Spinks a présenté divers recours en responsabilité délictuelle (négligence, nuisance, règle de l’arrêt Rylands v Fletcher) contre, entre autres, les sociétés ferroviaires Canadien National et Canadien Pacifique, et Transports Canada, au motif que les activités ferroviaires dans la région seraient à l’origine de l’incendie ou auraient contribué à son déclenchement.

Le 9 août 2023, l’honorable juge en chef Hinkson de la Cour suprême de la Colombie-Britannique a rejeté la demande de certification. Il a conclu que la principale allégation visant les activités ferroviaires n’était pas étayée par la preuve et que les actes de procédure présentaient de graves lacunes, de sorte qu’aucune des causes d’action ne répondait aux critères de l’alinéa 4(1)(a) de la Class Proceedings Act de la Colombie-Britannique. Pour la Cour, comme il n’a pas présenté d’élément démontrant que les défendeurs ont causé l’incendie ou y ont contribué, le demandeur n’a pas établi un certain fondement factuel aux fins du respect de l’exigence d’une question commune.

Cette décision montre que la Cour suprême de la Colombie-Britannique tient à la certification comme étape de filtrage. Les demandeurs doivent notamment présenter une preuve suffisante de l’existence d’une question commune liant les membres du groupe. L’exigence est modeste, mais elle existe.

Après examen, la Cour a jugé la preuve insuffisante

Le demandeur a présenté six rapports d’experts [TRADUCTION] « portant de façon générale sur la cause de l’incendie ». La Cour les a examinés attentivement, puis a fait remarquer qu’aucun ne se prononçait véritablement sur cette cause ou sur le rôle qu’auraient joué les actes ou les omissions des défendeurs. Ce faisant, cette preuve d’expert n’avait qu’une faible valeur probante et aucune pertinence juridique; elle était donc inadmissible.

Par conséquent, les espoirs du demandeur reposaient entièrement sur les affidavits de témoins. Dans son propre affidavit, M. Spinks déclare qu’en arrivant aux environs des flammes, il a vu de la fumée s’élever près d’une passerelle parallèle au chemin de fer qui surplombe le fleuve Fraser (au sud-est de Lytton). Il a aussi présenté un affidavit dans lequel un résident de Lytton affirme avoir vu un train passer à l’est de la passerelle, puis avoir vu de la fumée et des flammes environ 150 pieds au nord du chemin de fer. Ce résident affirme aussi qu’il n’a [TRADUCTION] « rien vu d’autre qui aurait pu déclencher ou autrement causer l’incendie ». Une preuve vidéo provenant du train ayant sillonné Lytton avant le début de l’incendie révèle que trois piétons se trouvaient près de la passerelle au moment du passage du train.

La Cour a conclu que le seul élément de preuve liant le chemin de fer à l’incendie était le témoignage selon lequel de la fumée est apparue peu de temps après le passage du train, et qu’il était insuffisant pour satisfaire à la norme applicable, si peu élevée soit-elle.

L’analyse du lien de causalité porte le coup de grâce à l’analyse de la question commune

Le juge Hinkson a souligné que, pour qu’il certifie le recours collectif proposé par le demandeur, il aurait fallu que ce dernier démontre un certain fondement factuel à l’appui de l’argument selon lequel les demandes des membres du groupe soulevaient des questions communes, ce qui aurait nécessité l’établissement d’un [TRADUCTION] « certain fondement factuel quant à l’existence même d’une question commune »; le juge accepte ainsi implicitement l’approche « en deux étapes » au critère de la question commune. En l’espèce, hormis les affirmations selon lesquelles plusieurs trains sont passés par Lytton le jour où l’incendie s’est déclaré et selon lesquelles il y avait de la végétation près des rails, aucun fait n’a été allégué quant à la façon dont les trains, les rails ou les employés des sociétés ferroviaires auraient causé le brasier. La principale allégation reprochée aux défendeurs n’était donc [TRADUCTION] « rien de plus qu’un vœu pieux; elle ne suffisait certainement pas pour constituer un “fondement factuel” à l’appui de la demande ».

Regard vers l’avenir

Cette décision est digne de mention, car elle avertit les avocats et les demandeurs représentant des groupes que de simples affirmations ou « vœux pieux » ne suffisent pas; ils doivent présenter une preuve admissible sur le lien de causalité. La Cour ne se satisfera pas du fait que le lien de causalité « pourrait » être déterminé et que les défendeurs « pourraient » avoir des documents internes qui « pourraient » servir la cause des demandeurs.

Les demandeurs doivent présenter une « théorie cohérente », preuve à l’appui, expliquant comment les actes ou les omissions des défendeurs ont donné lieu aux questions communes liant les membres du groupe présumé. Cette preuve est nécessaire, car la Cour a clairement dit que ce n’est pas son rôle de faire des déductions, et elle ne tirera pas de conclusions fondées sur des cas antérieurs pour délivrer le demandeur du fardeau de la preuve qui lui incombe à l’étape de la certification. Par exemple, la Cour a reconnu que Lytton était un endroit connu pour ses records de chaleur et que les activités ferroviaires peuvent accroître les risques d’incendie, mais [TRADUCTION] « le simple fait que des trains ont causé des incendies dans le passé ne signifie pas qu’un train est à l’origine de celui qui nous occupe ».

Les défendeurs doivent eux aussi comprendre ce critère, et se demander si la preuve est admissible, ce qu’elle démontre et si elle constitue de simples possibilités et hypothèses plutôt qu’un fondement factuel pour les questions communes.

Bennett Jones a représenté la Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique et Chemin de fer Canadien Pacifique Limitée, deux des défenderesses désignées dans le recours collectif proposé, qui ont eu gain de cause dans la contestation de la demande de certification. Le juge Hinkson a rejeté la demande de certification, mais il a permis à M. Spinks de modifier ses documents et d’en présenter une nouvelle. Depuis ce rejet, d’autres recours ont été intentés contre les sociétés ferroviaires et d’autres parties en lien avec l’incendie de Lytton par des membres du groupe présumé de l’affaire O’Connor. Aux termes d’une ordonnance rendue par le juge en chef Hinkson en avril 2024, la grande majorité de ces recours seront gérés de façon collective par un même juge. À ce jour, aucune enquête (publique ou privée) n’a permis de conclure que les activités ferroviaires ont causé l’incendie de Lytton ou y ont contribué.

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