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La Première Nation de Grassy Narrows conteste le régime de revendications minières de l’Ontario

06 août 2024

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Écrit par Andrew Disipio, Sharon Singh et Brienne Gloeckler

Le 10 juillet 2024, la Première Nation de Grassy Narrows (Grassy Narrows) a lancé une contestation contre la Mining Act (la Loi sur les mines), alléguant que le système d’octroi de claims miniers en vertu de la loi (le Régime des claims miniers) est inconstitutionnel et incompatible avec la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones (DNUDPA). Grassy Narrows affirme également que l’Ontario a manqué à son obligation de consulter les peuples autochtones en accordant des claims miniers et en permettant des travaux d’exploration sans s’acquitter de son obligation de consulter et de recevoir le consentement libre, préalable et éclairé de Grassy Narrows.

Le régime des revendications minières et les systèmes d’entrée libre

Le Régime des revendications minières de l’Ontario est un système d’entrée libre. Un système d’entrée libre permet à presque toute personne d’enregistrer un claim minier (aussi communément appelé « claim minier ») sur des terres publiques et privées, y compris les territoires des communautés autochtones. Le titulaire d’un claim minier reçoit alors automatiquement le droit d’utiliser et d’occuper la zone du claim et d’y entreprendre des activités d’exploration. L’enregistrement d’un claim minier et l’octroi de certains droits miniers se font sans l’exercice d’un pouvoir discrétionnaire de la part du gouvernement concerné et ne sont souvent pas assujettis à l’obligation de fournir un préavis à ce gouvernement ni à une communauté autochtone touchée. D’autres administrations canadiennes, comme le Québec et la Colombie-Britannique, utilisent également un régime d’entrée libre.

En vertu du Régime des revendications minières, une personne peut obtenir un permis de prospecteur au moyen d’un système en ligne, le Système d’administration des terres minières (SAPM), après avoir suivi un cours en ligne d’une heure et payé des frais. Le titulaire d’un permis de prospecteur peut alors enregistrer (appelé « jalonnement »,par l’intermédiaire du MLAS, un claim minier sur tout terrain ouvert à la prospection. La Loi sur les mines n’exige pas la consultation des collectivités autochtones touchées avant le jalonnement d’un claim minier.

Au moment de l’enregistrement de son claim minier, le titulaire du claim obtient le droit d’entrer, d’utiliser et d’occuper la zone du claim et le droit d’obtenir un bail minier, en vertu duquel les minéraux dans la zone du claim peuvent être extraits et vendus. Le titulaire d’un claim minier doit soit effectuer le niveau annuel requis de travaux d’exploration, soit payer des frais pour maintenir son claim minier.

En 2009, la Loi sur les mines a fait l’objet d’une refonte substantielle qui visait en partie à mieux traiter des droits ancestraux et issus de traités protégés par la Constitution. 1 Les modifications législatives comprenaient l’introduction de ce qui suit :

Réclamation de Grassy Narrows

Dans son claim, Grassy Narrows identifie une partie de son territoire sur laquelle elle affirme que les activités liées à l’exploitation minière ont une incidence négative directe sur les droits ancestraux, du Traité no 3 et inhérents des membres de la collectivité (la zone de revendication). Grassy Narrows affirme que la zone visée par le claim est couverte par environ 10 000 claims miniers qui, lorsqu’ils sont combinés à des tenures liées à l’exploitation minière, comme des baux miniers, couvrent environ 30 % de la zone visée par le claim. Grassy Narrows note que la plupart des claims miniers dans la zone du claim ont été enregistrés depuis 2018, lorsque le SAPM a été introduit.

L’obligation de consulter survient lorsque la Couronne (p. ex., le gouvernement de l’Ontario) envisage une conduite qui pourrait avoir une incidence préjudiciable sur un droit ancestral, y compris le titre ancestral revendiqué. Lorsque l’obligation de consulter est déclenchée, elle crée des exigences en matière de consultation et d’accommodement que la Couronne doit s’acquitter.

Grassy Narrows affirme qu’elle n’est pas avisée, consultée, accommodée de façon significative et qu’elle n’a pas donné son consentement libre, préalable et éclairé avant que les claims miniers ne soient enregistrés, renouvelés ou transférés dans la zone de claims en vertu du Régime des claims miniers et que, par conséquent, :

Grassy Narrows demande un jugement déclaratoire à cet effet ainsi que des déclarations selon lesquelles :

La contestation par Grassy Narrows de la Loi sur les mines survient après qu’elle a intenté une autre action contre les gouvernements de l’Ontario et du Canada relativement à la contamination par le mercure. Grassy Narrows affirme dans cette réclamation déposée en juin 2024 que les deux gouvernements ont autorisé une activité industrielle qui a pollué la rivière Wabigoon, dans laquelle les membres de la communauté de Grassy Narrows exercent leur droit de pêcher en vertu du Traité no 3, et n’ont pas réussi à remédier à la pollution de manière à ce qu’elle affecte la capacité des membres à exercer leurs droits de pêche en toute sécurité.

Défis et changements du système d’entrée libre au Canada

Les communautés autochtones ont soulevé des défis contre les régimes miniers de libre entrée de trois autres juridictions canadiennes. Dans deux de ces juridictions, les tribunaux ont statué que le système de libre entrée était incompatible avec l’obligation de consulter de ces provinces.

Colombie-Britannique

La contestation de Grassy Narrows fait suite au succès récent d’une revendication semblable présentée par la Nation Gitxaala et la Première Nation Ehattesaht contre le régime foncier minier de la Colombie-Britannique. Le 26 septembre 2024, la Cour suprême de la Colombie-Britannique a conclu que l’administration du régime de tenure minière de la province conformément à la Mineral Tenure Act violait l’obligation de consulter de la Colombie-Britannique. La décision exigeait que la Colombie-Britannique modifie son système de claims miniers afin de remédier au manque de consultation des peuples autochtones avant l’octroi d’un claim minier ; c’est quelque chose que la Colombie-Britannique était déjà en train de régler.

Pour plus de détails sur Gitxaala v. British Columbia (Chief Gold Commissioner) et l’appel de la Nation Gitxaala et de la Première Nation Ehattesaht, voir notre publication précédente  summary et analyse de la décision.

Par la suite, le 7 mars 2024, le ministère de l’Énergie, des Mines et de l’Innovation à faible émission de carbone de la Colombie-Britannique announced interim measures in the form of four Orders in Council (OICs) resulting from agreements between British Columbia, Gitxaala Nation and Ehattesaht First Nation. Les décrets d’intérêt imposent des restrictions à l’émission de claims miniers, de baux miniers et de Mines Act permits, et à l’exécution d’activités minières, dans des zones désignées situées dans les territoires de la Nation Gitxaala et de la Première Nation Ehattesaht. Les décrets doivent être en place jusqu’à ce que la Colombie-Britannique modernise la Mineral Tenure Act conformément à la DNUDPA, comme le prévoit la Déclaration sur les droits des peuples autochtones (DRIPA)  Action Plan et en réponse à la décision rendue dans l’affaire Gitxaala c. Colombie-Britannique.

Pour plus de détails sur les OICs, voir notre présentation publiée résumé des mesures provisoires.

Québec

En 2019, la Première Nation Mitchikanibikok Inik (Mitchikanibikok Inik) a intenté une contestation contre la Mining Act. Mitchikanibikok Inik allègue que certaines parties de la loi, celles qui établissent le régime des claims miniers en liberté, violent l’obligation du Québec de consulter, car aucune consultation avec les Mitchikanibikok Inik, ni d’autres communautés autochtones, n’a lieu avant l’autorisation des activités minières qui pourraient avoir une incidence sur les droits et titres ancestraux. La contestation a été entendue en février 2024 et la Cour supérieure du Québec devrait rendre un jugement cette année.

En mai 2024, le Québec a déposé le projet de loi 63, An Act to amend the Mining Act and other provisions (Bill 63). Entre autres changements proposés, le projet de loi 63 permet au Québec de conclure des ententes avec les communautés autochtones pour « concilier les activités minières avec les activités menées par les peuples autochtones » à des fins alimentaires, rituelles ou sociales ou à des fins de chasse et de pêche spécifiques. 2 Ces ententes détermineront quelles parties du territoire de la communauté sont ouvertes aux activités minières (prospection, travaux d’exploration et opérations minières) et aux droits miniers et, inversement, quelles parties du territoire sont protégées de telles activités.

Le ministre responsable peut, par l’enregistrement d’un avis, suspendre temporairement la prospection et l’octroi de droits miniers sur les zones assujetties à une telle entente jusqu’à ce que l’entente prenne effet. Ainsi, les « droits miniers » pourraient être suspendus pendant qu’un accord est en cours de négociation ou après la conclu d’un accord, si l’accord prévoit un retard dans la mise en œuvre des aires ouvertes ou protégées.

Le projet de loi ne prévoit pas expressément la façon dont les revendications territoriales des communautés autochtones qui se chevauchent seront traitées dans de telles ententes.

Le projet de loi 63 confère également au ministre responsable le pouvoir d’imposer des conditions et des obligations au titulaire d’un « droit minier » à deux fins : (1) prévenir ou limiter les impacts sur les communautés autochtones ; ou (2) permettre la priorisation et la conciliation des usages et la préservation du territoire. 3 De plus, le projet de loi 63 permet au ministre responsable de refuser une demande de bail minier, de résilier un bail minier ou de réduire la superficie qui y est assujettie, dans le but de prévenir et de limiter les impacts sur les communautés autochtones.

Apprenez-en davantage sur le projet de loi 63 et les modifications proposées à la Loi sur les mines du Québec sur notre présivement publié aperçu du projet de loi.

Yukon (en)

En 2012, la Cour d’appel du Yukon (YKCA) a statué que le régime minier de libre accès du Yukon établi en vertu de la Quartz Mining Act était incompatible avec son obligation de consulter les peuples autochtones. 4

Ross River Dena Council (Ross River), un membre de la Première nation Kaska qui n’avait pas conclu d’entente définitive avec les gouvernements fédéral et du Yukon, a contesté le système de libre entrée au motif qu’il n’avait pas été consulté ni accommodé avant l’octroi non discrétionnaire de claims miniers qui avaient une incidence sur ses droits ancestraux.

La YKCA a statué que l’enregistrement d’un claim minier déclenchait l’obligation de consulter du Yukon. Ce faisant, la YKCA a commenté ce qui suit :

"L’obligation de consulter existe pour s’assurer que la Couronne ne gère pas ses ressources d’une manière qui ne tient pas compte des revendications des Autochtones ... Les régimes législatifs qui ne permettent pas de consultation et qui ne fournissent aucun autre moyen tout aussi efficace de reconnaître et d’accommoder les revendications autochtones sont défectueux et ne peuvent être autorisés à subsister. 5"

Comme l’obligation de consulter a été déclenchée par l’enregistrement d’un claim minier, la YKCA a réitéré, dans le contexte du régime de tenure minière, un principe clé de l’obligation de consulter : le Yukon doit entreprendre (et donc le régime de libre entrée doit permettre) des activités de consultation proportionnelles à la mesure dans laquelle les droits ancestraux peuvent être touchés par les activités minières. Lorsque les activités d’exploration autorisées par l’enregistrement d’un claim minier auraient un effet préjudiciable grave ou durable sur les droits ancestraux autres que le titre, Ross River doit, avant l’octroi du claim minier, être avisée de ce claim minier et avoir des occasions de consultation.

Le simple fait que le Yukon ait donné un avis à Ross River après l’enregistrement d’un claim minier faisant l’objet d’une revendication de titre ancestral ne satisfaisait pas aux obligations du Yukon en matière d’obligation de consulter. On a plutôt jugé que le Yukon était tenu de consulter les collectivités autochtones avant d’ouvrir des zones pour l’enregistrement des claims miniers assujettis à des revendications de titres ancestraux.

La YKCA a suspendu sa déclaration de l’obligation de consultation du Yukon au-delà du préavis pendant un an après la publication de la décision de permettre la mise en œuvre des modifications nécessaires à la Loi sur l’extraction du quartz.

En 2013, le Yukon a adopté des modifications à la Loi sur l’extraction du quartz et à la Placer Mining Act pour donner suite à la décision de la YKCA. 6 Les modifications comprenaient ce qui suit :

En 2018, le Yukon a annoncé qu’il reporterait le dépôt d’autres modifications proposées à la Loi sur l’extraction du quartz (qui auraient permis la mise en œuvre d’ententes entre le Yukon et les collectivités autochtones en vertu desquelles seule la collectivité autochtone pourrait pénétrer sur des terres actuellement protégées contre le jalonnement aux fins de jalonnement) en réponse aux commentaires des collectivités autochtones et de l’industrie.

Prochaines étapes

La date d’audience pour la demande de Grassy Narrows n’a pas encore été fixée.

Si le claim de Grassy Narrows est couronné de succès, les dispositions de la Loi sur les mines établissant le régime de claim minier et les droits d’exploitation minière pourraient être modifiées.

Pour discuter des autres répercussions et possibilités découlant des changements potentiels au régime des revendications minières, veuillez communiquer avec les auteurs.


1 Le projet de loi 173, Loi modifiant la Loi sur les mines de l’Ontario, a reçu la sanction royale le 28 octobre 2009.

2 Projet de loi 63, article 2.

3 Projet de loi 63, article 22.

4 Ross River Dena Council c. Gouvernement du Yukon [Ross River Dena Council c. Yukon].

5 Ross River Dena Council c. Yukon, au para 37.

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