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La Cour d’appel de l’Alberta permet le partage d’éléments de preuve auto-incriminants présentés dans le cadre de procédures en matière de valeurs mobilières avec des autorités étrangères

26 janvier 2016

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Écrit par Anthony Friend, Michael Mysak, Justin Lambert and Athyna Slack

Pendant de nombreuses années, on s’inquiète de plus en plus en Alberta et ailleurs de ce qui pourrait se produire lorsque l’objet d’un examen forcé en vertu de la loi sur les valeurs mobilières de l’Alberta pourrait faire l’objet d’un examen minutieux dans d’autres pays; les résultats de ces entrevues forcées peuvent-ils être communiqués à d’autres administrations? Même au risque de violations potentielles des droits du sujet contre l’auto-incrimination?

La Cour d’appel a récemment statué (dans l’affaire Beaudette v Alberta (Securities Commission), 2016 ABCA 9) que l’Alberta Securities Commission (ASC) peut partager les témoignages forcés de témoins avec d’autres autorités canadiennes et étrangères, et qu’un tel partage ne viole pas les droits de la Charte contre l’auto-incrimination.

Historique

Scott Beaudette était le chef de la direction et l’unique employé de Sunpeak Ventures Inc., une société faisant l’objet d’une enquête de l’ASC. Une ordonnance d’enquête en vertu de l’article 42 de la Loi sur les valeurs mobilières, LSF 2000, c S-4, a obligé Beaudette à témoigner sous serment et à présenter tous les documents sous son contrôle à l’ASC. La Loi sur les valeurs mobilières exige qu’un témoin réponde aux questions qui lui sont posées, même lorsque ces réponses peuvent amener le témoin à témoigner de manière auto-incriminante. Beaudette a refusé d’obtempérer, et l’ASC a présenté une demande en vertu de l’article 197 de la Loi sur les valeurs mobilières pour forcer le respect de l’ordonnance précédente et le tenir coupable d’outrage au tribunal.

M. Beaudette s’inquiétait du fait que l’article 42 de la Loi sur les valeurs mobilières l’obligeait à présenter une preuve potentiellement auto-incriminante, tandis que l’article 46 permettait que sa preuve soit partagée avec d’autres organismes de réglementation et d’application de la loi au Canada et à l’étranger. Il a soutenu que l’effet combiné de ces dispositions était une violation de ses droits garantis par la Charte, y compris ses droits à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne garantis par l’article 7, et son droit à l’auto-incrimination en vertu de l’article 13. M. Beaudette a soutenu que l’ASC travaillait en collaboration non seulement avec d’autres autorités provinciales en valeurs mobilières, mais aussi avec les autorités policières américaines pour appuyer ou faciliter une poursuite criminelle américaine. Un juge de la Cour du Banc de la Reine a rejeté les arguments de Beaudette.

Partage de preuves auto-incriminantes avec des autorités étrangères

La Cour d’appel a confirmé la décision de la Cour du Banc de la Reine et a conclu que la combinaison des articles 42 et 46 ne violait pas les droits garantis par l’appelant à la Charte. La Cour était sceptique quant à une violation potentielle des droits garantis par la Charte et a fait remarquer qu’une violation future potentielle et une allégation d’actions possibles d’un État étranger ne sont pas la preuve que ces événements sont susceptibles de se produire. Il doit y avoir une implication claire que les droits seraient violés pour que les droits soient impliqués.

L’immunité contre l’utilisation d’éléments de preuve auto-incriminants dans des procédures subséquentes est reconnue au Canada afin d’empêcher que ces éléments de preuve ne soient utilisés dans le contexte du droit criminel. Toutefois, la Cour a noté que la question de savoir si le principe de l’auto-incrimination a vraiment été mis en jeu est un exercice factuel; ce ne sont pas toutes les preuves forcées devant un organisme de réglementation qui constitueront une destruction du droit de ne pas s’incriminer.

La Cour a souligné l’importance des organismes canadiens de réglementation des valeurs mobilières et a conclu que même si la législation en valeurs mobilières permet d’enquêter sur les infractions commises au Canada et ailleurs, l’ASC a un objectif réglementaire légitime et n’est pas au service du droit criminel.

La Cour a statué que l’article 42 et la Loi sur les valeurs mobilières dans son ensemble « établissent un équilibre entre le privilège contre l’auto-incrimination et le principe selon lequel des éléments de preuve pertinents devraient être disponibles dans la recherche de la vérité » (au par. 42). Même si des éléments de preuve pourraient être utilisés dans le cadre de procédures américaines, les tribunaux canadiens ne sont pas autorisés par la Charte à évaluer ou à contrôler les processus d’enquête et judiciaires d’une démocratie étrangère amicale en matière de primauté du droit.

Conséquences

Cette décision est un réconfort froid pour ceux qui sont obligés de comparaître devant l’ASC. Ce type d’échange d’information préoccupe depuis longtemps les personnes qui représentent les témoins lors d’entrevues forcées. La capacité de l’ASC de partager des déclarations incriminantes avec des autorités américaines ou autres est souvent une aubaine pour les autorités étrangères, qui n’auraient peut-être jamais été en mesure d’obtenir de tels renseignements sans l’aide de l’ASC. C’est particulièrement le cas des autorités américaines qui, si elles tentaient d’interroger directement le même témoin, se heurteraient probablement à des objections sur la base du cinquième amendement. En d’autres termes, l’ASC peut être en mesure de fournir à ces autorités étrangères des éléments de preuve que l’autorité étrangère n’aurait jamais pu obtenir par elle-même.

Tous les témoins qui ont des préoccupations au sujet de l’utilisation transfrontalière de la preuve forcée par l’ASC seraient bien servis de consulter attentivement les avocats sur la meilleure façon de maximiser les protections possibles disponibles.

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