Quand une cour peut-elle examiner les décisions d’un tribunal, autres que la décision faisant l’objet du contrôle, pour déterminer si la décision devrait faire l’objet d’un recours dans le cadre d’un contrôle judiciaire? Cette question découle de la récente décision de la Cour suprême du Canada sur la norme de contrôle de la décision d’un tribunal, Edmonton (Ville) c Edmonton East (Capilano) Centres commerciaux Ltd, 2016 CSC 47 [Capilano], dans laquelle la Cour a déclaré, aux paragraphes 37 à 38 :
Lorsque l’équité procédurale exige qu’un tribunal fournisse une certaine forme de motifs, un défaut complet de le faire équivaudra à une erreur de droit (Newfoundland and Labrador Nurses' Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 (CanLII), [2011] 3 R.C.S. 708, par. 20-22).
Toutefois, lorsque le défaut d’un tribunal de fournir des motifs ne viole pas l’équité procédurale, la cour de révision peut examiner les motifs « qui pourraient être présentés » à l’appui de la décision (Dunsmuir, par. 48, citant D. Dyzenhaus, « The Politics of Defence: Judicial Review and Democracy », dans M. Taggart, ed., The Province of Administrative Law (1997), 279, à la p. 286). Dans des circonstances appropriées, notre Cour s’est, par exemple, inspirée des motifs donnés par le même tribunal dans d’autres décisions (Alberta Teachers', par. 56) et des observations du tribunal dans notre Cour (McLean, par. 72).
[Non souligné dans l’original]
Les sources citées en référence par la cour fournissent des indications utiles sur le moment où les motifs d’un tribunal dans d’autres décisions peuvent être examinés. Dans l’arrêt Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a énoncé les paramètres de la norme de contrôle de la décision raisonnable et a souligné que la retenue expressément n’inclut pas « l’assujettissement [ce] aux décisions des décideurs, ou ... référence aveugle à leurs interprétations, ou ... faire un intérêt de pure forme à l’idée de l’examen du caractère raisonnable tout en imposant leur propre point de vue. La déférence, plutôt, « entraîne le respect du processus décisionnel des organes juridictionnels », qui exige des tribunaux « qu’ils ne soumettent pas, mais qu’ils accordent une attention respectueuse aux motifs invoqués ou qui pourraient l’être à l’appui d’une décision ». Le tribunal a cité Dyzenhaus, qui a déclaré:
Le terme « raisonnable » signifie ici que les motifs étauent en fait ou en principe la conclusion à laquelle nous sommes parvenus. C’est-à-dire que même si les motifs de fait donnés ne semblent pas tout à fait adéquats pour appuyer la décision, le tribunal doit d’abord chercher à les compléter avant de chercher à les renverser. En effet, s’il est juste que parmi les motifs de déférence figurent la nomination du tribunal et non de la cour comme arbitre de première ligne, la proximité du tribunal avec le différend, son expertise, etc., alors il est également vrai que sa décision devrait être présumée correcte même si ses motifs sont, à certains égards, défectueux.
[Non souligné dans l’original]
Bien que l’attention respectueuse portée aux motifs « qui pourraient être invoqués à l’appui d’une décision » semble ouverte, les tribunaux canadiens ont statué, dans des décisions rendues après l’arrêt Dunsmuir, que « pourrait être offert » ne permet pas à une cour de déterminer quels auraient dû être les motifs du tribunal, d’examiner des motifs qui sont simplement concevables, mais qui ne sont pas réellement fournis, ou d’autoriser des motifs qui auraient pu être donnés, mais qui ne l’ont pas été, notant que « [l]a faire porterait gravement atteinte à la norme de la décision raisonnable fondée sur l’existence d’une justification, de la transparence et de l’intelligibilité... » La capacité du tribunal d’examiner les motifs qui « pourraient être invoqués » exige plutôt que le tribunal examine si les motifs fournis, en fait ou en principe, appuient la conclusion tirée, et l’importance de donner les motifs appropriés d’une décision administrative ne doit pas être diluée. 1
Dans l’affaire Alberta (Information and Privacy Commissioner) c Alberta Teachers' Association, 2011 CSC 61 [Alberta Teachers'], la Cour suprême du Canada a pris soin de délimiter les circonstances qui exigeaient d’examiner les autres décisions du tribunal :
En l’espèce, la Cour n’a pas besoin de chercher bien loin pour trouver un fondement raisonnable à la décision de l’arbitre. L’existence d’autres décisions d’un tribunal sur la même question peut aider une cour de révision à déterminer s’il existe un fondement raisonnable à la décision du tribunal. En l’espèce, un examen des motifs du commissaire et des arbitres dans d’autres affaires permet à notre Cour de déterminer sans difficulté qu’il existe un fondement raisonnable à la décision implicite de l’arbitre en l’espèce. En fait, dans les circonstances de l’espèce, on peut présumer sans risque de se tromper que les motifs nombreux et cohérents énoncés dans ces décisions auraient été ceux de l’arbitre en l’espèce.
[Non souligné dans l’original]
La déclaration de la cour dans l’affaire Capilano selon laquelle une cour peut examiner les autres décisions d’un tribunal doit donc être comprise en fonction du contexte et des sources d’où elle est née dans cette affaire. Les principes découlant de ce contexte et de ces sources peuvent être résumés comme suit :