Leçons tirées de la décision prise par Suncor et le Régime canadien de droits des actionnaires des sables bitumineux

17 décembre 2015

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Écrit par Brent Kraus, Paul Barbeau, Katie Miller and Alan Rankine

Le 14 décembre 2015, l’Alberta Securities Commission (ASC) a rendu sa décision très attendue (la décision, Re Suncor Energy Inc., 2015 ABASC 984) concernant le régime de droits des actionnaires de 120 jours adopté par Canadian Oil Sands Limited (COSL) en réponse à l’offre publique d’achat non sollicitée de COSL lancée par Suncor Energy Inc. (Suncor) le 5 octobre 2015.

L’ASC a permis au régime tactique de droits des actionnaires de COSL (le nouveau régime de droits) de rester en vigueur jusqu’au 4 janvier 2016, ce qui a donné lieu à une période d’offre de 90 jours. Ce faisant, L’ASC a adopté l’approche contextuelle qui a historiquement guidé les décisions de la commission sur le bien-fondé d’un régime de droits des actionnaires et a accordé peu d’importance aux modifications proposées à la loi canadienne sur la prise de contrôle qui mettraient en œuvre une période de 120 jours pour les offres non sollicitées qui n’ont pas l’appui du conseil d’administration de l’émetteur cible.

La décision soulève un certain nombre de considérations pratiques et stratégiques tant pour les offrants potentiels que pour les émetteurs cibles dans le contexte du régime de prise de contrôle canadien actuel et du régime modifié proposé qui a été mis de l’avant par les Autorités canadiennes en valeurs mobilières  (ACVM).

L’offre de Suncor pour les sables bitumineux canadiens

Le 5 octobre 2015, Suncor a lancé une offre non sollicitée (l’offre) en vue d’acquérir toutes les actions ordinaires en circulation de COSL, sur la base de 0,25 action ordinaire de Suncor pour chaque action ordinaire de COSL. L’offre a été structurée comme une « offre autorisée » aux termes du régime de droits des actionnaires existant de COSL (le régime de droits existants) en restant ouverte à l’acceptation par les actionnaires de COSL pendant au moins 60 jours après l’annonce de l’offre publique d’achat, soit une date d’expiration du 4 décembre 2015. Comme l’exigent les règles de la Bourse de Toronto, le régime de droits existants a été approuvé pour la dernière fois par les actionnaires de COSL lors de l’assemblée annuelle des actionnaires de COSL en 2013.

Le 7 octobre 2015, COSL a mis en œuvre le nouveau régime de droits en réponse à l’offre. Le nouveau régime de droits exigeait qu’une « offre permise » demeure, entre autres, ouverte à l’acceptation pendant au moins 120 jours. Par conséquent, l’offre ne constituait pas une offre permise aux termes du nouveau régime de droits. Comme l’a déclaré COSL, le nouveau régime de droits a été conçu pour s’assurer que les actionnaires de COSL et son conseil d’administration auraient suffisamment de temps pour examiner l’offre, toute autre offre non sollicitée de tiers ou d’autres solutions de rechange stratégiques. Bien que COSL ait présenté des éléments de preuve selon lesquelles le nouveau régime de droits et une période d’offre de 120 jours bloquaient un soutien large et important des actionnaires, la preuve écrite d’un tel soutien n’a été présentée qu’à l’égard d’environ 12 % des actions en circulation de COSL. Le nouveau régime de droits n’a pas été soumis aux actionnaires de COSL pour ratification.

Il convient de noter que l’exigence relative à l’offre permise de 120 jours était conforme aux modifications proposées par les ACVM au régime canadien de prise de contrôle (les modifications proposées), qui proposent de remplacer la période d’offre minimale actuelle de 35 jours par une période d’offre de 120 jours pour les offres non sollicitées qui n’ont pas l’appui du conseil d’administration de l’émetteur cible (voir notre mise à jour d’avril 2015 The CSA announces Proposed Amendments to the Take-Over Bid Regime).

Suncor a par la suite présenté une demande à l’ASC en vue d’annuler le nouveau régime de droits et, par conséquent, sous réserve des conditions de l’offre, de permettre à Suncor d’acquérir les actions de COSL déposées dans le cadre de l’offre avant la date d’expiration du 4 décembre. L’ASC a tenu une audience sur la demande les 26 et 27 novembre 2015.

Pourquoi la décision est-elle importante?

Étant donné que l’affaire Suncor/COSL s’est présentée alors que le régime canadien de prise de contrôle est en évolution, la décision peut être considérée comme fournissant une orientation sur un certain nombre de questions :

Répercussions de la décision

     1.  Le plan de droits tactiques de 120 jours n’est pas une solution miracle

Bien que l’ASC aurait pu balayer la jurisprudence existante en faveur de la reconnaissance de la raison d’être de la politique qui sous-tend la période de soumission de 120 jours contenue dans les modifications proposées, au contraire, la décision reconnaissait expressément que les modifications proposées n’étaient pas encore loi. À cet égard, la décision est conforme à la récente décision de la Commission des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique dans l’affaire Re Red Eagle, où la BCSC ne se considérait pas liée par les modifications proposées.

Par conséquent, les émetteurs cibles doivent envisager des stratégies en plus de la mise en œuvre d’un plan de droits tactiques de 120 jours lorsqu’ils se défendent contre une offre hostile.

      2.  Le contexte continue d’avoir de l’importance, pour l’instant

Bien que les régimes de droits des actionnaires aient été un outil utile pour les émetteurs cibles qui cherchent plus de temps pour trouver des solutions de rechange stratégiques, les commissions des valeurs mobilières canadiennes ont clairement indiqué qu’en fin de compte, les actionnaires cibles doivent avoir la possibilité de choisir de déposer ou non une offre. Essentiellement, à un moment donné, le régime de droits « doit disparaître ».

Les commissions canadiennes des valeurs mobilières ont dressé une liste non exhaustive de facteurs à prendre en considération pour déterminer à quel moment le régime de droits doit être invalidé, notamment :

Il est à noter que même dans le contexte des modifications proposées, l’ASC a choisi de travailler dans le paysage réglementaire existant et de tenir compte des facteurs traditionnels pour en arriver à un résultat adapté à l’affaire dont il est saisi. En ce qui concerne bon nombre des facteurs, l’ASC a estimé que les faits en cause avaient une incidence neutre sur sa décision de cesser l’échange du Nouveau régime de droits ou de lui permettre de se poursuivre. Les facteurs qui ont plaidé en faveur de l’accorder un peu plus de temps au processus de COSL pour se poursuivre étaient les suivants :

Compte tenu de ces considérations, L’ASC était convaincue qu’il n’était pas dans l’intérêt public de cesser immédiatement l’échange du Nouveau régime de droits et qu’une prolongation d’environ 20 jours était justifiée. Toutefois, en tenant compte de l’importante base d’actionnaires de détail de COSL, l’ASC a déterminé qu’il était approprié de permettre au nouveau régime de droits de se poursuivre jusqu’à la fermeture des bureaux le 4 janvier 2016 et, par conséquent, de ne pas positionner les actionnaires de COSL pour qu’ils aient à répondre à de nouveaux renseignements potentiels pendant la période des Fêtes.

     3.  Le livre de règles de défense actuel de prise de contrôle reste pertinent, pour l’instant

La décision dicte clairement qu’en attendant la mise en œuvre des modifications proposées, les émetteurs cibles ne devraient pas compter sur un plan de droits tactiques de 120 jours comme panacée pour les offres publiques d’achat non sollicitées. La mise en œuvre d’un régime tactique de droits des actionnaires plus long n’annule en rien la responsabilité du conseil d’administration de l’émetteur cible de s’acquitter de son obligation fiduciaire. Le conseil d’administration devrait plutôt être prêt à envisager toutes les tactiques défensives possibles, dans le cadre de ses obligations fiduciaires, y compris :

     4. L’avantage  informationnel d’un offrant peut être pertinent au moment où un régime de droits doit disparaître

Une question centrale à l’audience de l’ASC était l’effet, le cas échéant, de la publication en attente le 30 novembre 2015 du budget mis à jour de la coentreprise Syncrude 2016, qui devait être suivie d’un budget COSL 2016 mis à jour qui sera publié le 1er décembre 2015. COSL a soutenu que les renseignements positifs prévus contenus dans le budget seraient pertinents pour les actionnaires de COSL et justifieraient qu’un délai supplémentaire soit accordé aux actionnaires de COSL pour examiner l’offre et aux tiers soumissionnaires potentiels pour évaluer. De plus, COSL a soutenu que ce fait plaçait Suncor à un avantage informationnel en ayant une connaissance préalable de l’information en raison de sa participation de 12 % dans la coentreprise Syncrude.

Il convient de noter que Suncor a contesté la position de COSL, soutenant que le budget en attente de la coentreprise Syncrude serait largement conforme au budget précédent présenté aux participants de la coentreprise en juin 2015, et aux perspectives actuelles de l’industrie pétrolière et gazière.

L’ASC était favorable à la position de COSL et a reconnu que tout ce qui n’est pas un budget final approuvé pourrait raisonnablement être considéré comme une incertitude importante pour tout tiers offrant qui n’est pas actuellement un coentrepreneur de Syncrude.

La participation actuelle de Suncor à la coentreprise Syncrude rend le contexte factuel de l’offre quelque peu unique. Toutefois, la décision réaffirme la proposition selon laquelle les commissions des valeurs mobilières accorderont du poids à tout avantage informationnel en faveur de l’offrant lorsqu’elles détermineront le moment approprié pour cesser l’opération d’un régime de droits, et que les actionnaires devraient avoir la possibilité d’examiner les renseignements importants en attente légitimes.

     5.  Une approche universelle convient-elle au régime de prise de contrôle canadien?

La réticence de l’ASC à appliquer la justification qui sous-tend les modifications proposées peut ne représenter rien de plus qu’un désir d’appliquer la loi actuelle aux situations actuelles. Toutefois, il convient de noter que l’application de l’approche contextuelle actuelle à l’examen des régimes de droits des actionnaires a permis de déterminer une période de beaucoup moins de 120 jours comme période d’offre appropriée pour l’affaire Suncor/COSL.

Bien que la formulation actuelle des modifications proposées ait fait l’objet d’une grande attention, les caractéristiques du régime canadien actuel de prise de contrôle, y compris sa souplesse et son adaptabilité aux circonstances uniques de chaque transaction, pourraient justifier un réexamen des modifications proposées et l’adoption d’une période de soumission fixe de 120 jours.

Entre-temps, les émetteurs cibles doivent être prêts à utiliser un large éventail de tactiques défensives et à faire face à des périodes d’offre plus courtes et moins prévisibles.

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